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LIVRE TROISIÈME.

Des suites qui ajoutent aux engagemens ou les affermissent.

APRÈS avoir expliqué les diverses sortes d'engagemens qui sont des matières des lois civiles, et qui se forment, ou par des conventions dont on a traité dans le premier livre, ou sans convention, tels que sont ceux qui ont fait la matière du second livre; il reste pour achever la première partie, suivant le plan qu'on en a fait dans le dernier chapitre du traité des lois, d'expliquer les suites des engagemens. Et on verra dans ce livre troisième les suites qui ajoutent aux engagemens, ou qui les affermissent; et dans le quatrième, celles qui les anéantissent, ou qui les dimi

nuent.

TITRE PREMIER.

Des gages et hypothèques, et des priviléges des créanciers.

La première et la plus fréquente de toutes les suites des engagemens, soit qu'ils naissent des conventions, ou qu'ils se forment sans convention, est le gage ou l'hypothèque, c'est-à-dire l'affectation des biens d'une personne pour un engagement où elle se rencontre. On verra plus particulièrement, dans l'article premier de la section première, le sens et l'usage de ces deux mots.

Les gages ou hypothèques ont leur origine toute naturelle dans les engagemens dont l'exécution peut dépendre des biens; car la plus grande force des obligations, et la plus parfaite fidélité de ceux qui sont obligés, seraient inutiles, s'ils étaient sans biens, et la sûreté sur ceux même qui ont des biens ne serait pas entière, si l'hypothèque ne les affectait, parce que se dépouillant de leurs biens, ou par des donations, ou par des ventes, ou par d'autres titres, et les biens aliénés n'étant plus à eux, ceux envers qui ils seraient obligés n'auraient plus de ressource, s'ils n'avaient le droit de suivre ces biens aliénés en quelques mains qu'ils eussent passé; et c'est par l'usage de l'hypothèque qu'on a établi ce droit.

On ne parlera pas ici des priviléges des créanciers : ce sera la matière de la section cinquième, et on n'y fera pas d'autres remarques sur la nature des hypothèques, leurs espèces, les choses qui y sont sujettes, les manières dont elles s'acquièrent, et le reste de cette matière; car on verra assez l'ordre et la place de chacune de toutes ces choses, par la distinction des sections de ce titre.

SECTION PREMIÈRE.

De la nature du gage et de l'hypothèque, et des choses qui en sont susceptibles ou non.

Comme la nature de l'hypothèque est d'affecter les biens pour la sûreté des engagemens, et que, par exemple, le créancier d'une somme d'argent assure son paiement sur le droit de suivre partout la chose qui lui est hypothéquée, il est nécessaire de remarquer une différence importante entre notre usage et le droit romain, en ce qui regarde l'assurance sur les meubles et effets mobiliers des débiteurs.

Dans le droit romain, l'hypothèque avait le même effet sur les meubles que sur les immeubles, avec ce droit de suite. Mais les inconvéniens d'assujettir à ce droit de suite les meubles, si sujets à changer de main, ont fait établir une autre jurisprudence dans ce royaume; et c'est notre règle, que l'hypothèque sur le meuble ne dure que tandis qu'il demeure en la puissance de celui qui est obligé, ou que celui qui l'a pour sûreté s'en trouve saisi. Mais si le débiteur le fait passer en d'autres mains, ou par une aliénation, ou le donnant en gage, on ne peut plus le suivre; c'est cette règle qu'on exprime par ces mots, que meuble n'a point de suite par hypothèque.

L'usage est donc en France, à l'égard des meubles, que les créanciers y exercent leur droit en deux manières. L'une, lorsque le meuble est en la puissance du créancier qui en est saisi, et qui le tient en gage; et l'autre, lorsque le meuble est en la puissance du débiteur ou d'autres personnes qui l'ont en son nom, comme un dépositaire, ou celui qui l'a emprunté, ou un autre créancier qui aurait en gage un meuble dont la valeur excéderait celle de la dette. Au premier cas, le créancier peut faire vendre le meuble, si le débiteur y consent, ou, à son refus, par autorité du juge, pour être payé sur le prix qui s'en tirera, par préférence à tous autres créanciers, même antérieurs, mais non au préjudice du créancier qui aurait un privilége sur ce même gage (1). Dans le second cas, le créancier peut saisir et faire vendre le menble de son débiteur, s'il a une hypothèque sur les biens, ou une permission du juge pour saisir. Et si d'autres créanciers concourent avec lui par d'autres saisies ou oppositions, il leur sera préféré, s'il a saisi le premier, si ce n'est que tous les biens du débiteur ne fussent pas suffisans pour tous ses créanciers; car en ce cas, qu'on appelle le cas de déconfiture, le premier saisissant n'est pas préféré, et il n'y a de préférence que pour ceux qui ont quelque privilége, et tous les autres viennent en contribution selon leurs créances, ainsi qu'il sera expliqué dans le titre V du livre IV; au lieu que sur les immeubles, les créanciers sont pré(1) V. la remarque sur l'art. 4 de la sect. 5.

férés les uns aux autres selon la propriété de leurs hypothèques, ce qui vient de la différence que notre usage met entre les immeubles, susceptibles d'hypothèque, et les meubles, sur lesquels l'hypothèque n'a pas de suite. Et quand le meuble n'est, ni en la puissance du créancier, ni en celle du débiteur, ou d'autre en son noin, le débiteur l'ayant aliéné, alors le créancier n'y a plus de droit, sinon dans le cas qui sera remarqué sur l'article 4 de la section 5.

1. Le mot d'hypothèque signifie d'ordinaire la même chose que le mot de gage, c'est-à-dire l'affectation de la chose donnée pour sûreté de son engagement; et on use indistinctement de ces deux mots dans le même sens. Mais le mot de gage se dit plus proprement des choses mobilières, et qui se mettent entre les mains et en la puissance du créancier, et le mot d'hypothèque signifie proprement le droit acquis au créancier sur les immeubles qui lui sont affectés par son débiteur, encore qu'il n'en soit pas mis en possession (1). (C. civ. 1222, 2114, s. 2166, 2180.)

L'hypothèque est indivisible, en ce sens qu'en cas de vente d'une partie des immeubles qui en sont grevés, le créancier a droit d'exiger du vendeur le remboursement entier de sa créance, quelle que soit l'époque de son exigibilité (2).

Lorsqu'un immeuble est hypothéqué en totalité au service d'une rente, le créancier a droit de poursuivre le paiement total contre chaque propriétaire partiel de l'immeuble. Le propriétaire partiel assigné ne peut exciper de ce que, même par événement de force majeure, par exemple, le fait du gouvernement, il est privé de son recours contre ses codébiteurs hypothécaires (3).

L'hypothèque doit être réputée indivisible, en ce sens, qu'en cas de vente d'une partie de l'immeuble qui en est grevé, le créancier a droit d'exiger du vendeur le remboursement entier de la créance d'ailleurs non exigible de sa nature (4).

Une femme mariée qui a renoncé à son hypothèque légale en faveur d'un acquéreur des biens de son mari, ne doit pas être réputée avoir renoncé par-là même à cette hypothèque sur d'autres biens précédemment aliénés par celui-ci, ni déchue du droit de l'exercer vis-à-vis du premier acquéreur (5).

2. L'hypothèque étant établie pour l'assurance des diverses sortes d'obligations et d'engagemens, il n'y en a aucun où l'on ne puisse donner des hypothèques pour la sûreté du créancier. Ainsi, ceux qui empruntent, qui vendent, achètent, louent, prennent à louage, ou entrent dans d'autres engagemens, peuvent ajouter l'hypothèque de leurs biens pour la sûreté de celui envers qui ils s'obligent (6). (C. civ. 2092.)

L'adjudicataire d'un immeuble vendu par expropriation forcée n'a (1)$ 7. Inst. de act. L. 5, § 1, ff. de pign. et hypot. L. 238, § 2, ff. de verb. signif. L. 9. § 2, ff. de pign. act. L. 1, eod. (2) Cass. 4 mai 1812. (3) Cass. 6 mai 1818. (4) Cass. 9 janvier 1810. (5) Cass. 20 août 1816. (6) L. 5, ff. de pign. ct hyp. L. 9, § 1, ff. de pign. act.

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