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On arrive à Québec par terre et par eau, en chemin de fer et en bateau, et l'aspect de la ville varie beaucoup selon la voie par laquelle on y arrive. Les approches par le fleuve, du côté ouest, sont d'un aspect à demi-sauvage, enveloppées d'un certain mystère et pleines de grandeur. Des falaises onduleuses très hautes, couvertes de bois sombres, encaissent profondément notre fleuve majestueux. Entre ces deux gigantesques remparts de verdure, le bateau glisse rapidement, silencieux et solennel, comme à l'approche d'un lieu sacré. Tous les passagers sont sur le pont du navire, à l'avant, le cou tendu, l'oeil inquisiteur, cherchant du regard la ville qu'on leur a dit être proche. Mais rien ne l'annonce encore, et les promontoires succèdent aux promontoires, de plus en plus escarpés et sauvages, enveloppés de hautes futaies inhabitées et sombres.

Enfin, quelques habitations se montrent dans des enfoncements ombreux et calmes. Des pointes s'avancent comme

pour arrêter le géant dans son cours. Mais, en se resserrant, le fleuve se creuse davantage, et devient plus rapide. Quelques villages blottis aux pieds des hautes falaises, ou perchés sur des caps hardis, l'invitent à se reposer. Des églises aux flèches élancées se penchent sur ses eaux, et lui montrent le ciel dont il est le miroir; mais il ne s'arrête jamais.

Voici Saint-Félix du Cap-Rouge qui se cache au fond d'une retraite solitaire, entre deux promontoires revêtus d'écharpes sombres... Voilà Sillery se tenant debout et fier sur son cap d'ardoise, et faisant sentinelle aux portes de Québec.

A droite, une procession de clochers défile aux flancs de la côte: Saint-Romuald, Saint-David de l'Auberivière, Notre-Dame et Saint-Joseph; et l'on dirait que les deux promontoires de Québec et de Lévis se rejoignent au loin et ferment tout à fait l'horizon. Mais, dans sa toute-puissance de mouvement, le fleuve se joue de ces obstacles, et, s'il paraît se dérober en face des rochers de Lévis, c'est pour contourner le cap Diamant, et pour étreindre amoureusement la cité de Champlain dans ses flots profonds.

A gauche, le promontoire s'escarpe brusquement et se dépouille de toute végétation. Le roc dénudé se dresse à pic à une hauteur de près de cinq cents pieds, et prend un aspect tout à fait sauvage et primitif. Ses flancs nus, crevassés et ravinés, ressemblent à des pétrifications de monstres antédiluviens dont le dos est surmonté d'arêtes colossales.

A ses pieds, une seule rangée de maisons pauvres et croulantes s'allonge sur des quais en ruines, et laisse traîner jusque dans le fleuve, comme une frange en loques, ses fondations lézardées. Au sommet, des bastions sourcilleux, des murailles massives et des gueules de canons.

Est-ce donc là Québec? Non. Cette ville est située de manière qu'on y arrive sans la voir, quand on vient de

l'ouest. Attendez un peu. Le bateau va contourner ce cap cyclopéen, et vous verrez un petit coin de ville des plus pittoresques.

Regardez, voici des quais qui s'allongent et se succèdent au pied de la berge perpendiculaire; voici des navires qui se profilent dans un horizon élargi; voici des marchés, des entrepôts, des boutiques, de grands magasins: c'est une partie de la ville commerciale et maritime.

Levez maintenant les yeux, et voyez comme le paysage s'agrandit soudainement. On dirait qu'un magicien mystérieux a fait surgir d'un coup de baguette toute une féerie de perspectives inattendues, et chaque tour de roue du bateau dévoile à vos regards de nouvelles beautés.

Le promontoire s'abaisse par degrés, et sur ses talus verdoyants la ville s'étage graduellement.

Admirez là-haut cette rangée de piliers en pierre surmontés d'une balustrade en fer et d'élégants kiosques: c'est la terrasse Dufferin, longue d'environ treize cents pieds, suspendue à deux cents pieds au-dessus de vos têtes, et d'où les promeneurs se penchent pour vous voir arriver.

Contemplez ce château, d'architecture moyen âge, hardiment perché au bord de l'escarpement, dominant la basse ville et les faubourgs, et lançant à une hauteur vertigineuse ses clochetons, ses tours et ses flèches: c'est le château Frontenac.

A côté, s'étend un jardin planté de grands arbres, et de ce massif de verdure émerge un obélisque de pierre.

Plus loin derrière un rideau de grands ormes et de peupliers, apparaissent de longs édifices couronnés de coupoles: ce sont l'Université Laval et le Séminaire de Québec.

Et là-bas, au niveau du fleuve, la Douane baignant dans l'eau sa belle colonnade corinthienne, et surveillant le port du haut de sa coupole harmonieuse.

Mais on dirait que le bateau va passer devant Québec sans s'y arrêter. C'est que la marée baisse, et qu'il lui faut

faire un grand tour devant la ville pour accoster le quai en faisant face au courant rapide qui l'entraîne.

Alors le spectacle grandit encore, et vous apercevez bientôt les grands édifices de la ville haute: les deux Cathédrales, anglaise et française, avec leurs hauts clochers, le Palais de Justice avec son portique majestueux, l'Hôtel de ville, dont on ne voit que les sommets, et le Parlement, dont le haut campanile se détache fièrement sur l'horizon lointain, au milieu d'un groupe d'églises dont on n'aperçoit que les flèches.

Devant vous, l'île d'Orléans dessine sa courbe harmonieuse entre les deux bras du fleuve qui l'étreignent. A droite, les falaises de Lévis et leurs jolies villas se disputent votre attention, et semblent dire: "Regardez-nous au moins en passant!" A gauche, la côte de Beaupré vous sourit, la chute de Montmorency agite sa robe blanche et vous appelle, et plus loin, au nord, des ondulations de montagnes verdoient, des vallées s'ouvrent et vous montrent leurs coquets villages, des chapelets de maisons blanches s'égrènent sur les prés verts et sur la grève accidentée, tandis qu'au bord du fleuve s'alignent les pointes, les anses et les clochers.

C'est dans ce cadre idéal que vous apparaîtra Québec, si vous y arrivez de l'ouest par le fleuve. Mais, si vous y arrivez de l'est, la première apparition de notre pittoresque cité vous semblera peut-être plus séduisante encore, car elle se manifestera alors à vos regards tout à coup, et tout entière.

Vous avez sans doute visité des musées ou des basiliques où se trouve quelque tableau fameux, soigneusement recouvert d'un rideau? C'est le plus beau, le plus rare et le plus précieux de la collection, et c'est avec une légitime émotion que vous attendez que le gardien du musée, ou le sacristain, ait levé le rideau qui cache à vos regards le chefd'œuvre célèbre.

Eh bien! l'arrivée de l'Européen à Québec lui donne une émotion de ce genre, car il arrive à une courte distance de la ville fameuse sans la voir. La pointe Lévis la dérobe longtemps à ses regards comme un rideau.

Mais le moment psychologique arrive où cet épais rideau s'écarte subitement, et laisse apparaître le prestigieux tableau dans sa pittoresque beauté.

Si c'est le matin, il resplendit et se dessine avec une admirable pureté de lignes et de couleurs. Si c'est au déclin du jour, le soleil couchant trace au front du tableau un nimbe de lumière, et jette çà et là des ombres d'azur et des flèches d'or qui en accentuent les bautés.

Vers la fin de mai 1884, j'arrivais moi-même d'Europe à bord du Parisian, un samedi, vers les six heures du soir; et je n'oublierai jamais le féerique tableau qui s'offrit alors à

mon amour.

C'était un panorama idéal, qui s'étageait et se déployait dans une gradation régulière, depuis la moire lumineuse du fleuve jusqu'à la coupole d'azur du ciel, sur laquelle se dessinaient comme une immense broderie toutes les excroissances de pierre, de cuivre et d'ardoise de notre monumentale cité.

C'était comme un poème de pierre écrit en caractères cunéiformes, et se détachant en relief dans les lueurs roses du soir. C'était une montagne d'édifices de formes variées, d'où s'élançaient des portiques, des frontons, des colonnades, des flèches, des tours, des toitures coniqués, des pignons pointus et des dômes, le tout couronné par la vieille forteresse où flottait à cinq cents pieds de hauteur le pavillon britannique.

Notre navire s'avançait lentement sur les eaux profondes de notre port, le plus beau du monde, et traçait son sillage dans des miroitements de feu. Derrière nous, Lévis flamboyait, car à toutes les fenêtres de ses maisons le soleil rouge allumait des incendies. En avant, les quais s'al

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