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masque effrayant, avaient exprimé les rugissements d'un Prométhée, les sanglots d'un Edipe et les fureurs d'un Oreste; tantôt chaussés du simple brodequin, mais toujours grotesquement masqués, avaient pris le dard des guêpes, les ailes des oiseaux ou imité le croassement des grenouilles pour rendre les fantaisies d'un Aristophane et flageller les démagogues, trompeurs et écorcheurs du peuple! Comme ils étaient évanouis les corps gracieux qui avaient évolué dans cet hémicycle! Comme ils étaient silencieux, les applaudissements et les rires qui avaient retenti sur ces grading! Oh! ce mutisme de ruines qui nous rappellent un si glorieux passé! Précisément parce que le monde grec nous remémore les joies exquises de l'esprit, les délicatesses de la pensée, la beauté plastique, l'harmonie du langage, la finesse et grâce de la conversation, enfin tout ce qui donne son prix à la vie, nous sommes plus pénétrés par l'éloquence de ses ruines! Hélas! eux aussi les incomparables artistes qu'a éclairés ce soleil, n'ont donc été que des convives passagers au banquet qu'ils s'entendaient si bien à embellir! Eux aussi n'ont pu s'asseoir qu'un instant fugitif au spectacle qu'ils s'étaient fait si divertissant! Eux aussi ont dû détacher leurs lèvres de la coupe, alors qu'ils la trouvaient si enchanteresse!

Le climat de ces lieux n'est pas moins suave; l'horizon pas moins clair et lumineux; mais où sont-ils ceux qui en ont su le mieux jouir? Où est Epicure! Où Alcibiade? Où Périclès? Où Aspasie? Où Phryné? Plus de vingt-cinq siècles de silence vous répondent: vixerunt, ils ne sont plus! Non loin du théâtre de Dionysos, est l'Odéon qu'un riche rhéteur de Marathon, Hérode Atticus, fit bâtir au deuxième siècle après J.-C., à découvert; comme le théâtre précédent, il est beaucoup plus vaste; il mesure quatre-vingts mètres de diamètre et peut contenir six mille auditeurs: il est très bien conservé, et on y a donné une représentation en 1867, en l'honneur de la nouvelle reine des Hellènes. Entre

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temps, si votre sentiment chrétien a besoin de se retremper en face de ce paganisme, et si l'admiration vous a altéré, voici de petits Grecs, qui vous invitent à entrer dans une chapelle creusée dans le roc, à l'endroit même, dit-on, où était le temple d'Esculape avec son long portique de cinquante mètres, qui protégeait les malades contre le soleil et les intempéries. (1) Vous y trouverez sur un autel assez bien tenu une grande image de la sainte Vierge, et on vous y offrira un grand verre d'eau fraîche, moyennant une de ces sales petites monnaies grecques, en papier, qu'on donnerait rien que pour le plaisir de s'en débarras

ser.

Ainsi rafraîchis, moralement et physiquement, laissant au couchant des ruines qui rappellent les temples de Thémis, d'Aphrodite et des Nymphes, vous montez vers l'Acropole. Vous rencontrez vite la Voie Sacrée, route creusée dans le rocher, par où, dans les processions solennelles, six bœufs traînaient la statue de Pallas Athéné, jusque dans son temple. Suivant cette voie, vous ne tardez pas à avoir devant vous les Propylées. Les propylées étaient l'entrée de l'Acropole. Mais à ce séjour de dieux, à ce paradis de l'art, il fallait une avenue appropriée. Les Grecs s'entendaient trop bien dans les proportions, pour ne pas le comprendre. Aussi le jeune Athénien, quand il venait vénérer la protectrice de sa cité dans les circons

(1) Esculape, dieu de la médecine. "Quand les offrandes et les purifications étaient finies, chacun s'étendait sur sa natte, les lampes étaient éteintes, le silence le plus profond prescrit, et le dieu, à travers les parfums échauffait les têtes, donnait, en songe, ses salutaires ordonnances. Si Esculape ne parlait pas, les prêtres prescrivaient à sa place divers traitements, dont on trouve de bizarres échantillons sur les ex-voto ramassés dans les ruines, et qui durent jadis être appendus aux murs du portique." (Le Camus, Voyages aux pays bibliques, II, p. 432.) Est-ce dans ce temple que coula le sang du coq que Socrate mourant avait ordonné à Criton d'immoler en l'honneur d'Esculape, témoignant ainsi de l'incurable faiblesse de la pauvre raison individuelle, fût-elle du plus sage des hommes, en face de l'universel égarement idolâtrique ?

tances solennelles, gravissait-il une montée triomphale de 23 mètres de largeur et 33 de développement; puis par une porte centrale, qui traversait une suite de portiques, entre neuf rangées de colonnes ioniques et doriques, il débouchait sur la plate-forme de l'Acropole. (1) Aujourd'hui l'aspect de ces bases de colonnes, de ces chapiteaux morcelés ne donne évidemment pas l'idée de ce qu'était le chef-d'œuvre de Mnésiclès. Cinq colonnes, cependant, du portique regardant l'Acropole ont encore leurs chapiteaux; deux de la façade principale sont debout. On ne peut se lasser d'y admirer l'élégance et l'harmonie des lignes. Mais nous voici sur le plateau de l'Acropole. C'est sur cet étroit sommet que les Athéniens avaient accumulé les sanctuaires en l'honneur de leur patrone, Pallas Athéné. Depuis longtemps elle est tombée de son piédestal, dont nous distinguons à peine la trace, la fameuse Athéné Promachos, cette statue colossale, que Phidias avait élevée au-dessus de tous les monuments de la pieuse colline, si haute, dit Pausanias, qu'après avoir doublé le cap Sunium, les marins saluaient la pointe de sa lance et le cimier de son casque. (2) Nos yeux ne rencontrent debout que le temple de la victoire Aptère, quelques restes de l'Erechteion et le Parthénon. Le premier destiné à rappeler Marathon et Salamine, bâti par Cimon, fils de Mil

(1) Le plan de Mnésiclès, auteur des Propylées (Ve siècle avant J.-C.), était très simple. Il avait imaginé un mur percé de cinq portes inégales, précédé d'un vestibule de même largeur, "le vestibule était divisé en trois travées par deux rangées de colonnes ioniques. En avant du vestibule, était un portique de six colonnes doriques, surmonté d'un entablement avec fronton encadré par deux portiques parallèles. En arrière, un autre portique de six colonnes atteignait le niveau de la plate-forme de l'Acropole." (Le Camus, ibid., p. 438.)

(2) Elle était encore debout en 395. “On dit que quand Alaric et ses Wisigoths la virent présentant son bouclier du bras gauche et appuyant fièrement sa main droite sur sa lance, ils furent saisis d'une sainte frayeur. La vierge terrible semblait regarder le Parthénon et le couvrir de sa souveraine protection." (Le Camur, ibid.)

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