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était néanmoins superstitieux: il professait les opinions d'un déiste; en diverses conjonctures, il s'est expliqué sur le déisme qu'il appelait religion naturelle, raisonnable, bonne. Il n'estimait pas les prêtres, les avait généralement en aversion et les craignait; il redoutait infiniment les jésuites, et les ménageait pour assurer sa conservation, cesoin ne le quittait pas un instant.. Lorsque le roi Très-Chrétien était obligé de remplir son devoir de communion, on présentait, selon l'usage royal, trois hosties consacrées; Louis XVIII, tout absorbé dans son pieux recueillement, jetait un œil scrutateur sur la patène d'or où étaient placées les hosties, et indiquait du doigt celle dont il faisait choix; les deux prêtres qui se tenaient à sa droite et à sa gauche, étaient obligés de communier avec les deux autres.

Dans l'intimité, Louis XVIII allait jusqu'à exiger la flatterie; il s'admirait dans ses courtisans, qu'il méprisait en paraissant les aimer, et les honorer. Quand il le voulait, il était très aimable avec eux et leur adressait des compliments délicats, très spirituels, quoiqu'il les accablât souvent d'ironies sanglantes, << à pointes acérées », disait-il. Le roi traitait ses gens avec une brutalité quelquefois extrême; les bourrades, même les coups de pied ne leur avaient pas été épargnés, aussi longtemps qu'il avait pu agir de ses membres: la plus petite contrariété, le moindre retard dans le service le mettaient hors de lui; il commandait le juron à la bouche. Ce prince était d'une gourmandise, d'une gloutonnerie surprenantes. Ses frais de table s'élevaient mensuellement à plus de 400 000 francs; Napoléon, empereur et roi, n'avait pas dépensé plus de 1 200 000 francs par an pour le même objet. Et, que de souverains, l'usurpateur n'avait-il pas fétés de 1804 à 1814?

Tout le monde a connu les orgies gastronomiques de la Restauration: le père Élysée, célèbre chirurgien de l'hospice de la Charité, attaché à la personne, c'est-à-dire aux infirmités du roi restauré, avait mis la gastronomie en grand honneur dans le palais. Louis XVIII avait porté au plus haut degré « l'art de la gueule », comme dit Montaigne. Il s'exerçait sur ce chapitre avec M. le duc d'Escars, son premier maître d'hôtel. Le roi et le duc

troquaient l'hermine et le brocard contre la veste blanche et le bonnet de coton; les deux illustres cuisiniers déployaient alors dans le silence du cabinet toutes les richesses de leur imagination pour rechercher de nouvelles créations ou pour porter au dernier point << de perfectionnement » les mets de leur invention: et la France lisait ensuite dans le Moniteur « M. le duc d'Escars a travaillé hier avec le roi »>. Le duc et le roi étaient parvenus à préparer « au suprême » les truffes à la purée d'ortolans.

Après s'être servi de son duc d'Escars en qualité d'aide de cuisine ou de marmiton à cordon-bleu, Louis XVIII en faisait son convive; mais cet honneur coûta cher au courtisan. Un plat de truffes ortolanisées, qui eût suffi pour rassasier vingt personnes, est entièrement dévoré en tête à tête, avec plusieurs autres mets d'un raffinement exquis. Le duc se retire et se met au lit. Il est bientôt réveillé par de violentes douleurs. Tous les secours de la médecine lui sont inutilement prodigués, l'indigestion l'emporte et il expire, après avoir avoué la cause de son agonie et exprimé la crainte que le roi n'éprouve un semblable accident.

On se rend en toute hâte à l'appartement de Louis XVIII, pour lui apprendre la catastrophe; il en paraît ému, affligé, mais reprenant aussitôt son cœur et ses sens, il dit avec une sorte d'orgueil « Ce pauvre d'Escars, je le lui avais bien dit ! mon << estomac vaut mieux que le sien, il est plus solide, » et le roi se rendort.

Atteint depuis plus de vingt ans d'infirmités graves, Louis XVIII entra néanmoins dans sa soixante-neuvième année. Il ne faut pas s'en étonner, un roi ne meurt que lorsque toutes les ressources de la science et de l'opulence ne peuvent plus rien contre la nature. Le prince aurait trouvé son tombeau en Angleterre si son exil dans cette île s'était prolongé de quelques mois; il serait mort après sa rentrée en France, si la médecine, la chirurgie, la pharmacie, la chimie, la mécanique, n'eussent rivalisé d'inventions, de talents, d'efforts pour protéger les jours de l'auguste malade. Pendant plusieurs années, Louis XVIII ne vécut que d'une vie artificielle; une hygiène rigoureuse conserva à ses

organes un reste d'énergie, de vitalité; mais, dès la fin de l'année 1821, la sensibilité générale et organique s'affaiblit progressivement, et bientôt ses facultés morales et intellectuelles déclinèrent à vue d'œil. Ce n'était plus qu'un roi moitié homme, moitié fauteuil.

Depuis longtemps, Louis XVIII ne pouvait se soutenir sur ses jambes et se trouvait à la merci de ses domestiques de tout rang; pour le transporter d'une place à l'autre, il fallait employer roulettes, poulies, cordages; on le descendait, on le montait comme un ballot, de ses appartements à son carrosse, au palais du Louvre et on le rapportait de même aux Tuileries. Un exercice violent soutenait encore l'espèce d'existence qui lui restait; aussi, faisait-il presque journellement de longues promenades à cinq et six lieues de Paris, à toute course de chevaux, ayant dans sa voiture trois des premiers gentilshommes de la chambre, tête nue quelque temps qu'il fit. Sa Majesté expectorait fréquemment et en abondance; des serviettes étaient étendues sur les genoux des ducs et courtisans placés près du roi qui lançait au hasard ses crachats d'honneur.

L'autopsie du cadavre mit à découvert l'organisation physique du prince le buste et toute la partie supérieure du corps jusqu'à la ceinture, étaient d'une conformation parfaite; mais, à partir de la taille, il n'y avait presque rien de l'homme. Le roi n'avait aucune virilité, c'est pourquoi il ne pouvait briller, agir, combattre que dans son cabinet, par sa plume ou sa langue, sorte d'héroïsme dont il s'est, au surplus, fort habilement servi pour mourir roi; il dut cet honneur à la Charte.

Louis XVIII regardait la Charte comme son plus beau titre de gloire; il ne l'en aimait pas davantage. Il avait été forcé, il est vrai, de l'octroyer; Charte ou renonciation au trône il fallait choisir. Alexandre ordonna, Louis XVIII proclama la nouvelle loi; en réalité elle fut imposée par les conjonctures militaires et politiques du moment. En 1820, Louis XVIII dit à M. le duc de*** qui se répandait devant lui, en récriminations contre la Charte, << fatale consécration de la Révolution et de la peste démocratique »« Doucement, mon cher duc, je ne l'aime

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<< pas plus que vous; mais la poire n'est pas mûre; chaque chose « en son temps: si je vis encore quelques années, j'effacerai <«< la Charte en la montrant toujours aux Chambres : il faut l'user <«< avant de la tuer, multaque renascentur quæ jam cecidere, cadentque quæ nunc sunt in honore. »

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Peu de semaines avant d'aller rejoindre les débris de ses ancêtres, à Saint-Denis, Louis XVIII dit : « On murmure contre moi, << on se plaint de mon règne; ce sera bien autre chose sous << mon successeur; on ne connaît pas mon frère... on verra!... « Nos nequiores mox daturos progeniem vitiosiorem. »

On fit à Louis XVIII des funérailles splendides auxquelles le clergé s'abstint en partie d'assister; mais la mort de ce prince sonne déjà le glas de la monarchie; un monde nouveau s'est affirmé depuis la Révolution, il revendique ses droits et la liberté opprimée, bientôt dégagée de ses liens, va hautement proclamer ses conquêtes.

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