Page images
PDF
EPUB

LES ETRENNES

[graphic]

ES étrennes distribuées viennent de nous révéler un nouveau krach, celui des poupées.

Les petites filles n'aiment plus, ou du moins, aiment moins les poupées. De récentes statistiques nous enseignent que la vente de ces "bébés d'attente", subit une diminution et ce goût charmant, si tendre, si féminin tend à décroître. Cela m'attriste.

Cela m'attriste d'autant plus que j'ai pu juger par moi-même de ce détachement presque inconscient, certainement pas voulu, pas "soufflé", comme il arrive parfois par l'indiscrète intervention d'une amie plus grande ou d'une compagne moins naïve. Sur trois petites filles que je connais bien, deux laissent presque sans soins leurs "filles" dormir au fond de leurs berceaux, et celle qui s'en occupe le plus consacre, à la sienne, quelques heures au plus par semaine.

C'est dans le temps, c'est un "microbe" qui passe avec l'air qu'on respire, c'est involontaire et, partant, inquiétant d'autant plus.

[ocr errors]

J'ai cherché et d'autres avec moi les raisons de ce détachement: les uns assurent que la décadence de nos moeurs politiques et sociales en est cause; d'autres incriminent l'égoïsme individuel et l'abaissement des sentiments de famille, tout cela est bien grave et peut-être un peu pédant.

Je crois moi, tout simplement, que nos petites filles

n'aiment plus leurs poupées, parce que nous les leur donnons trop belles.

Eh! oui; la poupée actuelle, parlante, marchante, avec

[graphic]

de vrais cheveux, des yeux qui s'ouvrent et se ferment et, par-dessus le marché, richement, presque ridiculement habillée, ne plaît pas, parce qu'elle est trop faite pour plaire. Elle ne laisse plus rien à imaginer.

Et c'est avec son imagination surtout que l'enfant joue.

!

Les quatre chaises formant successivement les murs et les portes d'une maison, un cheval, une voiture, une boutique on un théâtre sont tout le décor qui convient à l'enfant, parce qu'il peut toujours y ajouter son rêve, et qu'aucune réalité, si merveilleuse soit-elle, n'est comparable au rêve de l'homme, surtout à celui de l'enfant. De même que les plus belles féeries de Shakespeare n'ont pu être égalées, matériellement, parce que le décor était constitué par un écriteau indiquant: "ceci est un palais, ceci est une forêt ou la mer;" de même la réalité ne doit pas être serrée de près dans l'objet destiné à amuser les petits. Il a besoin de se servir de son pouvoir imaginatif, d'en user comme d'un vernis, une palette pour modifier l'aspect des choses. Si ce que vous lui présentez défend le plus, si surtout c'est un bibelot fragile, dont la richesse et le prix impose le respect et dont les parents ont dit: "Que c'était dommage de donner ça à un enfant pour le briser; " l'enfant, d'abord, rem

[graphic]

Bébé Lorrain du temps de Jeanne d'Arc.

pli d'enthousiasme et saisi d'un saint respect, comme un fétichiste devant son idole, laissera, après la première émotion passée, l'idole dans sa niche.

Je me souviens de ma mère, me racontant que, dans son enfance, elle faisait des poupées avec des chiffons. On prend une pierre, on l'enveloppe d'un linge, et cela forme. la tête; on simule les bras avec quelques torsions de l'étoffe nouée d'une ficelle, et voilà une poupée. Même avec deux traits d'encre, on peut figurer la figure, et alors la "fille" est tout à fait parfaite.

Eh bien! cette poupée créée par elle, vraiment sa chose et son bien, plaisait infiniment mieux à cette enfant que les "élégantes" à falbalas, proposées à la tendresse des nôtres.

On raffine trop sur tout et c'est le secret de tous nos dé goûts. Et puis, quels singuliers jouets l'ingéniosité de cette fin d'année a offerts à nos chéris! Boulaine, les Humbert, que sais-je! Une amie, retour de Paris, affirme avoir vu une boîte de jeu qui représentait une expulsion de religieuses, avec les gendarmes, les commissaires de police, les manifestants et les sœurs, un mouchoir sur les yeux. Je crois qu'après cela, on peut tirer l'échelle.

[merged small][graphic][merged small][merged small][merged small]

LES ENFANTS - LES VIEILLARDS

[graphic]

'ETAIT en 1896; je passais quelques jours dans le village où je suis née. On m'y apprit la triste fin d'un vieillard que je me rappelai comme ami intime de ma famille quand nous vivions là.

Un soir, on avait entendu de sa chambre un bruit lourd, comme la chute d'un corps. On ne s'en troubla guère. Plus tard quand l'idée vint de monter à l'appartement supérieur, qu'occupait le malheureux, on le trouva gisant inanimé à quelques pas de son fauteuil, près de son lit, que la mort ne lui avait pas permis d'atteindre: son cœur ne battait plus.

Cet homme vivait chez un fils, qu'un honnête négoce avait placé dans une position avantageuse. Depuis de longues années déjà, comme tous ceux qui ont eu à peiner durement pour élever une nombreuse famille, l'aïeul n'était plus très bien. La santé, usée par les rudes labeurs d'un métier ingrat, l'abandonnait tout à fait. Le fils ne s'en inquiétait pas; la bru moins encore. S'il pouvait quitter sa chambre pour descendre à l'heure du repas à la table commune, il avait sa part; on le servait. Dans le cas contraire, il s'en passait.

Un jour, deux jours se sont souvent écoulés sans qu'on le vît paraître. Y songeait-on? Pas le moins du monde. Quand le bonhomme, recouvrant quelques forces, ou poussé plutôt par le besoin de prendre quelque nourriture, parvenait à se traîner à l'escalier, à s'y glisser en s'appuyant

péniblement à la rampe, s'arrêtant à chaque marche pour reprendre haleine, la table servie, il touchait aux plats; - hélas! mets peu propres à son estomac affaibli, fatigué par un long jeûne......

Je m'étonnai devant quelques gens de l'endroit de la manière que ce fils assez en vue avait traité son vieux père, de son peu d'égards envers lui, de ce qu'il l'avait laissé manquer de soins urgents, de ce qu'il ne s'était pas trouvé là pour lui fermer les yeux, pour recevoir sa dernière bénédiction, son dernier soupir.

--

"Mademoiselle, me dit un solide travailleur sans instruction, mais dont j'ai admiré toujours l'esprit de justesse et de raisonnement, Mademoiselle, et je cite ses propres paroles, il est des dettes qui traînent longtemps, elles se doivent payer tout de même. Ce vieillard, que la tombe vient de prendre, je l'ai vu, il y a trente à quarante ans, je l'ai vu jeune et fort, alerte et beau; il blasphémait son père brisé par les ans, il rudoyait sa vieille mère, à laquelle le grand âge avait enlevé la raison, et ce, avec moins de pitié qu'on ose traiter un chien. Vous le voyez, rien ne se perd ici-bas."

Depuis, j'ai vu beaucoup de ces tristesses. J'ai été témoin ou confidente de scènes du genre, révoltantes pour l'indifférent même, et je crois vraiment avec mon interlocuteur, que la main divine s'appesantit tôt ou tard sur le misérable qui méprise ses vieux parents, pour quelque orgueilleuse ou sotte raison que ce soit! ou parce qu'ils sont restés humbles et simples, ou parce qu'ils sont devenus incapables, infirmes. Je crois que cet homme, à quelque condition qu'il appartienne, contracte envers la loi de la nature une dette immense, et il est juste que ses propres enfants la lui fassent payer, par autant de malveillances et d'indignités!

« PreviousContinue »