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rités, les partis se former pour pousser tel ou tel candidat, les prétendants descendre dans la lice, les membres de la famille royale peut-être se diviser ou, en tout cas, être mis sur la sellette et violemment discutés. Quoi de plus contraire au principe monarchique, qui est précisément de ne pas livrer périodiquement l'autorité suprême aux luttes des partis et aux brigues des ambitieux! Mieux valait donc établir d'avance une règle permanente qui ne laissait plus place à aucune compétition. Sans doute on se privait ainsi de choisir le régent d'après son mérite personnel; mais, comme le disait le feu duc de Broglie, « hasard pour hasard, hasard, c'est la nature du gouvernement monarchique de préférer les chances paisibles de la naissance aux chances turbulentes de l'élection 1» .

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Du principe que la royauté temporaire devait étre assimilée à la royauté définitive, le gouvernement tira cette autre conséquence que la régence serait déférée au prince le plus proche du trône dans l'ordre de succession établi par la Charte. C'était étendre la loi salique à la régence, en exclure les femmes et particulièrement la mère du roi mineur. Il y avait sans doute dans notre histoire de nombreux précédents en sens contraire. Mais on estima que, de notre temps, dans une société démocratique où la royauté est tant discutée, souvent même tant outragée, il ne convenait pas de mettre le pouvoir aux mains d'une femme, qu'elle y trouverait trop de souffrances et n'y apporterait pas assez d'autorité. Du reste, le projet attribuait à la mère une autre tâche que l'on jugeait utile de séparer du gouvernement de l'État, afin de la soustraire aux vicissitudes de la politique et aux exigences des partis : c'était la garde, la tutelle et par suite l'éducation du jeune roi. Si graves que fussent ces considérations théoriques, elles ne pesèrent pas seules dans la décision. Derrière la question de principe, chacun avait vu tout de suite la question de personne : la régence masculine, c'était le duc de Nemours; la régence féminine, la duchesse d'Orléans. Tous deux sans doute étaient, à des titres

1 Rapport fait à la Chambre des pairs.

divers, très dignes de cette haute mission. Nul ne pouvait contester la rare probité du duc de Nemours, l'élévation de ses sentiments, son désintéressement absolu : « Nemours est le devoir personnifié, disait souvent son frère ainé; je ne prends jamais une décision importante sans le consulter. » Quant à la duchesse d'Orléans, c'était une àme généreuse et une intelligence supérieure. Toutefois, entre les deux, le Roi avait une préférence très décidée. De la part de la duchesse, il croyait avoir à craindre une certaine recherche de popularité libérale; à la suite de son mari, le devançant même au besoin, elle avait été vue souvent en coquetterie avec les hommes de gauche. Aucune inquiétude de ce genre au sujet du duc de Nemours, qui avait toujours été fort docile aux inspirations de son père et qui, par ses tendances personnelles, passait pour être plutôt en sympathie avec les hommes de la résistance; avec lui, LouisPhilippe était mieux assuré de voir continuer, après sa mort, au dedans et au dehors, ce qu'il appelait « son système ». Du reste, le candidat ainsi préféré par le Roi était celui qu'avait désigné le duc d'Orléans lui-même; dans son testament, après avoir rendu hommage << au noble caractère, à l'esprit élevé et aux facultés de dévouement » de sa femme, après avoir exprimé le désir « qu'elle demeuràt, sans contestation, exclusivement chargée de l'éducation de ses enfants », le prince royal ajoutait : แ Si par malheur l'autorité du Roi ne pouvait veiller sur mon fils aîné jusqu'à sa majorité, Hélène devrait empêcher que son nom fût prononcé pour la régence et désavouer hautement toute tentative qui se couvrirait de ce dangereux prétexte pour enlever la régence à mon frère Nemours, ou, à son défaut, à l'aîné de mes frères. » Fidèle à son mari jusqu'après la mort, la duchesse d'Orléans fut la première à faire connaître la volonté qu'il avait exprimée, et elle ne permettait pas qu'on parut douter de la résolution où elle était de s'y conformer'.

Les autres points présentèrent moins de difficultés. Toujours

Ainsi fit-elle avec M. Dupin, la première fois qu'elle le vit après la catastrophe. (Mémoires de M. Dupin, t. IV, p. 178.) Quelques jours plus tard, lorsque M. de Lamartine soutint, à la Chambre, la thèse de la régence féminine, elle en fut fort

par application du même principe, le ministère décida de proposer que le régent serait inviolable comme le Roi et aurait le plein et entier exercice de l'autorité royale. Si nous ajoutons que l'âge de la majorité était fixé à dix-huit ans, nous aurons fait connaitre toutes les dispositions du projet qu'on avait fait à dessein court et simple, pour en rendre l'adoption plus facile et plus prompte. « Ce projet, écrivait alors M. Guizot, n'a point la prétention de prévoir et de régler toutes les hypothèses imaginables, toutes les chances possibles; il résout les questions et pourvoit aux nécessités que les circonstances nous imposent.

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Les motifs qui avaient déterminé le Roi et son conseil à écarter la régence élective et maternelle étaient précisément ceux qui la faisaient préférer par les opposants. Ceux-ci, très prononcés pour la duchesse d'Orléans qu'ils imaginaient être en sympathie avec eux, prenaient prétexte de ce que le duc de Nemours se tenait, avec une dignité un peu froide, plus à l'écart de la foule que les autres membres de sa famille, pour soutenir qu'il était impopulaire'. Toutefois, dans le sein même de cette opposition, le projet ministériel rencontra un avocat inattendu et puissant ce fut M. Thiers. Il ne voulait pas sans doute plus de bien que par le passé à M. Guizot et à ses collègues, mais une préoccupation supérieure dominait alors chez lui toutes les autres effrayé de la brèche faite à la monarchie de 1830 par la catastrophe du 13 juillet, il estimait nécessaire de faire du vote unanime de la loi de régence une grande manifestation dynastique. Il jouait ce rôle nouveau, avec sa vivacité accoutumée : « On ne peut se faire une idée, a raconté l'un de ceux qu'il s'appliquait alors à convertir, de tout ce que M. Thiers dépensa d'esprit, d'habileté, d'activité, pour ramener à son opinion le centre gauche et la gauche dynastique. Pendant quinze jours, son salon, son cabinet furent des clubs où il pérorait du matin au soir, sans jamais se lasser, sans jamais se

mécontente. « Il n'a pas parlé pour moi, dit-elle, il a parlé contre le gouvernement du Roi. » (Madame la duchesse d'Orléans, p. 135.)

1 « Au début, écrit M. Duvergier de Hauranne, nous étions tous, presque tous du moins, pour la régence de madame la duchesse d'Orléans. » (Notes inédites.)

décourager'. » Le centre gauche dut se ranger à l'avis de son chef. Mais la gauche se croyait tenue à moins de soumission : si, de guerre lasse, au bout de quelque temps, elle parut se résigner à ne pas faire campagne en faveur de la régence féminine, elle n'abandonna pas la régence élective.

Cette question de la régence n'était pas la seule à propos de laquelle M. Thiers préchait alors la modération à l'opposition. Les meneurs de la gauche et les plus ardents du centre gauche, notamment M. Duvergier de Hauranne et M. de Rémusat, eussent voulu que, soit avant, soit après la loi de régence, on livrât bataille au cabinet. Il fallait, selon eux, profiter sans retard de l'avantage obtenu dans les élections et ne pas laisser aux esprits le temps de se refroidir. On faisait d'ailleurs remarquer à M. Thiers que le zèle dynastique dont il aurait fait preuve dans l'affaire de la régence, lui donnerait plus d'autorité pour exposer les griefs de l'opinion contre la politique de M. Guizot. M. Thiers ne se laissa pas convaincre ; il soutint très vivement que le danger de la monarchie, l'état de l'opinion et aussi l'habileté commandaient de ne se préoccuper pour le moment que de la question dynastique et d'ajourner la question ministérielle à la session de janvier. « Nous n'y perdrons rien, disait-il; le ministère est comme ces animaux qui ont reçu une charge de plomb dans le corps et qui courent encore, mais que tout à coup on voit s'affaisser et tomber. Il est blessé à mort, et il est fort douteux qu'il aille jusqu'à l'ouverture des Chambres. Dans tous les cas, il suffira de deux ou trois coups pour l'achever. Puis le chef du centre gauche énumérait les députés qui ne croyaient pas devoir, en août, voter contre le cabinet, mais dont il avait la parole pour le mois de janvier prochain.

Le gouvernement, au courant de ces efforts de M. Thiers, en désirait le succès, sans beaucoup y compter. M. Guizot

1 Henri Heine écrivait, dès le 19 juillet 1842 : « Le duc de Nemours jouit-il en effet de la très haute disgrâce du peuple souverain, comme on le soutient avec un zèle excessif? Je n'en veux pas juger. Encore moins suis-je tenté d'approfondir les raisons de sa disgrâce. L'air distingué, élégant, réservé et patricien du prince est peut-être le principal grief contre lui. (Lutèce, p. 266.) 2 Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.

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écrivait, la veille de l'ouverture de la session, à ses agents diplomatiques : « Les chefs de l'opposition souhaiteraient, je crois, qu'il n'y eût en ce moment qu'une adresse dynastique et le vote rapide de la loi de régence. Mais les passions de leur parti les entraineront probablement à quelque débat que nous ne provoquerons point, mais que nous ne refuserons point. Non pas, certes, pour l'intérêt du cabinet, mais pour la dignité du pays, du gouvernement, de tout le monde, toute lutte devrait être ajournée à l'hiver prochain. J'en doute fort'.

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IV

Le 26 juillet 1842, les deux Chambres étaient réunies pour entendre le discours royal tous les assistants en deuil; sur les visages, une émotion vraie et profonde. Des acclamations très vives et plusieurs fois répétées éclatèrent à l'entrée du Roi. Celui-ci, troublé, la voix pleine de larmes, eut peine d'abord à parler. Il se remit cependant à la troisième phrase. Son discours, grave, simple et bref, ne traitait que du malheur qui venait de le frapper et des mesures à prendre pour qu'en cas de minorité la France ne fût pas exposée à « l'immense danger d'une «< interruption dans l'exercice de l'autorité royale». Toutes les autres questions étaient renvoyées à la session suivante. « Assurons aujourd'hui le repos et la sécurité de la patrie, disait le Roi en finissant ; plus tard, je vous appellerai à reprendre, sur les affaires de l'État, le cours de vos

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travaux. »

La Chambre, nouvellement élue, dut d'abord vérifier les pouvoirs de ses membres; l'opération fut menée lestement. La gauche tenta bien quelques escarmouches, mais l'opinion, préoccupée d'autres questions, ne lui permettait pas de s'arrêter longtemps à ces chicanes. Pendant ce temps, le corps du

1 Mémoires de M. Guizot, t. VII, p. 14.

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