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CHAPITRE I

LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

I.

L'Assemblée nationale (1871-1875).

L'Assemblée nationale à Bordeaux. Le gouvernement de la Défense nationale, en signant l'armistice avec les Allemands, s'engageait à convoquer une Assemblée « librement élue » qui se réunirait à Bordeaux pour décider la paix ou la guerre. Il adopta les mêmes formes d'élection qu'en 1848 vote au chef-lieu de canton, à la majorité relative, scrutin de liste par département, droit d'élection pour les colonies, indemnité parlementaire de 25 francs par jour, chiffre de 750 représentants.

La lutte électorale fut, à Paris, entre les partisans du gouvernement et les révolutionnaires; dans les départements, entre les partisans de Gambetta et la coalition d'opposition, formée d'orléanistes, de légitimistes et de républicains en conflit avec Gambetta. La représentation de Paris fut mélangée. Les départements envahis et ceux du Sud-Est élurent des républicains. Mais dans la plus grande partie de la France, où l'on tenait avant tout à la paix, les paysans, le clergé et la bourgeoisie, pour faire échec à Gambetta soupçonné de vouloir « la guerre à outrance », firent passer la « liste de la paix », c'està-dire les adversaires de Gambetta (8 février 1871). L'Assemblée nationale fut composée en majorité de partisans

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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de la monarchie (environ 400 contre 350 républicains), la plupart orléanistes, une centaine légitimistes, élus par les paysans, hostiles à la République et à l'influence politique de Paris; de là le surnom d'«assemblée de ruraux ». Réunie à Bordeaux le 12 février, elle se trouva investie de la souveraineté complète. Mais n'ayant pas de personnel monarchiste de gouvernement, elle élut président un républicain, Grévy, adversaire de la politique de Gambetta; puis elle nomma chef du pouvoir exécutif Thiers, l'élu de 26 départements, devenu l'homme le plus populaire de France pour avoir parlé en 1870 contre la déclaration de guerre. Thiers, ancien orléaniste rallié à la République, prit un ministère formé surtout de républicains partisans de la paix. Il promit de ne pas avoir d'autre politique que de travailler à « pacifier, à réorganiser, à relever le crédit »; la République ne serait pas reconnue pour le gouvernement définitif du pays. Cette promesse de neutralité, renouvelée le 10 mars, devint le « pacte de Bordeaux ».

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L'Assemblée vota les préliminaires de la paix et la déchéance des Bonaparte'. Puis elle décida de transférer sa résidence, non à Paris où était le gouvernement, mais à Versailles (10 mars). La Commune. Les gardes nationaux de Paris étaient restés armés et ceux des quartiers révolutionnaires, surtout des faubourgs de l'est, avaient créé pendant le siège des comités d'arrondissement qui avaient organisé un Comité central de la délégation. Une réunion de délégués et d'officiers créa en février la Fédération républicaine de la garde nationale, chargée de défendre leurs intérêts et de prévenir toute tentative pour renverser la République; elle devait être dirigée par un Comité central de délégués qui fut constitué définitivement le 15 mars. Ce fut le premier centre de résistance politique contre l'Assemblée. Les Parisiens, exaspérés par la longue inaction du siège et par la capitulation, virent avec irritation l'Assemblée, en majorité monarchiste, menacer de supprimer la République et de <«< décapitaliser Paris » en se transportant à Versailles. En même temps ils étaient atteints par deux décisions pratiques. 1o Le

1. Voir ci-dessus, t. XI, p. 845.

paiement des loyers et les échéances des effets de commerce avaient été suspendus pendant le siège; on demandait de prolonger la suspension attendu que les affaires n'avaient pas encore repris. L'Assemblée refusa; il y eut en quatre jours 150 000 protêts. 2° Les ouvriers encore sans travail n'avaient la plupart pour vivre que leur solde de garde national, de 1 franc 50 par jour; l'Assemblée supprima la solde, sauf pour les indigents pourvus d'un certificat.

Thiers, en arrivant à Paris le 15 mars, voulut affirmer la puissance du gouvernement par un acte d'autorité. Les gardes nationaux avaient amené à Montmartre 170 canons qu'ils considéraient comme leur propriété (ils avaient été fondus avec le produit d'une souscription). Le gouvernement envoya des troupes pour les reprendre par la force. Mais les soldats, entourés par une foule mélangée de femmes qui criait « Vive la ligne! refusèrent de tirer et se laissèrent désarmer; le général Lecomte qui les commandait fut pris, le général Clément Thomas, très impopulaire, fut arrêté et amené à Montmartre; tous deux furent fusillés (18 mars).

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Thiers revenant au plan qu'il avait proposé jadis à LouisPhilippe, fit retirer le gouvernement et évacuer la ville et les forts, même le Mont-Valérien (qu'il se décida ensuite à faire réoccuper), et décida d'attendre jusqu'à ce qu'il eût organisé une armée suffisante pour reprendre Paris de force.

Le Comité central, laissé maître de Paris, vint s'installer à l'Hôtel de Ville et prit le pouvoir. Les partisans du gouvernement dans Paris, abandonnés à eux-mêmes, essayèrent pendant plus de dix jours d'éviter la rupture. Les maires des arrondissements de Paris s'entremirent pour négocier entre le Comité central et l'Assemblée nationale. La négociation parut avoir réussi; pour satisfaire les Parisiens, les maires demandaient l'élection du Conseil municipal de Paris et l'élection du général de la garde nationale : le gouvernement consentit à laisser convoquer les électeurs, mais le Comité central, avançant la date de l'élection, la fixa au 26 mars. Les maires cédèrent, l'Assemblée refusa. Les élections furent donc illégales. La plupart des élus furent des partisans du Comité central, décidés à la rupture;

les partisans du gouvernement élus dans les quartiers pacifiques vinrent siéger au Conseil, mais s'en retirèrent aussitôt.

Le Conseil général de la Commune, élu par 229 000 volants sur 485 000 inscrits, se composait de 90 membres, dont plus d'une vingtaine se retirèrent. Ceux qui restèrent étaient en majorité partisans d'une dictature démocratique révolutionnaire. à la façon de Blanqui, un des élus; ils s'appelaient eux-mêmes Jacobins et prétendaient reprendre la tradition de 93; les plus connus étaient d'anciens représentants de 1849 (Delescluze, Pyat). Il y avait une douzaine de membres du Comité central, tous inconnus, et 17 membres de l'Internationale, partisans de réformes sociales par voie pacifique. Le Comité central, après avoir promis de se dissoudre, continua de siéger, se donnant comme mission de servir de « lien entre le Conseil et la garde nationale». Le pouvoir resta ainsi exercé à la fois par le Conseil et le Comité central; c'est ce gouvernement confus qu'on appelle la Commune. Ses partisans se donnaient le nom de fédérés; mais la grande majorité du pays refusa de les reconnaître pour des insurgés politiques, on les traita en malfaiteurs et l'usage s'établit de les désigner par les sobriquets de communards ou communeux.

La Commune, dont les séances furent d'abord secrètes, organisa un pouvoir exécutif formé d'une « commission exécutive » et d'une dizaine de commissions spéciales (militaire, finances, justice, sûreté générale, travail, industrie, subsistances, services publics, enseignement, relations extérieures). Elle abolit la conscription et établit le service militaire obligatoire dans la garde nationale pour tous les hommes valides de dix-huit à quarante ans. Elle adopta le calendrier républicain et le drapeau rouge, emblème de la révolution sociale. Elle déclara nuls tous les actes du « gouvernement de Versailles ».

La Commune essaya d'abord d'étendre la Révolution à toute la France en détruisant le gouvernement de Thiers et de l'Assemblée. Les fédérés tentèrent une sortie générale le 3 avril; ils marchèrent sur Versailles en trois colonnes, par Nanterre, par Meudon, par Sceaux. Toutes trois furent repoussées par les soldats de ligne et les gendarmes. Plusieurs chefs fédérés furent

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fusillés sans jugement. La Commune répondit par le décret des otages, qui ordonnait d'emprisonner les notables qui seraient reconnus par un jury parisien suspects d'entente avec Versailles », et annonçait que l'exécution d'un fédéré prisonnier de guerre serait suivie de l'exécution d'un nombre triple d'otages. (Le jury ne fut formé que le 19 mai.)

En même temps, les révolutionnaires du Midi et du Centre. essayaient de soulever les villes et d'y établir une Commune indépendante de l'Assemblée. Le mouvement fut tenté à Lyon en mars, au Creuzot (26 mars), à Saint-Étienne où le préfet fut massacré (25 mars), à Toulouse (23-26 mars), à Narbonne (14-31 mars), à Marseille (23 mars-3 avril), à Limoges (4 avril). Partout il fut réprimé; à Marseille, par des exécutions.

L'armée se formait autour de Versailles avec les soldats français à mesure qu'ils revenaient d'Allemagne. Quand elle fut assez forte pour prendre l'offensive, elle commença le siège de Paris.

«

La Commune isolée, enfermée dans la ville, réduite à une guerre défensive, changea son programme et son organisation. Le Conseil publia (20 avril) la Déclaration au peuple français. Que demande Paris? La reconnaissance et la consolidation de la République... L'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France... L'autonomie de la Commune n'aura pour limites que le droit d'autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l'association doit assurer l'unité française. Les droits inhérents à la Commune sont le vote du budget communal... la fixation et la répartition de l'impôt, la direction des services locaux, l'organisation de sa magistrature, de sa police intérieure et de l'enseignement... le choix par l'élection ou le concours... des des fonctionnaires communaux de tous ordres... l'organisation de la défense urbaine et de la garde nationale, qui élit ses chefs et veille seule au maintien de l'ordre... » Ainsi la Commune rompait avec la tradition républicaine de 93, qui fondait l'unité française sur la centralisation en donnant à Paris le gouvernement direct de la France. Elle acceptait la doctrine fédéraliste de l'autonomie de la Commune, et n'acceptait entre les communes à peu près souveraines d'autre lien que « la grande

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