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a d'alileurs dans la conduite de la pièce des incertitudes, des longueurs de préparations, un embarras qui se traduit à l'occasion par celui du style. Aussi le Dédale, où abondent les traits de hardiesse et d'originalité, où éclatent des scènes d'une remarquable intensité dra matique, et qui fait souvent grand honneur à la maîtrise de M. Hervieu, ne donne-t-il pourtant pas l'impression de plénitude et d'har monie dans la vigueur que nous avions si fort admirée dans la Course du Flambeau.

Le Dédale est très inégalement joué et plusieurs rôles nous y ont semblé tenus à contresens. M. Le Bargy est excellent dans le rôle de M. de Pogis. Il y est élégant comme à son ordinaire et il a plus d'émotion et de chaleur que nous ne lui en avions encore vu. M. Paul Mounet joue au naturel le rôle de bon sauvage qui est celui de Guillaume. M. Louis Delaunay a donné au personnage du père une physionomie des plus conventionnelles. Me Leconte a joué avec beaucoup de tact et de souplesse le rôle double de Paulette, tantôt femme évaporée et tantôt mère touchante. Mais M. Mayer est chargé d'incarner un personnage jovial et nous sommes prêts à reconnaître à cet excellent comédien toutes les qualités, sauf pourtant la jovialité. Mme Pierson a atténué, arrondi, adouci, attendri et mouillé de larmes le rôle de Mme VilardDuval, auquel il eût fallu au contraire donner beaucoup d'âpreté. Et c'est à Mme Bartet que nous ferons notre principale querelle. Il va sans dire que, dans l'ensemble du rôle, elle a été exquise et nous a donné à admirer toutes ses qualités habituelles de distinction, de justesse et d'émotion vraie. Mais elle a introduit dans son jeu quelques notes des plus fâcheuses. Rien de plus pénible que l'espèce de trem blement nerveux qu'elle a cru devoir affecter au quatrième acte lors de sa rencontre avec Guillaume. Et rien de plus franchement regrettable que le hoquet dans lequel elle jette, à ce même acte, le mot de la fin: «< Arêtez-le ! » Mme Bartet doit laisser à des comédiennes de moins de style ces effets d'un réalisme facile qui mettent une fausse note dans un jeu dont nous retrouverons sans doute par la suite la souveraine et délicieuse harmonie.

La Sorcière est une pièce composée à souhait pour ceux qui, au théâtre, recherchent proprement le plaisir du « théâtre. » C'est d'abord un plaisir des yeux. L'époque choisie étant le xvIe siècle espagnol, on devine aussitôt quelle occasion ce pouvait être de beaux décors, de riches costumes et d'ingénieuse restitution archéologique. Le goût de M. Sardou pour les curiosités de l'érudition, secondé par celui de

Mm. Sarah Bernhardt pour les splendides mises en scène, ne pouvait manquer ici de faire merveille. Les tableaux éclatans, variés, séduisans se succèdent à l'envi. C'est d'abord la campagne où Zoraya, ia sorcière, vient chercher les simples dont elle compose ses breuvages, puis la maison de Zoraya dans le vieux goût musulman, puis une noce espagnole, puis le tribunal de l'Inquisition, enfin le bûcher dressé devant le porche de l'église. Mais pourquoi n'a-t-on pas fait flamber ce bûcher? Qu'est-ce qu'un bûcher qui ne flambe pas? Nous en avons tous éprouvé une déception.

Ensuite M. Sardou est incomparable pour tenir l'attention en éveil, renouveler sans cesse l'intérêt de curiosité et frapper soudain de grands coups. Dès le premier acte, nous avons vu le noble Espagnol Don Enrique s'éprendre de la musulmane Zoraya. Ils sont tous deux jeunes, beaux; ils s'aiment, et nous les aimons. Mais les lois les plus sévères défendant l'union d'un chrétien avec une musulmane, il faut avouer que Don Enrique s'est engagé dans une liaison toute pleine de périls. Nous retrouvons au second acte nos deux jeunes gens en train de filer le parfait amour. Cependant, à la tristesse de Don Enrique, à certaines paroles vagues qui lui échappent, nous devinons qu'un danger plane sur les amoureux. Les cloches de la ville sonnent à toute volée. Nous apprenons en fin d'acte qu'elles sonnent pour le mariage de Don Enrique : le traître épouse la fille du gouverneur de Tolède, Doña Juana. Voilà un coup de théâtre. En voici un autre à l'acte suivant. Zoraya s'est introduite au palais où se célèbrent les noces. Elle s'est présentée à son infidèle comme une statue du remords. Une explication a eu lieu, d'où il résulte que le mariage de Don Enrique avec Doña Juana n'altère en rien les sentimens du jeune homme pour sa maîtresse. Celle-ci a endormi d'un sommeil hypnotique la jeune épousée : elle va se sauver avec Don Enrique; mais le Saint-Office a été prévenu : l'alarme a été donnée : les issues du palais sont gardées. Le fait est qu'à l'acte suivant nous apprenons que les deux fugitifs ont été rattrapés et qu'on instruit leur procès. L'interrogatoire de Zoraya devant le tribunal de l'Inquisition est le morceau principal, le passage le plus pathétique de la pièce, celui où l'angoisse est portée à son comble. Car pour sauver Don Enrique, Zoraya accepte de déclarer qu'elle a surpris son amour par des philtres, et qu'elle est sorcière, ce qui est de tous points inexact. Le dernier acte se passe dans un décor magnifique et terrible avec grand déploiement de peuple et de moines en cagoules. La logique veut que Don Enrique et Zoraya soient unis dans la mort, et telle est la conclusion que M. Sardou a donnée à son drame.

Dans ce genre de drame historique à grand spectacle, il faut encore une attraction nouvelle, inédite, sensationnelle, et, comme on dit, un clou. C'est ici l'hypnotisme, dont M. Sardou a tiré le parti le plus ingénieux. Les prétendus crimes de sorcellerie qui ont effrayé le moyen âge et même des siècles plus éclairés n'étaient, paraît-il, que d'honnêtes phénomènes d'hypnotisme. Nous avons ainsi au deuxième et au cinquième acte des séances d'hypnotisme qui pourront très bien faire courir tout Paris. J'aime moins la séance d'hystérie ou d'épilepsie par laquelle commence le quatrième acte. Elle plaira à ceux des spectateurs qui aiment les impressions pénibles: mais elle chagrinera le public des familles.

Mae Sarah Bernhardt a été très belle d'attitudes et a eu de beaux cris dans le rôle de Zoraya. M. de Max réalise le type lui-même du Grand Inquisiteur pour mélodrames. Miles Moréno et Dufrène se sont consciencieusement appliquées à faire courir dans la salle un petit frisson de Salpêtrière.

Je me garderai bien d'insister sur la dernière production de M. Brieux, et je suis heureux que le genre même auquel l'auteur se consacre maintenant me dispense d'en rien dire. Le fait d'être rédigé en dialogue et en tirades et d'avoir été débité en scène ne suffit pas pour qu'un ouvrage relève de la critique dramatique. Depuis les Remplaçantes, M. Brieux s'éloigne de plus en plus de la littérature de théâtre et d'ailleurs de toute espèce de littérature. Maternité est une sorte de tract dialogué sur la question de la repopulation. Le bon moyen pour amener nos contemporains à repeupler est-il de réhabiliter la fillemère? Est-il vrai que de l'état actuel de nos institutions résulte une espèce de droit à l'avortement et de devoir de stérilité ?... Ce sont des questions dont je m'empresse de laisser la discussion aux spécialistes, en regrettant que les qualités fort appréciables de dramaturge dont M. Brieux avait fait preuve dans quelques-unes de ses pièces sombrent aujourd'hui dans cet océan de déclamation.

RENÉ DOUMIC.

REVUE MUSICALE

THEATRE DE L'OPÉRA : L'Étranger, action musicale en deux actes; paroles et musique de M. Vincent d'Indy. L'Enlèvement au sérail, opéra-bouffe

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en trois actes, de Mozart. NOUVEAU-THEATRE: Trois auditions de Don Giovanni. OPÉRA-COMIQUE: La Reine Fiammette, conte dramatique en quatre actes et six tableaux; paroles de M. Catulle Mendès, musique de M. Xavier Leroux,

Par la noblesse et la pureté de son idéal, par la valeur technique et morale d'un art qu'il pratique à la fois comme une science et comme une vertu science profonde et souvent cachée, vertu sévère et même farouche, l'auteur du Chant de la Cloche, de Wallenstein, de Fervaal et de l'Étranger, mérite nos respects. Il est juste de lui rendre sinon tous les honneurs, au moins tous les devoirs. C'était un devoir

qu'il eût fallu plus tôt remplir - de représenter à Paris l'Étranger; c'est un devoir de l'écouter (je ne dis pas seulement de l'entendre) et de l'étudier avec soin. Il semble même que ce soit un devoir, encore plus qu'une joie, de créer des œuvres comme celle-là et que dans une telle musique la nature ou le génie ait moins de part que la volonté.

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Les admirateurs enthousiastes de M. d'Indy, leur qualité comme leur nombre est loin d'être négligeable, - aiment à le nommer le chef de l'école française. Auber a gardé ce titre autrefois, et longten.ps. II est permis de douter si M. d'Indy le mérite davantage; mais, à coup sûr, il le porte autrement. Le nouveau chef est impérieux; il manque d'indulgence. Il nous régit avec un sceptre de fer et, quoi qu'on nous eût promis de son œuvre nouvelle, son joug, depuis sa dernière œuvre, ne s'est point allégé.

Fervaal, il vous en souvient, était fils des nuées. En cela l'Étran

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ger est bien son frère. Les nuées d'où Fervaal descendait s'étaient formées dans la montagne; celles à qui l'Étranger doit le jour, un jour pâle et voilé, viennent de l'Océan. Le brouillard s'étend sur notre pays de France. Des Cévennes, où se passait le premier drame, il a gagné le pays basque, où le second se déroule. Et cela d'ailleurs ne fait qu'une différence de latitude entre deux poèmes également vagues, obscurs et nébuleux également.

A Biarritz, de nos jours, et cette détermination de temps et de lieu messied en un sujet surnaturel, parmi les pêcheurs de la côte, vit un pêcheur mystérieux. Le hasard, ou le ciel, ou peut-être l'enfer protège l'inconnu. Seul, chaque matin, il ramène au rivage sa barque chargée de poissons. Il a même de plus rares privilèges. A son bonnet luit une émeraude magique, dont on a vu parfois les feux apaiser la tempête et sauver les marins en danger. La bonté de cet homme égale sa puissance: il donne aux pauvres et partage sa pêche avec eux, à moins qu'il ne la leur abandonne tout entière. Mais pour lui sa puissance et sa bonté n'ont porté que des fruits amers. On l'envie, on l'accuse; sous ses bienfaits on ne soupçonne que des maléfices; l'apôtre est traité de sorcier par le peuple et la haine de chacun répond à son amour pour tous.

Un seul être, une jeune fille, Viia, va l'aimer. Elle l'aime déjà. Elle l'aime pour le bien qu'il fait et le mal qu'on lui rend, pour sa charité, pour sa douceur, pour le charme sérieux de sa parole, pour le mystère enfin qu'il porte en lui et qu'elle devine profond, sacré, peut-être divin. Elle l'aime, oublieuse de tout ce qui n'est pas lui, de tout et de tous, y compris André, le beau douanier, son fiancé d'hier. Et voici que l'Étranger, qui n'aime pas moins Vita qu'il n'est chéri par elle, qui l'aimait avant de la connaître, qui sur terre et sur mer n'a cherché qu'elle seule, sa sœur prédestinée, l'âme éternellement promise à son âme, l'Étranger la repousse et veut la fuir. Les raisons qu'il donne de ses refus sont diverses. La plus forte, si nous avons bien compris ces choses subtiles, n'est autre que son amour même. L'Étranger se reproche et se punit, quitte à frapper avec lui la jeune fille, d'avoir aimé d'un amour égoïste, d'avoir détourné sur un être particulier et pour son propre bonheur, une tendresse générale et désintéressée, dont la félicité des autres devait être seule et l'objet et la récompense.

Il s'éloigne donc, laissant à Vita l'émeraude, la rayonnante ouvrière de grâce et de salut. Mais la jeune fille, enflammée de dépit, jette le talisman dans les flots. Alors, par un retour funeste, la pierre

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