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envoient à l'œil de l'observateur, ou si c'est une lumière réfléchie ou réfractée émanée d'ailleurs. Dans ce dernier cas, elle sera partiellement polarisée. Toute réflexion ou réfraction polarise en effet quelques rayons. Or Biot, en 1817, et plus tard Macquorn Rankine, Nordenskiöld et d'autres observateurs ont vu des lueurs aurorales sans trace de polarisation. La substance de l'aurore est donc lumineuse par elle-même.

les

De quelle nature est cette substance? Elle est de nature gazeuse. On le sait depuis l'examen spectroscopique qu'en fit Angström en 1866. Des particules solides ou liquides qui émettent de la lumière par elles-mêmes, fournissent un spectre continu; gaz, au contraire, donnent un spectre de raies brillantes séparées par des plages obscures. Ce dernier cas est précisément celui de la lueur aurorale. Elle provient donc d'un gaz ou d'un mélange de gaz existant dans l'atmosphère. L'analyse spectrale permet d'aller plus loin. Le nombre, la position, et l'éclat des raies brillantes permettent d'identifier le gaz lumineux: c'est un signalement veritable, tout au moins lorsque les circonstances ambiantes sont déterminées.

Un très grand nombre de physiciens ont donc étudié le spectre des aurores polaires. Ils y ont signalé beaucoup de raies brillantes. Il y en a une qui est plus brillante que les autres. On la voit seule lorsque l'on emploie un spectroscope peu sensible. C'est une raie jaune verdâtre, située entre les raies D et E du spectre solaire sa longueur d'onde est de 557 millionièmes de millimètre. Elle est absolument caractéristique de l'aurore polaire. Elle a été longtemps impossible à identifier. Elle n'appartenait à aucun corps connu. On n'avait pu la reproduire avec aucun d'entre eux. On sait depuis un an ou deux qu'elle appartient au groupe de l'hélium.

Avec des instrumens plus sensibles, on aperçoit beaucoup d'autres raies à côté de celle-là.

Paulsen qui, pendant l'hiver 1899-1900, a étudié au nord de l'Islande de grandes aurores situées à des hauteurs de 400 kilomêtres, a trouvé un accord intime entre leurs spectres et ceux

à leur minimum en 1893 elles atteindront leur plus grand développement en 1904-1905. On verra alors une recrudescence d'orages magnétiques et d'aurores polaires. Les phénomènes du 31 octobre se sont produits, conformément aux idées de Veeder, au moment où de très grandes taches solaires, déjà aperçues au commencement du mois, sont revenues tangentes au bord oriental du disque.

qui entourent la cathode d'un tube à oxygène et azote. Mais cet accord ne porte pas sur toutes les raies. L'identification n'est que partielle entre le spectre des aurores et celui que l'on obtient en faisant passer des décharges électriques à travers l'air raréfié. On a cherché la cause de ces divergences: elle est fort simple. C'est que dans son laboratoire le physicien opère sur l'air pris à la surface du sol, tandis que le météore auroral opère sur l'air des couches supérieures de l'atmosphère. Et ces deux gaz sont fort différens leur composition n'est pas du tout la

même.

A mesure que l'on s'élève en hauteur, la masse atmosphérique, en même temps qu'elle se raréfie, se refroidit. Au niveau du sol, c'est un mélange où dominent l'oxygène, l'azote, la vapeur d'eau, l'acide carbonique, et où existent en faibles proportions l'argon, le crypton, le néon et, en quantités plus minimes encore, l'hydrogène, l'hélium et le groupe des gaz plus volatils. Les proportions de ce mélange, brassé par les vents, restent constantes dans le voisinage du sol, et jusqu'à une altitude de 15 kilomètres. Mais le refroidissement ne permet pas à cette fixité de se maintenir plus haut. C'est d'abord la vapeur d'eau qui disparaît. Moins volatile que les autres élémens, elle se condense la première : elle se dépose en neige sur les montagnes, ou circule à l'état de nuages. Mais la zone des nuages est très basse et c'est un ciel toujours radieux que l'on trouve au delà. C'est ensuite l'acide carbonique qui disparaît: à 60 kilomètres vers le zénith, ce gaz n'existe déjà plus en quantité sensible. Puis, c'est le tour de l'azote et de l'oxygène. D'après J. Dewar, à 75 kilomètres il est vraisemblable que la température tombe au voisinage de 132° au-dessous de zéro et que l'azote et l'oxygène, réduits, font place à l'hydrogène et aux gaz moins liquéfiables de la série de l'hélium dont on soupçonne l'existence, tels que le coronium et le nébulium.

La décharge électrique dans l'air supérieur ne peut donc pas avoir les mêmes effets que dans l'air inférieur. Les spectres changent avec la composition du milieu. Mais celle-ci même restant fixe, ils changent encore avec les conditions et, par exemple, avec le degré du vide. Dans l'air atmosphérique normal, lorsque la pression tombe à un dixième de millimètre, Moissan et Deslandres ont vu les lignes de l'azote et de l'oxygène s'éteindre et faire place à celles de l'argon et des gaz volatils.

Si l'on reprend la comparaison des spectres à la clarté de ces principes, on trouve, cette fois, une coïncidence suffisante.Au total, on compte plus d'une centaine de raies aurorales. H. Stassano a pris la peine de les confronter à celles des divers gaz volatils que Liveing et J. Dewar ont examinés isolément. L'accord est saisissant. L'absence des raies de l'azote s'explique par l'observation de Deslandres et Moissan, rappelée plus haut. La présence des raies dans le rouge et l'orangé est due au néon qui donne fréquemment aux aurores une teinte rosée : une trentaine d'autres coïncident avec celles de l'argon, du crypton et du xenon. Presque toutes les autres correspondent aux rayons émis par les gaz les plus volatils de l'air qui subsistent après condensation de l'hydrogène liquide, c'est-à-dire par le groupe de l'hélium.

Il résulte, de cet accord remarquable, une nouvelle démonstration de l'origine électrique des aurores. L'aurore polaire est bien une décharge électrique produite dans les gaz raréfiés des couches supérieures de l'atmosphère.

Il reste à indiquer la source de cette électricité. C'était, croyait-on jusqu'ici, une source terrestre. L'électricité positive des régions supérieures de l'atmosphère, transportée par les alizés de l'équateur vers les pôles, s'y déchargeait en produisant l'illumination aurorale. Telle était la théorie de A. de la Rive, en faveur vers 1862. Quant à l'origine du fluide positif de l'atmosphère, le physicien genevois l'attribuait, comme Volta, à l'évaporation puissante des eaux équatoriales.

En 1878, la théorie de la Rive avait fait place à celle d'Edlund. Pour ce physicien, l'aurore était bien toujours constituée par le retour régulier vers la terre de l'électricité qui, dans les régions équatoriales, a été poussée vers les hautes régions de l'atmosphère; mais ce n'était plus l'évaporation de l'eau qui l'avait engendrée, ni les vents alizés qui la poussaient, c'était un mécanisme plus compliqué, celui de l'induction unipolaire.

Aujourd'hui, c'est un nouveau changement. Les travaux de MM. Elster et Geitle et de P. Lenard tendent à attribuer à la décharge aurorale, et à l'électricité atmosphérique elle-même une origine extérieure au globe terrestre, une origine solaire. Nous aurons l'occasion d'examiner prochainement ces théories.

A. DASTRE.

REVUE DRAMATIQUE

COMÉDIE-FRANÇAISE : le Dédale, pièce en cinq actes, par M. Paul Hervieu. THEATRE SARAH-BERNHARDT: la Sorcière, pièce en cinq actes, par M. Victorien Sardou.

Le Dédale est-il une pièce à thèse? Cette question ne manquera pas de paraître ingénue à la plupart des spectateurs qui ont vu la nouvelle pièce de M. Hervieu, et des critiques qui en ont rendu compte, puisque les uns et les autres ont à l'envi discuté la thèse de l'auteur et les moyens par lesquels il l'a défendue. Ces discussions à perte d'haleine sont pour une œuvre de théâtre ce qu'il y a de plus honorable; cette fois encore, elles sont pour l'écrivain la meilleure récompense de la probité de son art, de son consciencieux et laborieux effort elles valent mieux cent fois que certaines unanimités dans l'acquiescement; et c'est pourquoi il est juste d'y prêter l'oreille. Généralement, donc, on a trouvé piquant que l'auteur des Tenailles et de la Loi de l'Homme, devenu celui du Dédale, y présentât une thèse en contradiction avec celles dont il s'était fait jusqu'alors l'avocat attitré. Il avait jusqu'ici appelé de tous ses vœux, réclamé de toute son âpreté un élargissement du divorce qui tendait à faire du mariage quelque chose d'assez analogue à l'union libre. Mais à force de creuser un problème toujours le même, il aura retrouvé les assises solides sur lesquelles se fonde la doctrine du n.ariage indissoluble. On a célébré la grande conversion de M. Hervieu. Plusieurs s'en sont réjouis, non sans faire des réserves sur la nature de certains argumens et sur la valeur des moyens scéniques employés par l'auteur... Je crains que se placer à ce point de vue ne soit le bon moyen pour ne pas comprendre la conception dramatique très particulière qui est celle de M. Hervieu.

Apparemment, celui-ci ne songe guère à réclamer qu'on raye de de nos lois le divorce, et on aurait tort de voir dans le Deaale un

signe du curieux mouvement qui, depuis quelque temps, se dessine en ce sens dans la littérature et dans l'opinion. L'écrivain à thèse, poursuivant par le théâtre la réforme de la législation, comme faisaient Dumas fils et Émile Augier, est un optimiste. Il croit que la nature humaine est bonne et que la vie peut le devenir. Tout le mal, selon le dogme de Rousseau, ne procède que de la société et du désaccord qui existe accidentellement entre les institutions que l'homme a établies et les tendances de sa nature. Réformez donc les institutions, amendez les lois, et vous aurez amené l'avènement du bonheur universel par la justice universelle. M. Hervieu ne donne pàs dans la chimère de cet optimisme. Il se place justement à l'opposé. Pour lui, la vie est foncièrement mauvaise. Ce rêve de bonheur que fait l'humanité lui apparaît comme une de ces trames qui se défont sur un point à mesure qu'on les répare sur un autre. Tourmentés par ce désir de mieux qui nous vient de la sensation toujours éprouvée du malaise présent, nous nous efforçons de changer sans cesse; nous aménageons d'une façon un peu différente les institutions où s'abrite notre faiblesse; nous rejetons une loi dont nous avons éprouvé qu'elle froisse un de nos instincts et lèse un de nos droits; avant qu'il se soit passé longtemps, nous nous apercevons que la loi par laquelle nous l'avons remplacée nous heurte à un endroit qui n'est pas moins sensible, et que comme l'autre elle fait blessure. On déplace la souffrance, on ne la supprime pas. Dégager la somme de tragique que contient toujours la condition humaine, à quelque stratagème que nous ayons recours, c'est ce que s'est proposé M. Hervieu dans chacune de ses œuvres, roman ou pièce de théâtre. Quel supplice entraine la situation de deux êtres retenus malgré eux dans les liens du mariage, il l'avait montré dans ses premières pièces. Mais que ces deux êtres reprennent leur liberté, ils sentiront bientôt qu'ils restent attachés quand même par le lien qu'ils ont cru briser : ils se trouveront à la fois unis et séparés; situation paradoxale, inextricable, sans solution : c'est le Dédale.

Car du jour où l'homme et la femme ont mêlé leur âme dans celle de l'enfant né de leur amour, chacun d'eux cesse d'être un individu tout à fait distinct et indépendant de l'autre. Ils se confondent et s'unissent dans cet enfant qui les continue tous les deux. Désormais ils peuvent se faire souffrir, se détester, se meurtrir; mais ce qui n'est plus possible, c'est qu'ils deviennent l'un pour l'autre des étrangers. Quelque chose est en eux de plus durable et de plus profond que leurs caprices, leurs querelles et leurs rancunes. Ils forment avec l'enfant

TOME XIX.

1901.

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