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Analyse (1) d'un Mémoire sur la Distribution de l'Electricité à la surface des Corps conducteurs;

Par M. POISSON.

La théorie de l'électricité la plus généralement admise est celle qui attribue tous les phénomènes à deux fluides différens, répandus dans tous les corps de la nature. On suppose que les molécules d'un même fluide se repoussent mutuellement, et qu'elles attirent les molécules de l'autre : ces forces d'attraction et de répulsion suivent la raison inverse du quarré des distances; à la même distance, le pouvoir attractif est égal au pouvoir répulsif, d'où il résulte que, quand toutes les parties d'un corps renferment une égale quantite de l'un et de l'autre fluide, ceux-ci n'exercent aucune action sur les fluides contenus dans les corps environnans, et il ne se manifeste par conséquent aucun signe d'electricité. Cette distribution égale et uniforme des deux fluides est ce qu'on appelle leur état naturel; dès que cet état est troublé par une cause quelconque, le corps dans lequel cela arrive est électrisé, et les différens phénomènes de l'électricité commencent à se produire.

Tous les corps de la nature ne se comportent pas de la même manière par rapport au fluide électrique : les uns, comme les métaux, ne paroissent exercer sur lui aucune espèce d'action; ils lui permettent de se mouvoir librement dans leur intérieur et de les traverser dans tous les sens: pour cette raison on les nomme corps conducteurs. D'autres, au contraire, l'air très-sec, par exemple, s'opposent au passage du fluide électrique dans leur intérieur, de sorte qu'ils servent à empêcher le fluide accumulé dans les corps conducteurs de se dissiper dans l'espace. Les phénomènes que présentent les corps conducteurs électrisés, soit quand on les considère isolément, soit lorsqu'on en rapproche plusieurs les uns des autres, pour les soumettre à leur influence mutuelle, sont l'objet de ce Mémoire, dans lequel

(1) Cet article précède le mémoire que M. Poisson a lu les 9 mai et 12 août 1812, à la Classe de l'Institut, dont il est membre, Il a déjà paru dans plusieurs ouvrages périodiques; néanmoins, j'ai cru devoir l'insérer dans cette feuille, spécialement destinée à une école, où l'on enseigne l'application de l'analyse aux questions de physique, dont la solution dépend des lois générales de la mécanique.

H. C.

je me suis proposé d'appliquer le calcul à cette partie importante de la physique. Avant d'entrer en matière, je vais exposer avec quelques détails les principes qui servent de base à mon analyse, et faire connoître les résultats les plus remarquables auxquels elle m'a conduit.

Considérons un corps métallique, de forme quelconque entièrement plongé dans l'air sec, et supposons que l'on y introduise une quantité donnée de l'un des deux fluides. En vertu de la force répulsive de ses parties, et à cause que le métal n'oppose aucun obstacle à son mouvement, on conçoit que le fluide ajouté va être transporté à la surface du corps, où il sera retenu par l'air environnant. Coulomb a prouvé en effet, par des expériences directes, qu'il ne reste aucun atôme d'électricité dans l'intérieur d'un corps conducteur électrisé, si ce n'est toutefois l'électricité naturelle de ce corps: tout le fluide ajouté se distribue à sa surface; il y forme une couche extrêmement mince, qui ne pénètre pas sensiblement au-dessous de cette surface, et dont l'épaisseur en chaque point dépend de la forme du corps. Cette couche est terminée extérieurement par la surface même du corps, et à l'intérieur par une autre surface très-peu différente de la première; elle doit prendre la figure propre à l'équilibre des forces répulsives de toutes les molécules qui la composent, ce qui exigeroit d'abord que la surface libre du fluide, c'est-à-dire, sa surface intérieure, fût perpendiculaire en tous ses points à la résultante de ces forces; mais la condition d'équilibre de la couche fluide est comprise dans une autre, à laquelle il est nécessaire et il suffit d'avoir égard.

En effet, pour qu'un corps conducteur électrisé demeure dans un état électrique permanent, il ne suffit pas que la couche fluide qui le recouvre se tienne en équilibre à sa surface; il faut, en outre, qu'elle n'exerce ni attraction, ni répulsion, sur un point quelconque pris au hasard dans l'intérieur du corps; car si cette condition n'étoit pas remplie, l'action de la couche électrique sur les points intérieurs décomposeroit une nouvelle quantité de l'électricité naturelle du corps, et son état électrique seroit changé. La résultante des actions de toutes les molécules qui composent la couche fluide, sur un point pris quelque part que ce soit dans l'intérieur du corps, doit donc être égale à zéro; par conséquent elle est aussi nulle pour tous les points situés à la surface intérieure de cette couche; la condition relative à sa direction devient donc superflue; ou, autrement dit, l'équilibre de la couche fluide est une suite nécessaire de ce qu'elle n'exerce aucune action dans l'intérieur du corps.

Il résulte de ce principe, que, si l'on demande la loi suivant laquelle l'électricité se distribue à la surface d'un sphéroide de forme donnée, la question se réduira à trouver quelle doit être l'épaisseur de la couche fluide en chaque point de cette surface, pour que l'action de la couche entière soit nulle dans l'intérieur du corps électrisé, Ainsi, par exemple, on sait qu'un sphéroïde creux, terminé par deux surfaces elliptiques, semblables entre elles, n'exerce aucune action sur tous les points compris entre son centre et sa surface intérieure, en y comprenant les points mêmes de cette surface; on en conclut donc que, si le corps électrisé est un ellipsoïde quelconque, la surface intérieure de la couche électrique sera celle d'un autre ellipsoide concentrique et semblable à l'ellipsoide donné, ce qui détermine son épaisseur en tel point qu'on voudra cette épaisseur sera la plus grande au sommet du plus grand des trois axes, et la plus petite au sommet du plus petit; les épaisseurs de la couche, ou les quantités d'électricité, qui répondent à deux sommets différens, seront entre elles comme les longueurs des axes qui aboutissent à ces sommets.

M. Laplace a donné, dans le III. livre de la Mécanique céleste (1), la condition qui doit être remplie pour que l'attraction d'une couche terminée par deux surfaces à-peu-près sphériques, soit egale à zéro, relativement à tous les points intérieurs; en supposant donc que l'épaisseur de cette couche devienne très-petite, on en concluera immédiatement la distribution de l'électricité à la surface d'un sphéroïde peu différent d'une sphère; mais ce cas et celui de l'ellipsoïde sont les seuls où l'on puisse assigner, dans l'état actuel de la science, l'épaisseur variable de la couche fluide qui recouvre un corps conducteur électrisé.

Lorsque la figure de la couche électrique est déterminée, les formules de l'attraction des sphéroïdes font connoître son action sur un point pris en dehors ou à la surface du corps électrisé. En faisant usage de ces formules, j'ai trouvé qu'à la · surface d'un sphéroïde peu différent d'une sphère, la force répulsive du fluide électrique est proportionnelle à son épaisseur en chaque point; il en est de même à la surface d'un ellipsoïde de révolution, quel que soit le rapport de ses deux axes; de sorte que sur ces deux espèces de corps, la répulsion électrique est la plus grande dans les points où l'électricité est accumulée en plus grande quantité. Il est naturel de penser que

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ce résultat est général, et qu'il a également lieu à la surface d'un corps conducteur de forme quelconque; mais quoique cette proposition paroisse très-simple, il seroit cependant très-difficile de la démontrer au moyen des formules de l'attraction des sphéroïdes; et c'est un de ces cas où l'on doit suppléer à l'imperfection de l'analyse par quelque considération directe. On trouvera, dans la suite de ce Mémoire, une démonstration purement synthétique, que M. Laplace a bien voulu me communiquer, et qui prouve qu'à la surface de tous les corps électrisés, la force répulsive du fluide est partout proportionnelle à son épaisseur.

La pression que le fluide exerce contre l'air qui le contient, est en raison composée de la force répulsive et de l'épaisseur de la couche; et puisque l'un de ces élémens est proportionnel à l'autre, il s'ensuit que la pression varie à la surface d'un corps électrisé, et qu'elle est proportionnelle au quarré de l'épaisseur ou de la quantité d'électricité accumulée en chaque point de cette surface. L'air imperméable à l'électricité doit être regardé comme un vase dont la forme est déterminée par celle du corps électrisé; le fluide que ce vase contient, exerce contre ses parois des pressions différentes en différens points, de telle sorte que la pression qui a lieu en certains points, est quelquefois très-grande et comme infinie, par rapport à celle que d'autres éprouvent. Dans les endroits où la pression du fluide vient à surpasser la résistance que l'air lu oppose, l'air cède, ou, si l'on veut, le vase crève, et le fluide

s'écoule comme par une ouverture. C'est ce qui arrive à l'extrémité des pointes et sur les arêtes vives des corps anguleux; car on peut démontrer qu'au sommet d'un cône, par exemple, la pression du fluide électrique deviendroit infinte si l'électricité pouvoit s'y accumuler. A la surface d'un ellipsoïde alongé, la pression ne devient infinie en aucun point; mais elle sera d'autant plus considérable aux deux pôles, que l'axe qui les joint sera plus grand par rapport au diamètre de l'équa➡ teur. D'après les théorêmes que je viens de citer, cette pression sera à celle qui a lieu à l'équateur du même corps, comme le quarré de l'axe des pôles est au quarré du diamètre de l'équateur; de manière que si l'ellipsoide est très-allongé, la pression électrique pourra être très-foible à l'équateur, et surpasser la résistance de l'air aux pôles. Ainsi, lorsqu'on électrise une barre métallique qui a la forme d'un ellipsoïde très-aloǹgé, le fluide électrique se porte principalement vers ses extrémités, et il s'échappe par ces deux points, en vertu de son excès de pression sur la résistance que l'air lui oppose. En général, l'accroissement indéfini de la pression électrique, en certains

points des corps électrisés, fournit une explication naturelie et précise de la faculté qu'ont les pointes de dissiper dans l'air non-conducteur le fluide électrique dont elles sont chargées.

Le principe dont je suis parti pour déterminer la distribution du fluide électrique à la surface d'un corps isolé, s'applique également au corps d'un nombre quelconque de corps conducteurs soumis à leur influence mutuelle pour que tous ces corps demeurent dans un état électrique permanent, il est nécessaire et il suffit que la résultante des actions des couches fluides qui les recouvrent, sur un point quelconque pris dans l'intérieur de l'un de ces corps, soit égale à zéro : cette condition remplie, le fluide électrique sera en équilibre à la surface de chacun de ces corps, et il n'exercera aucune décomposition du fluide qu'ils renferment dans leur intérieur, et qui s'y trouve à l'état naturel. L'application de ce principe fournira, dans chaque cas, autant d'équations que l'on considérera de corps conducteurs, et ces équations serviront à déterminer l'épaisseur variable de la couche électrique sur ces différens corps. S'il se trouvoit, en outre, près de ceux-ci, d'autres corps qui fussent absolument non-conducteurs, il faudroit avoir égard à leur action sur le fluide répandu à la surface des corps conducteurs; mais comme le fluide électrique ne peut prendre aucun mouvement dans l'intérieur des corps non-conducteurs, on n'auroit, par rapport aux corps de cette espèce, aucune condition à remplir, et le nombre des équations du problême sera toujours égal à celui des corps conducteurs.

Je me suis borné dans ce Mémoire à donner ces équations pour le cas de deux sphères de différens rayons, formées d'une malière parfaitement conductrice, et placées à une distance quelconque l'une de l'autre. Les deux équations que j'ai trouvées sont aux différences finies, à deux variables indépendantes et à différences variables: on les réduit d'abord à deux autres équations à une seule variable indépendante, et la solution du problême ne dépend plus que de leur intégration. Lorsque des deux sphères se touchent, ces équations s'intègrent sous une forme très-simple par des intégrales définies. C'est ce cas par ticulier que je me suis spécialement attaché à résoudre, et l'on trouvera, dans la suite de ce Mémoire, des formules au moyen desquelles on peut calculer l'épaisseur de la couche électrique en chaque point de chacune des deux sphères. Cette épaisseur est nulle au point de contact, c'est-à-dire que quand deux sphères dont les rayons ont entre eux un rapport quelconque, sont mises en contact et électrisées en commun, le calcul montre qu'il n'y a jamais d'électricité au point par

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