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que n'ayant pas le caractère d'armes proprement dites, rentrent dans les termes de l'art. 101, et sont destinés à favoriser une évasion à force ouverte, nul doute que l'art. 243 ne soit applicable; si, au contraire, ces instruments n'ont pour but que de favoriser une effraction maté rielle de la prison, Fart. 241 devrait seul être invoqué. Toutefois, si les instruments transmis n'étaient pas seulement des ustensiles assimilés aux armes par leur destination et leur emploi, mais des armes dans le sens ordinaire de ce mot, on ne pourrait appliquer ce dernier article, sous prétexte que ces armes n'étaient destinées qu'à rompre les barreaux ou percer les murs de la prison la loi est trop positive, en effet, pour qu'on puisse éluder sa position par une distinction qu'elle n'a pas faite, et le gardien doit s'imputer dans tous les cas d'avoir remis des armes qui, dans les mains du prisonnier, pouvaient servir à un usage plus terrible qu'au bris de sa prison.

Telles sont les dispositions pénales qui s'appli quent spécialement aux préposés à la garde des détenus, en cas d'évasion de ceux-ci. La peine accessoire de la surveillance et les dommagesintérêts des parties civiles peuvent encore, ainsi que nous le verrons tout à l'heure, se réunir à ces peines principales. Mais nous devons d'abord en rapprocher, pour lier et compléter cette matière, un article qui, dans un seul cas, celui où la peine est encourue pour négligence, crée une cause d'exemption ou du moins de cessation de cette peine. L'article 247 est ainsi conçu <«< Les peines d'emprisonnement ci-dessus établies contre les conducteurs et les gardiens, en cas de négligence seulement, cesseront lorsque les évadés seront repris ou représentés, pourvu que ce soit dans les quatre mois de l'évasion, et qu'il ne soient pas arrêtés pour d'autres crimes ou délits commis postérieurement. »>

La restriction de cette disposition aux seuls eas de négligence se justifie facilement. En effet, les contraventions matérielles ne sont punies qu'à raison du dommage qu'elles causent; il serait donc trop rigoureux de prolonger la peine quand ce dommage est réparé. Mais il n'en est pas de même dans les cas de connivence: la reprise de l'évadé répare le dommage matériel, mais elle n'efface pas le délit moral qui doit s'expier par l'exécution de la peine. Toutefois deux dispositions limitent l'art. 247: il faut que l'évadé ait été repris, ou se soit représenté dans les quatre mois de l'évasion; il faut ensuite qu'il n'ait pas commis d'autres crimes ou délits depuis son évasion. Dans ce dernier cas, la loi impute en quelque sorte au

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gardien négligent d'avoir été la cause occasionnelle de ces crimes; ils sont la suite de son infraction; elle en fait remonter jusqu'à lui la responsabilité, en maintenant la peine, même après l'évasion réparée. Il est plus difficile de justifier la première restriction si l'arrestation n'a lieu qu'après le quatrième mois et que le gardien soit encore en prison, l'excuse serat-elle done moins efficace? Tant que la peine n'est pas subie, l'arrestation de l'évadé y doit mettre un terme, car elle répare le fait matériel, et ce n'est qu'un fait matériel que la loi punit. L'art. 13 de la loi du 4 vendémiaire an vi, dans lequel l'art. 247 a été puisé, prononçait la remise de la moitié de la peine, si les condamnés venaient à être repris dans les six mois de leur évasion. On ne voit pas le motif qui a fait abréger la durée de ce terme; et il eût été plus logique de n'en pas fixer du tout; car la même raison de décider se présente après quatre mois, après six mois, après un an depuis l'évasion.

L'évasion peut être favorisée non-seulement par les préposés à la garde des détenus, mais par des personnes étrangères à cette garde; la loi, après avoir incriminé les actes de négligence ou de connivence des premiers, a dû s'occuper des actes de complicité de celles-ci. Ces personnes ne sauraient être inculpées de négligence, car elles n'ont point de devoir spécial à remplir; elles ne peuvent donc être punies que pour le fait de connivence, c'est-à-dire pour avoir procuré ou facilité l'évasion. Le Code pénal n'a point défini ces termes, par conséquent tous les actes qui ont eu pour effet de préparer et d'aider l'évasion peuvent rentrer dans cette incrimination. Peu importe du reste, que cette évasion se soit effectuée avec ou sans violences, avec ou sans effraction : l'excuse que l'évadé peut faire valoir, dans le cas d'une évasion sans circonstances aggravantes, ne peut être invoquée par les tiers.

Cela posé, les mêmes distinctions qui ont servi à déterminer les pénalités des gardiens ont été appliquées aux tiers étrangers à la garde; les peines dont ils sont passibles ont donc une double base le dommage causé par l'évasion, et la nature même de l'acte de connivence. La peine qui prend sa base dans la quotité du dommage causé a trois degrés, suivant que le détenu était prévenu d'un délit correctionnel ou d'un crime passible d'une peine infamante, d'un crime puni d'une peine afflictive, et enfin d'un crime puni d'une peine perpétuelle ou de la peine de mort. Le deuxième paragraphe de l'art. 238 a prévu le premier cas : « Ceux, porte cet article, qui n'étant pas char

gés de la garde ou de la conduite du détenu, auront procuré ou facilité son évasion, seront punis de six jours à trois mois d'emprisonne ment. >> La 2o hypothèse fait l'objet du 2o paragraphe de l'art. 239 qui est ainsi conçu: « Les individus non chargés de la garde des détenus, qui auront procuré ou facilité l'évasion, seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans. » Enfin l'art. 240 complète ce système d'aggravation en ces termes : « Les individus non chargés de la conduite ou de la garde, qui auront facilité ou procuré l'évasion, seront punis d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus. » Ainsi, dans ces trois articles, la loi prévoit le même délit, le fait d'avoir procuré ou facilité l'évasion la peine seule diffère, et cette peine s'accroît en raison de la gravité de celle qui pesait sur le prisonnier évadé.

La loi pénale reprend ensuite les actes de connivence et les incrimine, dans trois cas spé ciaux, non plus à raison de l'importance de la captivité du prisonnier, mais à raison de leur caractère propre. Ces trois cas sont la remise faite sciemment d'instruments propres à opérer l'évasion avec violences ou bris de prison; la transmission d'armes destinées à favoriser une évasion à force ouverte ; enfin, la corruption exercée sur les gardiens ou geôliers. Les deux premières hypothèses sont prévues par les art. 241 et 243, et les observations que nous avons faites en appliquant ces deux articles aux gardiens s'appliquent également aux tiers qui sont punis, dans le premier cas, d'un emprison nement de trois mois à cinq ans et même de la reclusion, et dans le deuxième, des travaux forcés à temps. Nous ne nous arrêterons donc qu'à l'art. 242 qui porte : « Dans tous les cas cidessus, lorsque les tiers qui auront procuré ou facilité l'évasion y seront parvenus en corrompant les gardiens ou geôliers, ou de connivence avec eux, ils seront punis des mêmes peines que lesdits gardiens et geôliers. >>

Cet article prévoit deux délits distincts: la corruption exercée sur les gardiens pour favoriser l'évasion, et la connivence avec ces gardiens pour parvenir au même but. En punissant dans le premier cas le corrupteur des mêmes peines que le fonctionnaire corrompu, la loi n'a fait que formuler une application de la règle qu'elle avait posée dans l'art. 179. Mais la question peut s'élever de savoir si le deuxième paragraphe de cet article, qui ne prononce qu'un simple emprisonnement quand la tentative de corruption n'a eu aucun effet, serait applicable au cas prévu par l'art. 242. Nous pensons qu'il

faudrait répondre affirmativement. L'art. 242 suppose évidemment que la corruption a été consommée, car il ne prévoit que le cas où les tiers sont parvenus à procurer l'évasion en corrompant les gardiens; donc la tentative de corruption, non suivie d'effet, n'étant pas prévue par cet article spécial, est restée dans le droit commun, et dès lors devient passible de la peine portée par l'art. 179.

Le Code est également fidèle à la règle posée par l'art. 59, en punissant les tiers qui ont formé un lien de complicité avec les gardiens, de la même peine que ceux-ci. Nous nous bornerons à répéter ici que cette assimilation n'est point exacte, puisque les deux criminalités ne sont pas les mêmes les uns et les autres commettent un délit moral en enfreignant les prescriptions de la loi, en provoquant même à sa désobéissance. Mais les gardiens trahissent en outre un devoir qui dérive de leurs fonctions et qui n'est pas imposé aux autres personnes. On ne saurait donc sans injustice faire peser sur celles-ci une aggravation de peine qui puise sa source dans ce devoir auquel elles n'étaient pas assujéties. Quoi qu'il en soit, ces mots : dans tous les cas ci-dessus, 'indiquent que cette disposition s'étend à tous les cas où des tiers ont pris part à une évasion; quel que soit le fait imputé à l'évadé, quelles que soient les circonstances de l'évasion, dès qu'il y a eu de la part de ces tiers connivence avec les gardiens ou corruption exercée sur eux, la barrière qui dans chaque article les séparait de ces gardiens s'abaisse et se détruit; les deux classes n'en forment plus qu'une; ils sont assimilés à ces gardiens, soumis à la même responsabilité, et punis des mêmes peines.

La loi a soigneusement énuméré tous les cas de complicité des personnes étrangères à la garde des détenus et qui leur prêtent appai pour leur évasion. Cependant elle semble n'avoir point prévu l'une des espèces les plus graves de ce délit, celle où ces personnes feraient invasion par la force dans la prison et mettraient les prisonniers en liberté. A la vérité, cette hypothèse rentrerait dans les termes généraux de la loi, puisque l'évasion aurait été facilitée ou procurée aux détenus. Mais il est visible que ce mode d'exécution du délit en aggraverait le caractère, et que dès lors une disposition distincte devait le prévoir et le réprimer. Les anciens jurisconsultes avaient porté leur prévoyance sur ce cas spécial: Non solùm punitur carceratus qui fracto carcere aufugit, sed etiam et alius non carceratus carcerum effractor ad hoc ut carce

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rati aufugiant [1]. La peine qui frappait les actes de ces agents était la peine même à laquelle les détenus étaient condamnés et pour la quelle ils étaient détenus: eâdem penâ quâ puniendi erant carcerati pro delicto pro quo detinebantur.

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Peut-être doit-on également regretter que la Joi pénale n'ait point étendu aux parents du détenu qui ont favorisé l'évasion, mais en la modifiant, l'exception établie par le paragraphe2 de l'art. 248. L'affection qui naît de la parenté forme une excuse que le législateur ne peut pas plus méconnaitre dans le cas de l'évasion que dans celui du recèlement. L'ancienne jurisprudence admettait cette excuse dans les deux cas: des arrêts nombreux sont rapportés par Mornac [2], par Julius Clarus [3], par Jousse [4], qui ont exempté de toutes peines une femme, des enfants, de proches parents qui avaient arraché des mains des archers leur mari, leur père, leur frère. A la vérité, une nuance sépare les deux délits la femme, le père ne pourraient sans inhumanité repousser leur fils ou leur époux qui réclame un réfuge sous leur toit; ils le reçoivent, mais là s'arrête leur participation. La complicité d'évasion n'est pas seulement, comme le recel, un acte passif et presque forcé; c'est un acte de révolte active contre la loi, c'est un appui matériel donné à l'infraction, c'est un concours volontaire au délit. Aussi ce n'est pas une exception entière, mais seulement une atténuation de la peine, qui nous semblerait devoir être établie dans ce dernier cas; et cette disposition est tellement commandée par la nature des choses, que quelques tribunaux n'ont point hésité, malgré les termes restrictifs de la loi, d'étendre le deuxième paragraphe de l'art. 248 aux parents qu'il désigne prévenus de complicité du délit d'évasion [5].

Deux dispositions accessoires s'appliquent à la fois aux gardiens et aux personnes étrangères à la garde des détenus qui ont facilité leur évasion : ce sont les art. 244 et 246. Le premier de ces articles est ainsi conçu : « Tous ceux qui auront connivé à l'évasion d'un détenu seront solidairement condamnés, à titre de dommagesintérêts, à tout ce que la parție civile du détenu aurait eu droit d'obtenir contre lui. » Cette disposition a pris sa source dans l'ancien droit:

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Eximens debitorem ex carcere tenetur solvere de proprio debitum creditoribus non aliter ac si fuisset ipsius debitoris fidejussor [6]. Jousse établit cette décision comme une règle : « Si le prisonnier, dit-il, était détenu seulement pour dettes civiles, les complices de l'effraction pour le sauver doivent, outre la peine du bris de prison, être condamnés à payer la dette [7]. » Au reste, cette disposition n'est qu'une application de l'art. 1382 du Code civil qui oblige quiconque cause par son fait un dommage à autrui à le réparer; seulement il aggrave cette règle à l'égard des prévenus de connivence, en attachant à leur responsabilité le lien de la solidarité : chacun des complices du délit de connivence est tenu des dommages-intérêts in solidum. Est-il nécessaire, pour faire naître cette action, que la partie civile se soit constituée avant l'évasion? Non, pourvu qu'elle fût dans les délais utiles pour se constituer encore; car rien ne la forçait de le faire avant l'expiration de ces délais, et elle ne peut perdre son recours quand elle n'a aucune faute à s'imputer. Les créanciers auraient-ils le même droit? Nullement, car l'art. 244 ne s'applique qu'à la partie civile; les créanciers restent donc dans le droit commun. Enfin, la partie lésée qui n'a pas figuré aux débats dans lesquels le détenu a été condamné, peut-elle, en vertu de cet article, former un recours par la voie civile, à raison des dommages-intérêts auxquels elle avait droit, mais qu'elle n'avait pas réclamés? Nous croyons qu'il faut répondre affirmativement. La loi n'a point limité la voie que la partie lésée doit choisir pour faire valoir ses droits: il suffit qu'ils soient fondés et que l'évasion l'ait empêchée de les invoquer, pour qu'elle puisse diriger son action contre le complice, qui, suivant l'expression de Farinacius, s'est porté, par le fait de sa complicité, la caution du détenu qu'il a fait évader. La deuxième disposition commune aux gardiens et aux personnes étrangères est l'art. 246 qui porte : « Quiconque sera condamné, pour avoir favorisé une évasion ou des tentatives d'évasion, à un emprisonnement de plus de six mois, pourra, en outre, être mis sous la surveillance spéciale de la haute police, pour un intervalle de cinq à dix ans. » Cet article avait excité les réclamations de la commission du

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Corps législatif : « Quoique la disposition de mise en surveillance énoncée en cet article ne soit que facultative, disait cette commission, on peut se dispenser de l'insérer. Ceux qui favorisent ou concertent une évasion étant ordinairement des parents ou amis, contre lesquels il y a rarement d'autres reproches à faire, il ne paraît pas que la mesure de surveillance soit nécessaire à leur égard. S'il se trouve des individus qui en fassent habitude, alors ils tombent dans un cas de récidive, et dès lors ils sont soumis à la surveillance, suivant l'esprit de l'art.58 concernant la récidive.» Le Conseil d'état répondit que, puisque la disposition n'était que facultative, les juges ne seraient jamais forcés de l'aqpliquer malgré eux à des cas où ils la trouveraient trop rigoureuse; mais qu'il est aussi des cas où il serait utile de leur donner le pouvoir d'en faire usage: ce motif fit maintenir l'article. Du reste, pour qu'il puisse être appliqué, il faut que le complice de l'évasion ait été condamné à un emprisonnement de plus de six mois : la surveillance est subordonnée à cette condition expresse,

Ici se terminent nos observations relatives aux fauteurs et complices de l'évasion. Il nous reste à examiner le délit des personnes qui, sans prendre une part active à l'évasion, y participent en quelque sorte en recélant le détenu évadé. L'art. 248 est ainsi conçu : « Ceux qui auront recélé ou fait recéler des personnes qu'ils savaient avoir commis des crimes emportant peine afflictive, seront punis de trois mois d'emprisonnement au moins et de deux ans au plus.» Mais cette disposition ne se borne pas, comme on le voit, à prévoir et à punir le recèlement des détenus évadés: elle a généralisé ses termes; elle a franchi les limites de ce chapitre; elle s'applique au recèlement de toutes les personnes qui ont commis des faits qualifiés crimes par la loi. C'est donc une disposition distincte et qui n'est ni la conséquence ni le complément des dispositions que nous venons de parcourir: c'est une incrimination spéciale, un délit différent et nouveau, et c'est sous ce point de vue qu'il faut l'examiner.

Il est nécessaire, en premier lieu, d'apprécier les rapports et les différences qui se trouvent entre l'art. 248 et les art. 61 et 62 du Code pénal. Ce dernier article ne prévoit que le recélé des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit, tandis que l'article 248 ne s'occupe, au contraire, que du recè

[1] Voy. t. 1, p. 171 et 180. [2] L. 1, Dig. de receptatoribus.

lement des personnes coupables de crime la distance qui sépare ces deux articles est donc bien tranchée; ce sont deux délits distincts et par leur objet et par leur moralité; nulle confusion n'est possible entre eux. Le délit prévu par l'art. 61 a plus de liens avec celui que punit l'art. 248 là aussi il s'agit d'un recèlement de personnes, là aussi il s'agit d'une retraite ouverte à des criminels. Mais il est facile toutefois d'apercevoir les caractères différents de ces deux incriminations : l'art. 61 punit l'habitude de fournir logement et secours; ce qu'il a voulu punir, ce sont les repaires secrétement préparés aux malfaiteurs toujours sûrs d'y trouver asile; ce sont les individus qui font métier de tenir ces retraites afin d'avoir une part dans les brigandages; de là la règle qui les considère et les punit comme complices [1]. L'art. 248 diffère de cet article en ce qu'il ne punit point l'habitude de recéler, mais un acte isolé; en ce qu'il ne considère point cet acte comme un acte de participation au crime commis, mais comme un délit distinct, et spécial; enfin, en ce qu'il n'est point limité au recèlement d'une classe de malfaiteurs, mais qu'il s'étend à celui de toutes personnes qui ont commis des crimes.

Cela posé, il devient facile d'apprécier le véritable caractère du délit de recèlement : ce n'est point un acte de participation au crime commis, ce n'est pas même un acte d'approbation donnée à ce crime, car il est impossible de tirer une pareille induction d'un fait qu'une foule de circonstances et de sentiments divers peuvent suggérer : dans l'esprit de la loi, aucun lien criminel ne réunit le recéleur et la personne recélée; celui-là a pu ne céder qu'à un sentiment d'affection ou même d'humanité; il a pu blâmer hautement l'action du coupable et rejeter toute solidarité de cette action; le seul fait que la loi pénale veut apercevoir et punir, c'est qu'en recélant un coupable que la justice réclame, il se rend coupable de désobéissance et en quelque sorte de rébellion envers la loi qui prescrit la poursuite des crimes et l'application des peines. C'est en ne considérant le recèlement que sous ce rapport spécial, que la loi ne l'a puni que d'une peine correctionnelle.

Les textes du Digeste et du Code de Justinien assimilent aux coupables eux-mêmes les individus qui les ont recélés in pari causâ habendi sunt: porte le Digeste [2]; et le Code ajoute: par ipos et eos pœna expectet [3]. Mais il faut remarquer que dans l'espèce de la

[3] L. 1, C. de his qui latrones vel alios crimin. reos occult.

première lor il s'agissait des officiers publics qui auraient reçu de l'argent pour recéler ou faire évader les malfaiteurs, et le Code suppose une association quelconque entre les recéleurs et les criminels que poursuit la justice. Ces textes sont donc étrangers à notre espèce; aussi les jurisconsultes, qui s'écartent rarement des decisions des lois romaines, n'ont pas hésité dans ce cas spécial à enseigner qu'une peine arbitraire, c'est-à-dire proportionnée aux circonstances, était seule applicable in illum domi sue receptante et occultante non eadem pœna sed arbitraria [1]. Notre ancien droit renfermait des décisions diverses: les ordonnances de Moulins et de Blois (art. 26 et 193) portaient une disposition ainsi conçue : « Et d'autant que plusieurs de nos sujets donnent confort, aident et recèlent les coupables contre lesquels il y a décret pour crime et délit, défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu'ils soient, de recevoir ni recéler aucuns accusés et poursuivis en justice pour crime ou délit; ains leur enjoignons de les mettre és mains de ladite justice, sur peine d'être punis de la même peine que seront les coupables. » Mais une autre ordonnance de janvier 1629 ne prononçait d'autre peine que « d'être tenus en leur propre et privé nom des amendes et réparations jugées à l'encontre des coupables, et d'en demeurer caution et responsables. »>

Au reste, le délit prévu par l'art. 248 repose sur une double base: la loi exige que les personnes recélées aient commis un crime emportant peine afflictive, et que le recéleur ait formellement connu cette circonstance. La première condition suppose que la personne recélée est convaincue du crime, et par conséquent qu'elle a été condamnée; car, dans le langage de la loi, nul n'est censé avoir commis un crime, si ce n'est ceux que la justice en a déclarés coupables : et d'ailleurs comment savoir, si ce n'est après le jugement, que le fait commis emportera telle ou telle peine? Supposons que l'art. 248 s'étende même au recélé des personnes seulement inculpées : que deviendrait la condamnation du recéleur, si ces personnes mises ensuite en jugement sont acquittées ou condamnées à toute autre peine qu'une peine afflictive ? Que serait-ce qu'une condamnation soumise à une condition résolutoire ? Comment qualifier une peine dont le

sort dépendrait d'un jugement à venir ? Ce n'est donc que le recèlement des coupables, c'est-àdire des condamnés, que la loi a voulu punir ; et, en effet, l'incertitude de la culpabilité des prévenus enlève au recélé une partie de sa cri-minalité : le recéleur a pu croire légitimement à l'innocence de ce prévenu, il a pu croire que l'acte imputé n'avait pas la gravité que l'action publique lui supposait. La deuxième condition est que le recéleur ait positivement connu la position légale du criminel; et il est évident, en effet, que s'il ne l'a pas connue, aucune responsabilité ne doit peser sur lui. Toute la moralité de l'acte du recélé est dans cette connaissance : il n'est donc pas permis de la supposer ; il faut qu'elle soit formellement établie, et tout jugement prononcé contre le recéleur, qui ne déclarerait pas l'existence de cette circonstance, n'aurait aucune base et serait frappé de nullité.

Mais l'art. 248 s'applique non-seulement aux personnes qui ont recélé, mais à celles qui ont fait recéler: l'action des unes et des autres est,en effet, la même; que la désobéissance à la loi soit directe ou indirecte, elle n'est pas moins une désobéissance. Ainsi cette disposition s'étend à tous les individus qui ont procuré un asile au criminel, soit sous leur toit, soit sous un toit étranger. Toutefois les termes de la loi ne s'appliquent qu'au refuge donné ou procuré, et non point aux secours qui auraient pu être offerts au réfugié: la loi peut, dans un intérêt social, défendre de dérober à l'action de la justice une personne déclarée coupable et que cette justice réclame et poursuit; mais elle ne pourrait porter plus loin sa prévoyance sans blesser les droits de l'humanité, et transformer en délit l'appui et les secours fournis au condamné dont la position les réclame.

Le deuxième paragraphe de l'art. 248 renferme, au surplus, une exception que l'humanité a dictée et que la justice la plus rigoureuse ne pourrait désavouer; il est ainsi conçu : «Sont exceptés de la présente disposition les ascendants ou descendants, époux ou épouse, même divorcés, frères ou sœurs des criminels recélés, ou leurs alliés aux mêmes degrés. »

La loi romaine avait établi cette exception: Eos apud quos adfinis vel cognatus latro conservatus est, neque absolvendos, neque severè admodùm puniendos. Non enim par est eorum delictum, et eorum qui ni

[1] Farinacius, quæst. 30, no 98; Bartole, in l. 1, Dig. de recept.; Menochius, in tractatis de

CHAUVEAU. г. II.

arbitr, jud. causis, casu 348; Carrerius, in Pract. crimin. § homicidium, no 33.

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