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Au demeurant, aucun lien de famille n'existait avec les Percin Lavallette Montgaillard, établis à Toulouse, auxquels appartenait le colonel du régiment de Bourgogne, mort maréchal de camp en 1792.

Du côté paternel la parenté n'était pas nombreuse : elle se réduisait à une sœur de M. de Montgaillard qui avait épousé M. Olivier, cultivateur de Fronton, à cinq lieues de Toulouse, et à quelques alliances avec les Quinquiry, d'Aure, Montoussaint, Saint-Germain, Lavallade, etc.; mais du côté maternel le cousinage se répandait en souches et généalogies multiples.

Lagrange. On le soupçonne, entre temps, d'avoir été un des agents secrets du Directoire; il espionne Cambacérès pour le compte de Barras, tant et si bien que le jurisconsulte lui dit un jour : « Citoyen, vous ne servirez plus « dorénavant auprès de moi ceux qui vous emploient à me suivre, car je ne « dirai rien de ce que vous pourrez entendre, et, afin de vous empêcher « de voir ou d'agir, ma porte vous sera désormais fermée. »

Lors de la levée de boucliers que firent les royalistes de Toulouse en 1799, sous la conduite du général Rougé, du comte de Paulo, et du marquis de Villeneuve, propres parents de Montgaillard, l'abbé vendit, dit-on, le complot au Directoire et se sauva à Paris.

On le retrouve plus tard de 1809 à 1814 occupant divers emplois de finance à Cassel, à Vienne et à Lubeck. Il se lie dans cette ville avec M. de Puymaigre qui dit de lui dans ses Souvenirs sur l'émigration (p. 136): « C'était un petit " homme, contrefait, mordant dans son style comme dans sa conversa« tion, âpre, difficile à vivre, mais plein d'esprit. » Sous la Restauration, Honoré de Montgaillard s'occupa uniquement de travaux historiques. Son principal ouvrage, qui eut un succès considérable, l'Histoire de France de 1787 à 1825, a été publié sous son nom, mais avait été en très grande partie préparé par son frère Maurice.

L'abbé de Montgaillard s'est peint lui-même dans sa réponse à Fouché, que le ministre de la police rappelait avec une sorte d'admiration. Dénoncé comme entaché de fanatisme religieux et monarchique et accusé d'avoir trempé, le 21 janvier 1793, son mouchoir dans le sang de Louis XVI, l'abbé de Montgaillard est interrogé. « On assure que vous êtes fanatique et « l'acte dont vous vous êtes rendu coupable au moment de la mort de Capet «<en est une preuve manifeste. Je suis athée en religion, en politique et « en amour », répond l'abbé. — C'était un sceptique, jouisseur parfait, égoïste incorruptible, incapable de déranger ses habitudes en présence des plus graves événements. Il mourut à Ivry le 28 avril 1825, s'étant jeté par la fenêtre dans un accès de folie.

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L'abbé de Montgaillard a pris soin du reste de tracer lui-même dans son testament le portrait de son âme : « J'ai 8000 francs de rente, à qui les léguerai-je? à ma famille ? je la méprise; au clergé? je le déteste; aux pauvres « malades? ils me dégoûtent. Mais si je ne fais pas de testament, c'est le gou« vernement qui sera mon héritier, et le gouvernement m'ennuie mille fois plus que tout le reste. Va donc pour les pauvres malades; ils ne me doivent pas de reconnaissance : car si je teste en leur faveur, ce n'est qu'en « haine de tous les autres. »

Mme de Montgaillard avait une sœur (1) (mariée à Coussin Duvalès, allié aux Montesquiou), et deux frères, le comte et le marquis de Villeneuve du Croisillat (2).

L'aîné fut le plus déterminé chasseur et le plus intrépide buveur du Languedoc. Quoique septuagénaire, ce M. de Croisillat participa en 1799 à l'insurrection toulousaine, dont il était le trésorier, avec M. de Villèle, père du ministre de Charles X. Après la déroute de la bande commandée par le comte de Paulo (3), jeune étourdi dont le général Barbaud, son camarade de Sorèze, eut pitié et qu'il fit évader à Montrejeau, M. du Croisillat, condamné à mort par contumace, fut réduit à vivre pendant sept à huit mois entre deux plafonds, dans une cachette fabriquée de ses mains. Il obtint sa grâce par l'intermédiaire de son neveu Maurice de Montgaillard, alors en faveur auprès de Bonaparte (4).

Le marquis de Villeneuve ayant épousé à Paris une femme de finance fort riche (Me Amblard), se fit grand seigneur, monta dans les carrosses du roi, fut présenté à la cour et produisit une généalogie à la Montesquiou: « Vous êtes les Montmorency du Languedoc », lui avait dit Chérin, en taxant ses quartiers. Le marquis tenait grand état de maison à Saint-Pons-de-Thomières; l'évêque de Saint-Pons, Chalabre, y était fréquemment et l'évêque d'Arras, Conzié, s'y installait lorsqu'il quittait son diocèse.

Ces détails ignorés méritaient d'être connus, car toutes les

(1) Elle servit de marraine à Maurice de Montgaillard.

(2) Ces Villeneuve n'étaient pas de même famille que ceux de Provence, Vence, Trans, Bargemont.

(3) Ce comte de Paulo, allié des Montgaillard, amnistié de tous points après le 18 brumaire, faillit devenir prince de sang impérial. Très bel homme, quoique de peu d'esprit, il plaisait fort à Hortense Beauharnais et encore plus, dit-on, à Joséphine Bonaparte; on parlait mariage, mais sa jactance et ses indiscrétions ne convinrent pas au premier consul; il fut exilé en Languedoc, épousa Mlle de Fontanges, nièce de l'archevêque de ce nom, et mourut peu après.

(4) Une de ses filles, Pauline, épousa un vicomte de Luppé. Son fils, Auguste, émigra et se mourait de misère en Angleterre vers 1792. Il put rentrer en France, à Boulogne, grâce aux soins de son cousin Maurice de Montgaillard, épousa à Bayonne Mlle Bretoux et fut plus tard enrichi par la succession d'un parent éloigné, Villeneuve-Beauville, le bel esprit de la famille, académicien de Toulouse et littérateur des jeux floraux.

biographics se contredisent sur les origines de Maurice Rocques de Montgaillard. Pour les uns, il est fils d'un paysan, d'autres le font naître à Toulouse ou à Villefranche (Rhône); il importait d'indiquer d'une façon certaine dans quel milieu de famille et de parenté il fut élevé. Le fanatisme entoura son berceau; encore au maillot, il fut inscrit au catalogue des pénitents bleus de Toulouse. Un de ses grands oncles paternels avait été dominicain, un oncle maternel était jésuite: il naquit pour ainsi dire entre saint Ignace et saint Dominique, voué à saint François de Sales, dévolu au monarchisme, et cette éducation se prolongea jusqu'au jour où il fut envoyé à l'école royale militaire de Sorèze (mai 1769). Auparavant il avait reçu quelques leçons du curé de son village, l'abbé Roches.

Ce curé offrait la taille, la figure et la maigreur de Don Quichotte, il en possédait le caractère, la trempe d'esprit, c'était le plus grand redresseur de torts judiciaires du Languedoc; il eût défié en champs clos les treize parlements. Couché sur un grabat, sans feu, bravant les saisons, vivant de peu, il distribuait ses revenus aux avocats. Prêtre fort instruit, casuiste rigoureux, homme de mœurs austères, entêté comme une vieille femme, c'était un type de précepteur à l'esprit et au cœur fermés (1). Montgaillard lui dut d'apprendre le latin d'Église.

(1) L'abbé Roches avait la rage des procès, il plaidait contre le domaine, les intendants et le grand conseil, contre l'archevêque, même contre le roi, lorsqu'il trouvait cette bonne fortune. On venait de trente lieues consulter ce nouveau Cujas, ce Vincent de Paul des plaideurs, car il se constituait le défenseur des victimes du fisc. Ses consultations faisaient autorité au barreau; point d'avocat, de filou, de contrebandier qui connût mieux la chicane, le despotisme des coutumes, le vice des ordonnances royales, l'autorité des lois, les exactions de la maltôte administrative, les jongleries du palais et la probité des juges. Quand les troubles de 1789 éclatèrent, le pauvre curé plaida contre la Révolution, protesta, se refusa à tous les serments exigés et ne voulut à aucun prix consentir à dire une messe pour l'âme de Mirabeau, quoiqu'elle en eût, assurait-il, grand besoin. La garde nationale de Villefranche-de-Lauragais vint enlever M. Roches de son presbytère, on le garrotta et il fut emprisonné; il espérait cette fois plaider et de la belle manière, mais ce n'était plus le temps du papier timbré ; M. Roches s'estima heureux de franchir les Pyrénées, se mit dans un couvent à Séville et y mourut de la fièvre jaune. Cet ecclésiastique avait été nommé par la sénéchaussée de Castelnaudary, député aux États généraux; il n'accepta pas et ce fut grand dommage: un pareil original eût fait sensation à Paris.

L'école de Sorèze jouissait à cette époque d'une grande célébrité dans le Languedoc. Maîtres de sciences, de belles-lettres, de beaux-arts, d'exercices physiques, tout s'y trouvait réuni et cette école a conservé de nos jours sa réputation dans le Midi, grâce à Lacordaire dont elle garde les traditions et le souvenir. Dom Despaulx remplissait les fonctions de prieur de l'abbaye et de chef suprême du collège. Ecclésiastique très éclairé, moine philosophe, savant profond, ce religieux était de tous respecté (1). Montgaillard fit ses premières études sous sa direction et sous la surveillance de Samson (que l'on retrouve sous l'Empire, général de division); dom Lamée lui enseigna l'histoire, M. Kueguelin les langues vivantes, dom Blondela (2) la philosophie. La nature l'avait doué d'une imagination active et d'une mémoire prodigieuse; à treize ans c'était un vrai prodige, un Pic de la Mirandole, parlant toutes les langues, phénomène de gentillesse, d'esprit et de science; Montgaillard a dit plus tard que tout ce bagage faisait de lui « un sot très distingué ».

Sur ces entrefaites, Son Altesse Royale, Monsieur, comte de Provence, eut l'académique fantaisie de visiter les provinces méridionales de la France, sous le nom de marquis de Grosbois.

(1) Après avoir régi pendant trente années le collège de Sorèze, dom Despaulx en fut expulsé par dom Ferlus, qui dénonça son chef comme ennemi de la nation et l'obligea à fuir. Dom Despaulx vint à Paris, y prêta le serment constitutionnel et obtint de l'Assemblée constituante une pension de 6000 livres, dont il fut dépouillé après le 10 août 1792. De graves dangers l'attendaient pendant la Terreur; un ancien élève de Sorèze, Payen, put l'en préserver. Payen, membre de la commune de Paris, répondit des principes républicains et du civisme de l'ex-bénédictin; il fit plus, il donna un dîner auquel furent invités Robespierre et Tallien, leur présenta son ancien maître et la vie de dom Despaulx fut de ce jour à l'abri des orages. Le pauvre septuagénaire, donnait pour vivre, des leçons à 24 sols le cachet; logé à l'extrémité du faubourg Saint-Jacques, il allait chercher ses élèves au fond du faubourg Saint-Honoré et faisait des lieues pour gagner un écu; son neveu, Barris, plus tard président à la Cour de cassation, surnommé Barbaris, Marcorelle et Caffarelly, anciens élèves de Sorèze, rappelèrent dom Despaulx à la justice du premier consul qui le nomma inspecteur de l'instruction publique; il remplit ces fonctions pendant dix-huit ans et mourut en 1818, âgé de quatre-vingt-douze ans.

(2) Dom Blondela quitta l'abbaye de Sorèze pour celle de Saint-Valery-surSomme, et le froc du moine pour l'uniforme du soldat. Il fut nommé souslieutenant de hussards, se battit aussi bravement qu'il avait dit la messe, et parvint en deux campagnes au grade de chef d'escadron; il était attaché en 1794 à l'état-major de Lille.

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Il se rendit à Sorèze le 23 juin 1777, et visita le collège avec la pompe d'un fils de France, entouré de seigneurs brillants d'or, de diamants et de croix; MM. de Lévis et de Chabrilland étaient à ses côtés. Dom Despaulx présenta Montgaillard comme l'élève le plus digne de paraître devant un personnage aussi auguste. Le prince s'arrêta, prit un livre et demanda la traduction de l'ode d'Horace « Eheu fugaces posthume. » Montgaillard, pénétré de respect, débita ses explications avec la volubilité d'un écolier maître de son sujet; mais arrivé à cette strophe où le poète latin dit aux grands de la terre : « Linquenda tellus et domus et placens uxor », les larmes le suffoquèrent. Monsieur, étonné, demanda la cause de ces sanglots et Montgaillard, tremblant, hasarda ces mots : « C'est que je n'ose dire au prince qu'il doit mourir un jour. » La naïveté de cette adoration pénétra à travers les broderies royales. Monsieur sourit, demanda le nom de l'élève, s'il était gentilhomme, à quel état le destinaient ses parents, et prenant des mains de M. de Lévis de belles tablettes, y inscrivit le nom de Montgaillard en ajoutant avec grâce: « Voulez-vous être mon page? nous ferons plus ample connaissance; » et sur la timide affirmation de l'enfant, Son Altesse Royale dit: « Dès ce moment vous êtes à moi, petit page, et je prendrai soin de vous. »> «En vérité, cet élève est charmant », ajouta Monsieur en se retournant pour sortir de la classe.

Le prince vint le soir au cabinet d'histoire naturelle, accompagné de son page. Des blocs de pétrifications extraits de la Montagne Noire étaient sur une table et quelques-uns présentaient la forme d'un cœur. «Oh! s'écria Monsieur, en frappant sur « ces pierres, voilà des cœurs bien durs, je ne m'attendais pas « à en trouver ici. Monseigneur, répliqua Montgaillard, ce

<< sont les seuls qui ne s'attendrissent pas en votre présence. << Comment donc, c'est mon petit page de ce matin, il est en vérité << adorable; cet élève ira loin », dit Monsieur en embrassant le jeune courtisan.

Montgaillard fut célébré dans le Courrier d'Avignon, dans le Mercure, dans l'Esprit des journaux (4 juillet 1777). Ses parents ravis s'informèrent aussitôt du trousseau convenable pour un

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