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nistère était assuré d'une forte majorité, avait renoncé à proposer aucune résolution.

La politique de l'entente cordiale qui triomphait ainsi à Paris et à Londres allait trouver une confirmation nouvelle dans une démarche personnelle de la reine Victoria. LouisPhilippe, enchanté de ses deux premières entrevues avec la Reine, en 1843 à Eu, en 1844 à Windsor, eût vivement désiré qu'une telle rencontre se renouvelât tous les ans, tantôt d'un côté du canal, tantôt de l'autre'. Il n'avait pas semblé d'abord que ce désir eût chance d'être réalisé en 1845. La Reine avait résolu d'employer le mois d'août à faire une sorte de pèlerinage de famille en Saxe, dans le pays de son cher Albert; sur la route, elle devait rendre au roi de Prusse la visite que celui-ci lui avait faite à Londres, en janvier 1842. A ces déplacements, on ne jugeait pas possible d'ajouter un voyage en France qui eût d'ailleurs témoigné trop clairement la volonté d'ôter toute portée politique aux politesses faites en Allemagne. Louis-Philippe avait été informé de cette impossibilité et s'y était résigné, non sans regret. « Je vois bien, écrivait-il à la reine des Belges, le 12 mai, que, pour cette année, we are completely out of the question. » La reine Victoria se mit en route le 8 août. Après être passée par la Belgique, et avoir accepté, à Brühl, près de Cologne, l'hospitalité de FrédéricGuillaume, qui profita de la circonstance pour évoquer dans un toast le souvenir de Waterloo, elle séjourna quelques

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1 Le Roi s'en était souvent expliqué avec le roi et la reine des Belges, qui étaient ses intermédiaires habituels avec la cour d'Angleterre. Il écrivait notamment à la reine des Belges, le 12 mai 1845 : Ce que je désire, c'est que tout s'arrange de manière que nous puissions nous donner des cals réciproques, on both sides of the channel. » (Revue rétrospective.) — Lord Palmerston écrivait à son frère, le 16 mars de la même aunée : « Louis-Philippe désire que la Reine vienne le voir à Paris, l'été prochain, et offre de lui rendre sa visite l'année d'après. Il dit que, dans l'état présent des relations entre les deux pays, les souverains devraient se rencontrer tous les ans. » (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 151.)

2 Revue rétrospective.

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Messieurs,

3 Voici ce toast, qui ne manquait pas d'une certaine éloquence remplissez vos verres! Il y a un mot d'une inexprimable douceur pour les cœurs britanniques et allemands. Il y a trente ans, on l'entendit proférer sur les hauteurs de Waterloo par des voix anglaises et allemandes, après des jours de com

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semaines en Saxe, se prenant d'une vive affection pour cette « chère petite Allemagne » sur laquelle rejaillissait quelque chose de sa tendresse conjugale. Durant ce temps, l'adroite insistance de la reine des Belges qui avait accompagné, pendant plusieurs jours, la royale voyageuse, et aussi le désir de plaire à la France, d'y contre-balancer l'effet que pouvaient y produire des incidents tels que le toast à Waterloo, déterminèrent la reine Victoria à modifier ses projets et à terminer sa tournée par une courte visite au château d'Eu. Elle y arriva en effet le 8 septembre. Suivant son désir, la réception garda un caractère absolument intime2. Tout s'y passa à merveille. La Reine fut charmée. LouisPhilippe était radieux. Après vingt-quatre heures, les deux familles royales se séparèrent plus attachées que jamais l'une à l'autre. Cette visite, à laquelle on ne s'attendait pas en Europe, y fut fort remarquée. Au delà du Rhin, on en ressentit une vive mortification dont la trace se trouve dans la correspondance de M. de Metternich. En France, au con

bat terribles, pour marquer le glorieux triomphe de nos frères d'armes. Aujour d'hui, il résonne sur les rives de notre Rhin bien-aimé, au milieu des bénédictions de la paix qui est le fruit sacré du grand combat ce mot, c'est Victoria!» Messieurs, buvez à la santé de S. M. la reine Victoria et à celle de son auguste

consort. »

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1 Journal de la Reine, cité par sir Théodore MARTIN. (The Life of the Prince Consort.)

Ce fut au cours de cette visite que furent échangées, au sujet du mariage du duc de Montpensier avec l'infante, sœur de la reine d'Espagne, des explications importantes sur lesquelles j'aurai à revenir quand je raconterai les négociations relatives aux mariages espagnols.

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3 « Le voyage de la reine d'Angleterre en Allemagne, écrivait M. de Metternich au comte Apponyi, n'a point eu de succès. Des circonstances peu dignes d'égards dans d'autres temps que les nôtres ont contribué à ce fait. Ce qui a fini par effacer les bonnes impressions, car, parmi de regrettables, il y en a eu aussi de bonnes, c'est la visite à Eu. Cette visite, qui de tout temps avait été méditée par le roi Louis-Philippe, a été habilement amenée par l'intermédiaire de la reine des Belges... Sous l'influence de la famille de Cobourg, les raisons contraires au projet du roi des Français ont été étouffées........... La visite à Eu n'a été qu'une scène de la pièce qui se joue et dans laquelle tout le monde, auteur, acteurs et spectateurs, est mystifié ou mystificateur. » (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 102.) — M. de Metternich s'était rencontré avec la reine Victoria au château de Stolzenfels, sur le Rhin. « J'ai trouvé le prince, écrit la Reine dans son Journal, notablement plus âgé que je ne m'y attendais, dogmatisant beaucoup, parlant lentement, mais du reste très aimable. »

traire, la satisfaction fut générale. Venant au lendemain d'un succès de notre diplomatie, cette démarche ne pouvait avoir, même pour les esprits les moins bien disposés, qu'une interprétation flatteuse à l'amour-propre national.

Tous ces événements profitaient au cabinet, dont ils justifiaient la politique. Sa situation, naguère ébranlée, était maintenant tout à fait raffermie. Aucune menace à l'intérieur, aucune difficulté pressante au dehors. Depuis longtemps,. M. Guizot n'avait pas connu semblable tranquillité et sécurité. Après la vie si rude qu'il venait de mener, après tant de contretemps accumulés, de luttes continues, de fatigues sans répit, d'angoisses sans cesse renouvelées, le ministre, qui, aussitôt la session finie, était parti pour sa chère résidence du Val-Richer, jouissait de ce repos dans le succès. Parfois, cependant, il consentait à sortir de sa retraite. Ainsi avait-il eu, peu avant la visite de la reine d'Angleterre, l'occasion de prononcer, à un banquet offert par ses électeurs normands, un discours qui, dans le silence relatif des vacances parlementaires, eut un grand retentissement. Ce qui distinguait ce discours, c'était l'accent particulier de sérénité victorieuse avec lequel l'orateur parlait des luttes qu'il venait de soutenir : « Ces luttes si vives, disait-il, quelquefois si rudes, je ne m'en suis jamais plaint, je ne m'en plaindrai jamais. C'est la condition de la vie publique dans un pays libre. Des hommes que le monde honore et à côté desquels je tiendrais à grand honneur que mon nom fût un jour placé, ont été tout aussi attaqués, tout aussi injuriés, tout aussi calomniés que moi. Ils n'en ont pas moins continué à servir leur pays; ils n'en sont pas moins restés entourés de son regret... Le dirai-je, messieurs? je trouve qu'on est envers l'opposition, envers les journaux, à la fois trop exigeant et trop timide. On leur demande une impartialité, une modération, une justice que ne comportent guère nos situations réciproques et la nature de notre gouvernement. Ils ont leurs passions, nous avons les nôtres. Acceptons, tolérons notre liberté mutuelle, au lieu de nous en plaindre... C'est là une part du mouvement, de l'activité de la vie politique, et il en résulte,

à tout prendre, beaucoup plus de bien que de mal. Mais, en mėme temps que j'accepte franchement et sans me plaindre la liberté de la presse politique, ses écarts, ses injustices, ses rigueurs, je regarde comme une nécessité et comme un devoir de conserver avec elle la plus complète indépendance, de ne me laisser conduire ni par ses avis, ni par le besoin de ses éloges, ni par la crainte de ses attaques. Je m'applique, en toute occasion, à ne tenir compte que des choses mêmes, des vrais intérêts de mon pays... Permettez-moi, messieurs, de vous engager à en faire autant. Vous, mes amis politiques, lisez les journaux, sans yous irriter ni vous plaindre de leur rudesse, de leur violence; mais gardez avec eux la pleine indépendance de votre pensée; jugez les hommes politiques non d'après ce que ces journaux en disent, mais d'après la connaissance personnelle que vous en avez. » Pour faire un essai de cette méthode", M. Guizot invitait ses auditeurs à considérer ce qu'il appelait « les résultats généraux, acquis, évidents » de la politique conservatrice. Il montrait, au dedans, « le régime constitutionnel se déployant tous les jours librement et grandement »; au dehors, le gouvernement de la France non seulement << parfaitement indépendant en Europe », mais recevant partout les témoignages d'une « grande considération », et voyant des États constitutionnels se former à son image et sous son influence, en Belgique, en Espagne, en Grèce. « Tout cela, s'écriait-il, s'est accompli, tout cela s'accomplit chaque jour, sans violence, sans guerre. Nous avons réussi à consommer une révolution, à fonder un gouvernement nouveau, au dedans par la légalité, au dehors par la paix. » Et alors, se redressant, pour ainsi dire, en face de cette opinion par laquelle il avait été naguère méconnu, mais à laquelle, en ce moment, il en imposait par son succès : « Je n'hésite pas à le dire, messieurs, et je le dis avec un orgueil juste et permis, car c'est de notre pays lui-même et de notre gouvernement tout entier que je parle, il y a là de quoi être satisfait et fier. »

CHAPITRE VIII

LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT.

I. La paix religieuse sons le ministère du 1er mars et au commencement du ministère du 29 octobre. II. Le projet déposé en 1841 sur la liberté d'enseignement. Les évêques, menacés dans leurs petits séminaires, élèvent la voix. C'est la lutte qui commence. III. L'irréligion dans les collèges. M. Cousin et la philosophie d'État. Attaques des évèques contre cette philosophie. Livres et brochures contre l'enseignement universitaire. L'Univers et M. Veuillot, Parmi les catholiques, certains blament les excès de la polémique. IV. M. Cousin et ses disciples en face de ces attaques. Renaissance du voltairianisme. V. M. de Montalembert et le parti catholique. Il ne veut agir qu'avec les évêques. Difficulté de les amener à ses idées et à sa tactique, Mgr Parisis. M. de Montalembert secoue la torpeur des laïques. Il manque parfois un peu de mesure. L'armée catholique fait bonne figure au commencement de 1844. VI. L'Université et ses défenseurs repoussent la liberté. Diversions tentées par les partisans du monopole. Les « Cas de conscience ». Les Jésuites. Les cours de M. Quinet et de M. Michelet au Collège de France. Le livre du P. de Ravignan, De l'existence et de l'Institut des Jésuites. VII. Dispositions du gouvernement. M. Guizot, M. Martin du Nord et M. Villemain. La majorité. Le Roi. Ses relations avec Mgr Affre. VIII. Les bons rapports du gouvernement avec le clergé sont altérés. Difficultés avec les évèques. Mécontentement des universitaires. Attitude effacée du ministère dans les débats soulevés à la Chambre. M. Dupin et M. de Montalembert. — IX. Le projet de loi déposé en 1844 sur l'enseignement secondaire. Le rapport du duc de Broglie. La discussion. Échecs infligés aux universitaires et aux catholiques. X. Le rapport de M. Thiers. M. Villemain remplacé par M. de Salvandy. XI. L'affaire du Manuel de M. Dupin. Nouvelles attaques contre les Jésuites. — XII. M. Thiers s'apprête à interpeller le ministère sur les Jésuites. Le gouvernement embarrassé recourt à Rome. Mission de M. Rossi. La discussion de l'interpellation. Les catholiques se préparent à la résistance. Note du Moniteur annonçant le succès de M. Rossi. — XIII. M. Rossi à Rome. Le Pape conseille aux Jésuites de faire des concessions. Equivoque et malentendu. XIV. Effet produit en France. Les mesures d'exécution. Tristesse des catholiques. Étaitelle fondée? Apaisement à la fin de 1845. Un discours de M. Guizot. Les catholiques et la monarchie de Juillet.

Tandis

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que dans la région plus particulièrement politique et parlementaire se succédaient les événements divers que

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