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Harvard College Library

FEE 25 1911
Gift of
Prof. A. C. Coolidge

SOUVENIRS

DU

COMTE DE MONTGAILLARD

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MONTGAILLARD

I. Vie de famille. Naissance de Montgaillard; ses origines, sa famille, son éducation à Sorèze.

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Voyage du comte de Provence

Campagnes sous les

en Languedoc. - Départ pour l'Amérique.
ordres du marquis de Bouillé. Retour en France.

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de Cicé. Montgaillard épouse mademoiselle Duquesnoy. - Relations et alliances.

II. Vie politique.

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sions. Pichegru.

Montgaillard se fixe à Paris. - Premières misPrésentation au prince de Condé. Conspiration de

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Négociations à la cour de Vienne et auprès de l'archiduc Charles. Correspondance avec Mallet du Pan. Montgaillard à Venise. - Il cherche à corrompre Bonaparte. Fauche Borel enlève ses papiers. Arrestation du comte d'Antraigues. — Le 18 fructidor. - La conversation de Montgaillard et de d'Antraigues est-elle authentique? — Principaux passages dévoilant la trahison de Pichegru. Montgaillard livre ses secrets à Roberjot; il correspond avec ce ministre; il est arrêté après le 18 brumaire. Ses mémoires et rapports diplomatiques sous l'Empire; son influence; ses ouvrages. Il continue sous la Restauration ses travaux politiques; ses aptitudes; sa mort.

I

VIE DE FAMILLE.

Jean-Gabriel-Maurice Rocques de Montgaillard dut à des parents peu éclairés, mais honnêtes gens et fort honorés dans

leur canton, ce qu'on appelle le bienfait de l'existence (1); ils n'étaient ni riches, ni répandus dans le monde; à peine connaissait-on leur nom à dix lieues de leur domicile.

Le père, ancien élève de Marmontel (2), sorte de gentilhomme paysan, voltairien à ses heures, vivait tristement dans sa ferme, paralysé depuis vingt ans des suites d'une chute de cheval. Ses prétentions égalaient sa médiocrité : il faisait remonter sa généalogie à 1415, et se disait allié aux maisons de Foix et de Roquefort. Un de ses ancêtres, Étienne Rocques, appelé aussi M. de Cambiac, aurait été porté en octobre 1500, au rôle des nobles citoyens de Toulouse tenant fiefs, exempts d'aller au ban et arrièreban pour le service du roi, et d'après les registres de la «< maison de ville de Tolose », il aurait possédé dans le consulat de Caraman, les terres de Cambiac, de Nonne, de Francarville, etc... et aurait été compris dans le nombre des « hommes d'armes au plus grand devoir ». Le fils de cet Étienne Rocques aurait servi avec zèle la religion réformée et Henri IV l'aurait honoré de deux lettres (3) de témoignages d'estime et de confiance. On voyait encore en 1789 dans la salle d'armes du château de Barbastre, près de Pau, le portrait du capitaine Rocques de Montgaillard; il y était placé avec ceux des gentilshommes qui défendirent la cause du Béarnais et dont Henri IV appréciait le dévouement. Ce Rocques Montgaillard, septième aïeul, était seigneur de la terre de Montgaillard et appelé de ce nom. Les filles d'un autre Rocques de Varangeville, ambassadeur de France à Venise, établi en Normandie, auraient épousé le maréchal de Villars et le président de Maisons.

Ces prétentions, qu'aucun document sérieux ne justifie, ont pesé sur toute l'existence de Maurice de Montgaillard; elles pénétrèrent son esprit dès l'enfance d'une immense vanité, et peuvent en quelque sorte expliquer les rancunes, les haines d'un homme qui s'estimait très haut et se vit dédaigné, au cours de l'émigration, par les favoris d'ancien régime.

(1) Il naquit le 16 novembre 1761 au bourg de Montgaillard, situé à peu de distance de Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne).

(2) Marmontel avait été professeur au collège de l'Esquille, à Toulouse. (3) Nérac, 1577 et 1578.

Quoi qu'il en soit, il est certain que les Rocques de Montgaillard faisaient partie de la noblesse de Languedoc (1). Lors de la convocation des États généraux ils reçurent assignation par M. Gauzy, juge mage en la sénéchaussée de Castelnaudary, pour assister et concourir à la nomination des députés. L'assignation portait: A M. Rocques de Montgaillard, seigneur de Montgaillard, au principal manoir dudit fief, situé à Montgaillard. Et il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale des trois ordres de la sénéchaussée de Castelnaudary, en date du 28 février 1789, que M. de Rocques, co-seigneur de Montgaillard, fut représenté à cette (assemblée par Jacques de Ricard, seigneur et baron de Villeneuve (2).

Le père de Montgaillard avait acheté à M. de Saint-Félix de Mauremont, une partie des censives et droits de justice qu'il possédait à Montgaillard; les religieux bernardins de Boulbonne tenaient le reste, et le roi était aux trois quarts seigneur haut justicier du village comme comte de Lauragais. Les censives et droits donnaient un produit annuel de onze à douze cents livres, ce qui portait à huit mille livres le revenu total de la famille, qui possédait encore une maison à Toulouse (3). Ces revenus étaient modiques, mais suffisants pour tenir à cette époque un rang honorable en province.

Marie-Anne-Louise de Villeneuve du Croisillat, mère de Maurice de Montgaillard, avait apporté en dot vers 1759 plus de par

(1) On peut citer en ce qui les concerne la lettre suivante, relative à la conscription, adressée à M. de Rocques, seigneur de la Peirière, à Montgaillard. « Monsieur, le roi ayant convoqué l'arrière-ban et désirant un certain nombre de gentilshommes pour servir cette année, j'ai ordre de vous avertir que vous êtes du nombre de ceux que M. le comte de Broglie, lieutenant général des armées du roi et commandant en cette province, a choisis; que vous ayez à faire votre équipage, à vous bien monter et vous rendre le 12 de mai prochain à Carcassonne, où l'assemblée se fera, et où vous recevrez les avis du roi pour marcher où il lui plaira de vous commander; ce sont des ordres précis auxquels vous ne devrez pas manquer. »>

Signé de MARION LAIGER, lieutenant principal.

Castelnaudary, le 25 avril 1689.

V. page 31, note 2, le blason supposé de la famille de Montgaillard. (2) Arch, Nat. B. III 42, p. 84, 104.

(3) Cette maison, située rue des Pénitents-Gris, fut vendue en 1766 pour 27000 francs et l'école de chirurgie y fut installée.

chemins que d'écus. C'était une personne altière et ignorante, très satisfaite d'elle-même, quoique défigurée par la petite vérole, et qui paraît avoir mené aussi rudement son mari que ses enfants.

Ceux-ci étaient au nombre de quatre: Maurice, désigné plus tard sous le nom de comte de Montgaillard; Xavier, qui prit le titre de marquis (1); Honoré, qui se donna celui d'abbé de Montgaillard (2), et une sœur qui épousa en Languedoc M. de Saint-Félix des Varennes.

(1) Bernard-François-Xavier de Montgaillard, né à Montgaillard le 11 novembre 1764, placé à Brest dans la marine en qualité d'aspirant, fut renvoyé de son corps; nommé plus tard sous-lieutenant au régiment de Bourbon, il émigra après l'assassinat du vicomte de Belzunce, se rendit dans les PaysBas et revint à Paris à la fin de 1792. Réfugié chez Mme de Montmignon, belle-sœur de son frère Maurice, il épousa Marie-Charlotte-GenevièveAntoinette de Montmignon. Ces Montmignon, originaires de la Somme, n'étaient pas riches, mais ils attendaient la succession de la marquise de Crussol d'Amboise, née Bercin, petite-fille et unique héritière du ministre de la guerre Le Blanc, destitué et mis à la Bastille sous la Régence; celui-ci avait laissé en mourant une fortune de huit millions et sa petite-fille en avait bien recueilli deux cent mille livres de rente, deux beaux hôtels rue Saint-Florentin n° 3, un boisseau de diamants et la plus belle vaisselle plate de Paris: les Montmignon et les Mesgrigny se trouvaient ses plus proches parents. Mme de Crussol périt sur l'échafaud avec Mme Élisabeth; son mari avait été massacré dans la journée du 10 août. Quoique la condamnation révolutionnaire eût fortement entamé la fortune de la marquise, les héritiers Montmiguon en eurent encore de très beaux restes; Xavier de Montgaillard reçut des droits de sa femme plus de cent mille écus. Rentré en France vers 1799, il paraît avoir été chargé par Louis XVIII d'une mission auprès de Charette. Il fut arrêté le 5 pluviôse an VIII, enfermé au Temple avec Saint-Aubin de Sandouville, et remis en liberté le 11 du même mois. Il mourut vers 1840 en Picardie dans les terres de sa femme (Arch. Nat., 6237). (2) Guillaume-Honoré de Montgaillard. né le 4 juin 1772 à Montgaillard, fut élevé à l'école militaire de Sorèze. Battu un jour par ses camarades et lancé sur les pentes des montagnes au pied desquelles est située la petite ville de Sorèze, il roula de rochers en rochers et se démit l'épaule. On destina ce bossu à l'Église et on l'envoya aux doctrinaires de Gimont, près Auch; il y fit de bonnes études et par l'appui de son frère, Maurice, lié avec Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, il fut placé au séminaire de Saint-Raphaël. Le prélat se proposait de le nommer grand vicaire et de lui conférer la cure de Saint-Estèphe, mais la Révolution survint et le petit collet se sauva en Espagne ; il rejoignit à Séville le curé de son village, gagna Gibraltar, et se rendit en Angleterre, où il fut admis auprès de plusieurs personnages célèbres, Burke notamment. Il habita Hambourg, plusieurs villes d'Allemagne, et on le trouve à Rastadt pendant la tenue du congrès.

Rentré en France en 1799, il y vécut dans l'oisiveté jusqu'en 1805, époque où il fut employé dans l'administration militaire sous les ordres du général

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