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putable uniquement aux adversaires du clergé, n'avait pas cependant fait sortir ce dernier de son attitude pacifique. A cette époque, d'ailleurs, l'idée de la liberté d'enseignement n'était encore dans le monde religieux qu'une thèse d'avantgarde, suspecte à plusieurs pour avoir figuré sur le programme du journal l'Avenir. Pendant les deux ou trois années qui suivirent, les ministères, absorbés par des crises parlementaires incessantes, ne songèrent guère à exécuter la promesse de la Charte. Ce fut seulement en 1839 que l'on commença, du côté des catholiques, à parler un peu de cette liberté, si longtemps ajournée. Encore ceux d'entre eux qui s'en occupaient le plus ne pensaient-ils pas à entreprendre une campagne d'opposition; ils tâchaient d'arriver, par des négociations pacifiques, à une transaction entre le clergé et l'Université. M. de Montalembert fut mêlé assez activement aux pourparlers engagés, en 1839 et en 1840, avec MM. Villemain et Cousin qui s'étaient succédé au ministère de l'instruction publique. L'esprit de conciliation, qui paraissait régner de part et d'autre, avait fait un moment espérer le succès; mais, chaque fois, les ministres tombèrent avant que rien fût conclu. Ces négociations furent reprises lorsque le cabinet du 29 octobre 1840 fut constitué et sorti de ses premières difficultés. Les réclamations des catholiques, sans avoir pris encore de caractère hostile, devenaient plus pressantes. Enfin, en 1841, un nouveau projet de loi fut déposé.

Ne fallait-il pas s'attendre à quelque chose d'aussi satisfaisant pour le moins que le projet de 1836? N'était-on pas plus loin encore des préjugés et des passions de 1830? L'auteur de ce projet de 1836, M. Guizot, n'était-il pas le principal membre du cabinet du 29 octobre? Et cependant ces espérances, qui semblaient si fondées, furent trompées. L'exposé des motifs contestait jusqu'au principe de la liberté promise par la Charte. Quant à la loi elle-même, par les exigences de grades et par les autres conditions compliquées, génantes, parfois blessantes, imposées aux concurrents de

l'Université, elle rendait à peu près illusoire la liberté nominalement concédée. Il semblait que ce projet fût marqué du vice le plus propre à détruire l'effet d'une réforme libérale, le manque de sincérité. Comment expliquer une pareille déception? M. Guizot, absorbé par la direction des affaires. extérieures alors si graves, avait eu le tort de laisser tout faire par le ministre de l'instruction publique, M. Villemain. Celuici, moins homme d'État que professeur, d'un esprit plus vif que large, partageait les préventions de l'Université contre l'enseignement libre, et c'était sous l'influence d'un esprit de corps fort étroit qu'il avait rédigé son projet; non qu'il songeât à ouvrir les hostilités contre le clergé; mais, connaissant imparfaitement les choses et les hommes du monde ecclésiastique, il ne s'était pas rendu compte à l'avance de l'effet qu'il allait produire. Dans cet acte qui devait avoir de fàcheuses et lointaines conséquences, qui commençait la guerre là où la paix était si désirable et semblait si désirée, il y eut, non seulement chez M. Guizot, mais même chez M. Villemain, plus d'inadvertance que de malveillance.

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Et encore, si le projet n'avait fait que soumettre l'enseignement libre à des conditions trop rigoureuses, l'opposition n'eût peut-être pas été bien bruyante, tant on était alors, du côté des catholiques, peu disposé à livrer bataille. Mais le ministre avait commis la faute de toucher aux petits séminaires, dont j'ai déjà eu occasion d'indiquer la situation particulière son projet leur enlevait l'espèce de privilège, chèrement acheté, qui les avait laissés jusqu'ici sous la direction exclusive de l'épiscopat; il les soumettait au droit commun fort peu libéral de la loi nouvelle et les plaçait sous la juridiction de l'Université. Les évêques estimèrent, non sans raison, que ce régime compromettait l'existence des écoles ecclésiastiques et leur rendait notamment à peu près impossible de trouver des professeurs. Ils se voyaient ainsi attaqués sur le terrain étroit, modeste, strictement enclos, qu'on leur

1 Cf. t. III, ch. IX, § IV.

avait réservé en dehors du large domaine de l'Université. Jusqu'alors ils s'étaient tenus à l'écart des polémiques relatives à la liberté d'enseignement; d'ailleurs, par un reste de cette intimidation qui, au lendemain de 1830, avait empéché qu'aucune soutane se montrat dans les rues, ils répugnaient à toute démarche qui les eût fait sortir du sanctuaire. Mais, cette fois, se voyant menacés dans ce sanctuaire même, ils ne purent se contenir. Spontanément, sans y être poussés par aucun homme politique, par aucun journal, la plupart laissèrent échapper un cri public d'alarme et de protestation. Les feuilles religieuses se trouvèrent remplies, pendant plusieurs mois, des lettres que plus de cinquante prélats adressèrent, l'un après l'autre, au gouvernement, presque toutes d'un ton grave et triste, quelques-unes d'un accent plus vif et presque comminatoire. Ébranlé par cette plainte générale de l'épiscopat, mal accueilli d'ailleurs par la commission de la Chambre plus libérale que le ministre, non soutenu par le gouvernement qu'un tel orage surprenait et désappointait, le projet sut retiré, avant d'avoir été même l'objet d'un rapport.

Les conséquences de cette tentative maladroite et malheureuse devaient survivre au retrait de la loi; sans le vouloir et sans s'en douter, on avait fait sortir l'Église de France de l'expectative muette, patiente, presque confiante, où, malgré le rejet du projet de 1836, elle s'était renfermée depuis dix ans; on avait fait naître l'agitation dans une région naguère calme et silencieuse. Qui peut dire où elle s'arrêtera? Pour apprendre à combattre en faveur des intérêts généraux, il faut, d'ordinaire, avoir été frappé dans ses intérêts particuliers. C'est un peu ce qui est arrivé aux évêques. Pour le moment, leurs protestations contre le projet de 1841 portent presque exclusivement sur les dispositions relatives à leurs petits séminaires; à peine, sous forme de prétérition timide, indiquent-elles les défauts du projet. en ce qui concerne les établissements libres; quelques pré

lats même déclarent, comme l'archevêque de Tours, que cette dernière question n'est pas de leur ressort. Mais attendez le champ de bataille ne tardera pas à s'élargir.

III

Ceux des évêques qui, subissant l'entraînement d'une polémique une fois engagée, se hasardèrent bientôt à regarder au delà de leurs petits séminaires, furent tout d'abord amenés à examiner la valeur morale et religieuse de cette éducation universitaire à laquelle on paraissait ne vouloir permettre aucune concurrence, et surtout aucune concurrence ecclésiastique. Telle fut la première forme du débat : ce n'était pas la moins délicate ni la moins irritante. Mais fallait-il s'étonner que des prélats, préoccupés par état du soin des âmes, envisa geassent la question à ce point de vue? On ne peut nier que plus d'un fait ne fût de nature à émouvoir leur sollicitude.

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L'éducation religieuse n'existe réellement pas dans les collèges, écrivait alors un protestant. Je me souviens avec terreur de ce que j'étais au sortir de cette éducation nationale. Je me souviens de ce qu'étaient tous ceux de mes camarades avec lesquels j'avais des relations... Nous n'avions pas mėme les plus faibles commencements de la foi et de la vie évangélique'. M. Sainte-Beuve s'exprimait ainsi, en 1843 :

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« En masse, les professeurs de l'Université, sans être hostiles à la religion, ne sont pas religieux. Les élèves le sentent, et de toute cette atmosphère ils sortent, non pas nourris d'irréligion, mais indifférents... Quoi qu'on puisse dire pour ou contre, en louant ou en blàmant, on ne sort guère chrétien des écoles de l'Université2. »

Sans doute c'était le mal du temps, plus encore que la faute de tels ou tels hommes et surtout de tel ou tel gouvernement.

1 A. DE GASPARIN, les Intérêts généraux du protestantisme en France.

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L'Université était l'image de la société, telle que l'avaient faite le dix-huitième siècle et la Révolution. L'état des collèges n'avait pas été meilleur sous la Restauration, au temps de Mgr Frayssinous; peut-être même avait-il été pire, et la religion s'y était-elle trouvée plus impopulaire, à raison même des efforts tentés par les Bourbons pour la protéger'. Mais, en dehors de ce mal général du temps sur lequel il était plus naturel de gémir qu'il n'était aisé d'y remédier, un fait nouveau, survenu depuis 1830, donnait particulièrement prise aux critiques de l'épiscopat. L'enseignement philosophique de l'Université, par lequel devaient passer tous les aspirants au baccalauréat, s'était émancipé de la religion, à laquelle il avait été jusque-là plus ou moins subordonné, et était passé sous l'autorité d'une école, ou pour mieux dire d'un homme : cet homme était M. Cousin. A défaut de la religion d'État supprimée par la Charte de 1830, on avait une philosophie d'État. Un régime politique ne vit pas seulement de lois constitutionnelles, administratives ou économiques; il lui faut une doctrine. Le choix de cette doctrine est chose grave pour lui, pour sa force morale, pour l'action qu'il exercera sur les esprits, pour la trace qu'il laissera dans la vie de la nation. Si la monarchie de Juillet apparaît liée à la philosophie « éclectique », c'est moins par une préférence voulue et réfléchie de sa part, que par l'effet des circonstances. Bien que M. Cousin n'eût été personnellement pour rien dans le soulèvement de juillet 1830, l'importance acquise par lui dans le mouvement libéral de la Restauration, l'habitude où l'on était, depuis quinze ans, de le voir marcher à la tête des générations nouvelles 2, l'avaient placé naturellement au premier rang des vainqueurs, de ceux qui devaient avoir part aux dépouilles. Avide de « paraître et de « faire

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1 On peut voir, dans un mémoire rédigé, peu avant la révolution de Juillet, par les aumôniers des collèges de Paris, des détails navrants sur ce sujet et, pour ainsi dire, la statistique des naufrages dans lesquels périssaient les âmes des jeunes collégiens. M. Foisset a donné des extraits de ce mémoire, dans la Vie du P. Lacordaire (t. I, p. 86 à 91).

2 Sur M. Cousin avant 1830, voir ce que j'en ai dit dans le Parti libéral sous la Restauration, p. 233.

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