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Le ministère Sverdrup. - Rien, en droit, n'empêchait le roi de former un nouveau ministère conservateur : il jugea cependant plus politique de s'adresser au chef reconnu de la gauche, M. Sverdrup. En même temps, une transaction intervenait sur le fond du litige les députés votèrent une motion nouvelle analogue à celle de 1872, le roi la sanctionna et les ministres vinrent siéger au Storting. La gauche obtenait ainsi des concessions importantes et il semblait, du même coup, que l'on s'acheminait vers un régime résolument parlementaire. Il n'en fut toutefois pas absolument ainsi et le cabinet Sverdrup ne réalisa point toutes les espérances conçues par ses partisans de la première heure. Une fois aux affaires, l'ancien leader de l'opposition atténua très sensiblement son programme. Il fit aboutir certaines des réformes qu'il avait préconisées, en matière militaire nolamment, mais parut renoncer à d'autres et surtout ne se montra pas aussi résolument parlementaire qu'on le supposait. En 1887, par exemple, une loi ecclésiastique présentée par lui ayant été rejetée à une très forte majorité, il ne crut pas devoir se retirer, encore qu'il s'agit d'une question. d'importance et de principe. Peu après la constitution du ministère, d'ailleurs, et précisément à cause des tendances nouvelles de son chef, le parti libéral s'était fractionné; les dissidents devinrent rapidement plus nombreux, et à la suite des élections de 1888 le cabinet ne pouvait plus compter que sur vingt-deux voix fidèles. Il restait néanmoins. En outre, le conseil lui-même se trouva bientôt aussi divisé que la majorité, certains de ses membres désireux de se retirer ne consentant à rester que sous des conditions diverses. Ces divisions une fois connues, les adversaires du premier ministre en tirèrent immédiatement parti et la lutte devint bientôt très vive, voire dramatique. Un des ministres dissidents, M. Richter, étant, à la stupéfaction générale, intervenu dans une discussion en faveur de M. Sverdrup et l'ayant ainsi en quelque sorte sauvé, on publia des lettres de lui en contradiction formelle avec la thèse qu'il avait soutenue au Storting, d'où un scandale tel qu'il se suicida. Un an environ plus tard, en juillet 1889, M. Sverdrup se retirait enfin.

Un ministère conservateur modéré fut formé alors par M. Emile Stang, fils de l'autre ministre d'État du même nom. Au bout de deux ans à peine, il se retirait à son tour pour faire place à une nouvelle combinaison de gauche présidée par M. Steen, qui lui-même fit de nouveau place à M. Stang en 1893, auquel succéda enfin, en 1895, M. Hagerup. Au cours de ces changements perpétuels, certaines réformes importantes. furent introduites, telles, par exemple, que l'établissement du suffrage universel. Il n'y a cependant, durant cette période tout à fait récente, que peu de choses à relever touchant la politique purement norvégienne. Celle-ci avait, en effet, passé tout à fait à l'arrière-plan. Les questions relatives à l'Union ne l'influençaient plus simplement, mais la dominaient tout à fait, et le départ ou la rentrée des ministres étaient provoqués le plus souvent par les discussions relatives aux rapports à entretenir avec la Suède.

La Norvège et l'Union. Le fait même que la gauche prenait une influence de plus en plus considérable, parfois prépondérante, ne pouvait manquer de raviver cette question si épineuse et toujours pendante, puisque ce sont les libéraux, comme nous le rappelions tout à l'heure, qui ont pris à tâche de modifier l'ordre des choses établi en 1814. Ils n'ont pas d'ailleurs, en la matière, des vues uniformes ni même constamment bien nettes, et l'on ne saurait, par conséquent, résumer leur programme. Ils ne font qu'accentuer les tendances qui se manifestèrent au lendemain même de l'Union et dont nous avons parlé en leur temps. On a vu également que le sentiment national norvégien se manifestait, suivant les époques, à propos d'objets très divers. Durant la période dont nous nous occupons maintenant, il s'attacha surtout à deux revendications: l'une d'amour-propre, la question du drapeau; l'autre plus importante et pratique, la réorganisation des services des affaires étrangères.

On se souvient que ces services sont, avec le roi, la seule chose commune aux deux royaumes. Légations et consulats sont communs, chaque État payant une quote-part pour leur entretien; mais ces légations et consulats communs, dans le personnel desquels figurent des Suédois et des Norvégiens, sont

dirigés par le ministre suédois des affaires étrangères, lequel, d'après la constitution suédoise, doit être Suédois. Cette organisation paraissait aux Norvégiens anormale, humiliante et contraire à leurs intérêts: ils mirent en avant des projets de modifications diverses, demandant tantôt des consulats séparés, tantôt des légations particulières, tantôt enfin un ministre « commun» ou même deux ministres distincts. Ces différentes idées ne furent pas du reste soutenues avec la même vigueur, ni surtout successivement : d'où l'impossibilité absolue d'éviter une certaine confusion en exposant les débats auxquels elles donnèrent lieu.

Tout naturellement, l'avènement du ministère Sverdrup fit proclamer résolument la nécessité pour la Norvège d'intervenir de façon plus efficace dans la direction de sa politique extérieure. Dès 1886, les revendications se précisèrent, visant surtout la possibilité pour le ministre d'être Norvégien et une autre question plus complexe. Constitutions et usages veulent que toutes les affaires soient délibérées par le roi et ses ministres dans des conseils dont la composition varie suivant les objets on désirait dès lors que dans les conseils où serait discutée la politique étrangère la Norvège fût représentée à l'égal de la Suède. Au cours des années suivantes, l'agitation alla croissant, même une fois que les conservateurs modérés eurent repris le pouvoir. Divers incidents l'entretinrent et l'avivèrent, dont un qui eut lieu à Paris. La Suède n'avait pas participé officiellement à l'Exposition de 1889, mais la Norvège l'avait fait; conformément aux ordres de Stockholm, la légation s'abstint de paraître à l'inauguration, et ce fait qui paraissait montrer la Norvège sous la dépendance de la Suède eut naturellement un retentissement. considérable. Dès l'année suivante la question de la représentation diplomatique de la Norvège fut discutée et la majorité, pour manifester ses sentiments et imposer ses manières de voir, commença à refuser les crédits destinés à certaines légations qu'elle jugeait inutiles pour le pays. Le ministère Stang essaya d'amener un apaisement à l'aide d'un arrangement assurant l'égalité des deux royaumes dans les conseils communs où se discuteraient les relations étrangères. Mais le Storting ne voulait

plus rien entendre et refusait d'admettre un ministre suédois. Le ministère Stang fit place au ministère Steen. Les radicaux inscrivirent sur leur programme un ministre norvégien des affaires étrangères et les élections générales se terminèrent par la victoire de la gauche (automne 1891). Dès la session suivante, le 25 février 1892, le Storting, reprenant un procédé ancien, votait un ordre du jour déclarant la question des consulats purement norvégienne ».

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Attitude de la Suède. Négociations entre les royaumes. Les choses en venaient ainsi à un point tel que le gouvernement suédois ne pouvait plus feindre de les ignorer, estimant de même qu'en 1860, à propos du gouverneur général que rien de ce qui touchait aux affaires étrangères n'était modifiable sans son intervention. Agissant ainsi, il avait pour lui la diète et l'opinion publique, qui commençait à se montrer sérieusement émue. Le pays à peu près entier envisageait toujours les rapports avec le peuple frère » en partant des mêmes principes que du temps de Charles-Jean. D'autre part, l'agitation norvégienne aboutissait à des attaques contre le roi qui froissaient vivement le loyalisme suédois. Les plus irrités étaient donc les conservateurs, alors en majorité dans la diète; certains d'entre eux devaient bientôt ne reculer devant aucune hypothèse et faire remarquer que des pourparlers seraient inutiles ou dangereux toute réforme de l'Union nécessiterait des revisions constitutionnelles, très lentes en Norvège; celle-ci profiterait du répit pour se mettre en mesure de résister par la force; mieux valait donc prendre les devants et imposer immédiatement, par les moyens les plus efficaces, une solution acceptable.

Le roi toutefois et ses conseillers n'admirent jamais ces doctrines excessives. Le gouvernement suédois invita celui de Norvège à des pourparlers, laissant entendre qu'il admettrait qu'un Norvégien put devenir ministre des affaires étrangères. La majorité du Storting refusa et se borna à voter de nouveau l'ordre du jour du 25 février 1892; il ne votait, d'autre part, les crédits relatifs aux consulats que sous la condition que le gouvernement mettrait fin, dans un délai donné, à l'organisation existante,

et le roi, n'admettant pas la condition, refusait de sanctionner les votes. Entre temps, les questions relatives au ministère des affaires étrangères et à la représentation diplomatique étaient également agitées constamment dans les chambres et dans le pays. En Suède, l'opinion publique se surexcitait de plus en plus et la diète affirmait solennellement son droit d'intervenir, si bien que la situation entre les royaumes se tendait chaque jour davantage.

Sur ces entrefaites eurent lieu des élections générales pour le Storting (automne 1894). Les radicaux perdirent quelques voix, mais conservèrent la majorité, et le ministère conservateur Stang donna sa démission. Le roi lui demanda de rester provisoirement aux affaires et engagea des négociations directes avec la majorité, se déclarant disposé à gouverner d'accord avec elle à la condition que les ordres du jour intransigeants seraient retirés et le principe des négociations avec la Suède admis. Les pourparlers, laborieux et confus, trainèrent plusieurs mois. En juin, toutefois, la gauche se décida à céder, mais la crise ministérielle se prolongea quelque temps encore et ce ne fut qu'en septembre que le cabinet de coalition Hagerup fut enfin formé. Presque en même temps, le comité composé de représentants suédois et norvégiens nommés par les deux gouvernements, avec mission d'étudier les modifications à introduire dans l'Union, était constitué et commençait ses travaux (décembre 1895).

Les délibérations durèrent deux ans et n'aboutirent point, en ce sens que le comité ne put se mettre d'accord sur aucun point. Il se fractionna en quatre groupes, qui émirent des conclusions. où un seul point était commun: la nécessité de changer ce qui existait. En présence de ce fait, le roi décida qu'il n'y avait lieu de saisir les parlements d'aucune proposition, et, comme après la crise de 1860, tout fut laissé en suspens.

A peu près dans le même temps, une autre question beaucoup moins grave, mais qui passionnait, elle aussi, les Norvégiens, recevait une solution caractéristique. Le drapeau norvégien portait, près de la hampe, le symbole de l'Union, sous forme d'un petit rectangle où les couleurs suédoises s'entremêlaient

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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