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à deviner, celui de la fondation, au commencement de l'année 1904, d'une bibliothèque, oui! d'une vraie bibliothèque publique, à Waterloo, dans le comté de Shefford, et cela grâce à l'initiative, au zèle intelligent de Madame de Varennes, aidée du précieux concours du Journal de Françoise, événement qui peut être le point de départ d'un très bon mouvement dans notre vie littéraire. Aux yeux de Cicéron, "une bibliothèque au milieu d'un jardin " complète le bonheur de la vie humaine. Aussi, je vous assure que des citoyens qui sont contents, ce sont ceux de cette petite ville de Waterloo. J'ajoute qu'il est tout à fait désirable que l'exemple que nous ont donné ces deux femmes soit suivi par toutes les grandes et petites villes de la province. Ah! si les hommes voulaient seulement s'en mêler. N'oublions point, toutefois, que les bibliothèques publiques ne seront bienfaisantes qu'à condition de n'être composées que de livres qui ne pêchent point sous le rapport de la morale et qui ne contiennent pas trop de paradoxes. Autrement, mieux vaut cent fois, mille fois n'en pas avoir. Mais, ces deux écueils évités, nous retirerons certainement grand profit de la diffusion du savoir par le moyen des bibliothèques publiques, et, bien avant l'arrivée de la fin des temps, nous serons tous, hommes et femmes, des personnes très instruites et distinguées, ce qui sera charmant.

Je voulais aussi mentionner les succès qu'à remportés à Paris M. Chapman avec ses Aspirations, qui l'ont porté tellement haut qu'il brille maintenant même parmi les étoiles du firmament littéraire de la mère patrie. Auronsnous jamais pareille chance, nous, pauvres lumignons que nous sommes! En attendant, que M. Chapman veuille bien accepter les félicitations de ses compatriotes, qui se réjouissent des lauriers qu'il a recueillis, en faisant honneur à son pays.

Et puis, nous avons eu, au mois de mars dernier, Gouttelettes, par M. Pamphile LeMay. Voilà déjà longtemps que notre vieux barde n'avait plus chanté. Je commençais à croire qu'il boudait les muses, et j'avais pensé à lui en faire des reproches dans une de mes prochaines chroniques. Aussi bien, pouvait-on craindre que ces déesses elles-mêmes, malgré la beauté de nos paysages et la grandeur mélancolique de nos montagnes, finiraient par déserter complètement nos climats rigoureux pour des cieux plus doux. Il n'en est rien, et jugez de mon plaisir. Gouttelettes! est-ce assez gentil, ce titre-là! Vous pensez tout de suite à quelque chose de délicat, de délicieux, de délectable; la lecture de ce petit volume est, en effet, un régal littéraire que ne manqueront pas de se donner ceux qui savent goûter les plaisirs intellectuels.

Enfin, the last but not the least, nous venons d'avoir Jean Talon, par l'honorable M. Chapais, le vrai chroniqueur, le chroniqueur en titre de la REVUE. L'intendant Talon est une des figures les plus méritantes et les plus sympathiques de notre histoire. Le livre de M. Chapais était attendu avec une impatience qu'expliquent notre patriotisme et le talent bien connu de l'auteur; cet ouvrage ne contribuera pas peu à augmenter notre richesse littéraire.

Il faut que je m'arrête. Le cadre de ma chronique est rempli. D'ailleurs, le jour, qui va bientôt paraître, me défend de poursuivre, comme dans les Mille et une Nuits, et je suis obligé de remettre à une autre causerie l'occasion de "communiquer de l'abondance de mon petit trésor au cher prochain.

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Alphonse Gagnon.

Québec, mai 1904.

SOUVENIRS ET IMPRESSIONS D'UN
VOYAGE AUTOUR DE LA
MÉDITERRANÉE

(Suite)

II

CONSTANTINOPLE

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E Smyrne nous partons pour Constantinople... Après une nuit de navigation nous sommes à l'entrée des Dardanelles, espèce de canal naturel qui s'élargit à un endroit pour former la mer de Marmara, se rétrécit de nouveau devant Constantinople, s'appelle alors le Bosphore et débouche dans la mer Noire, unissant celle-ci à la mer de l'Archipel et à la Méditerranée. C'est une protection naturelle vraiment superbe pour Constantinople, protection renforcée encore par les traités qui ont suivi la guerre de Crimée, et qui ont interdit aux escadres européennes de pénétrer dans le détroit.

Depuis, l'Europe a essayé de briser les entraves dont elle s'était ligotée elle-même: aujourd'hui chaque ambascadeur peut avoir deux stationnaires à sa disposition. Mais c'est peu de chose, et le Sultan Rouge continue à ne pas compter en vain, hélas! sur la rivalité des Puissances pour se permettre impunément les plus horribles massacres de

Chrétiens. Et dire qu'en 1856 la France et l'Angleterre se sont unies pour protéger ce pourceau doublé d'un tigre. (1)

L'entrée des Dardanelles est, gardée par des forts et des canons, visibles à l'œil nu. Mais s'ils sont comme l'escadre, ils sont peu redoutables. C'est qu'en effet, on voit ici la fameuse escadre turque composée de cinq ou six vaisseaux

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qui se perdirent dans la mer de Marmara lors de la guerre gréco-turque, finirent par se rallier là, et oncques depuis ne bougèrent. Ils en seraient bien empêchés, étant avariés de la quille au mât. Quant à les remorquer jusqu'à Constantinople, vous comprenez que le Sultan ne payant

(1) Je n'ignore pas que la guerre de Crimée (1854) fut provoquée par les empiétements des moines grecs sur les droits des Latins à Jérusalem, et par la prétention de la Russie à un protectorat sur tous les chrétiens grecs de l'empire turc. Mais on pouvait modérer l'ambition moscovite sans fortifier la puissance du sultan. Je le répète, la simple humanité réclame la destruction de cette puissance. Là contre que valent les subtilités de la diplomatie?

pas même ses cuisiniers, ne va pas payer des chauffeurs pour une pareille besogne. Il est vrai qu'il pourrait la faire faire et ne pas payer. C'est un autre système de gouvernement où il est passé maître. Mais bast! autant vaut laisser ces baraques flottantes s'effriter là de vétusté! Cela vous donne une petite idée de ce qu'est l'administration turque. Le Turc vit au jour le jour, pillant ce qu'il peut ce jour-là et comptant sur Allah pour le pillage du lendemain.

Nous mettons tout un jour pour la traversée des Dardanelles; nous longeons la presqu'île de Gallipoli, l'ancienne Chersonèse de Thrace, d'une valeur stratégique de premier ordre, pour défendre Constantinople contre l'Europe. Sur les bords nous remarquons de nombreuses maisons en bois. La ville de Gallipoli elle-même n'est guère composée que de maisons de cette sorte. La mer de Marmara se montre un peu méchante; nous lui pardonnons, mais nous pardonnons moins facilement à la pluie, qui nous fait manquer notre entrée dans le Bosphore, laquelle, dit-on, est d'une magnificence incomparable par un beau soleil couchant. Le soleil se couchait bien à notre arrivée.... mais derrière les nuages. Enfin nous tâcherons de bien écarquiller les yeux demain. Nous étions dans la Corne d'or trop tard pour pouvoir débarquer. Nous nous dédommageons en faisant entre Français une veillée sur le pont en face de cafés très bien illuminés, que la pluie a rendus vides, et à bord de ces fameux quais, cause du conflit franco-turc, qui nous vaudra à nous-mêmes bien des misères. Ce soir-là, si la police turque nous avait entendus, je crois que nous serions encore dans les cachots de Constantinople, sinon au fond du Bosphore. Chacun faisant part de sa petite expérience sur les affaires turques; on médit à cœur joie de l'administration de Sa Hautesse, on médit seulement; car il est impossible de calomnier sur un pareil sujet. J'appris là, par exemple, qu'il est très

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