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LIVRE III

CHAPITRE PREMIER.

Résumé des faits.

Avant de rechercher les mesures que comporte le reboisement, il est essentiel de dégager et de mettre en relief les faits les plus positifs qui résultent de l'examen auquel nous nous sommes livré.

Dans l'ordre physique,

Les forêts paraissent, dans toutes les situations, exercer une influence appréciable sur les phénomènes atmosphériques. Trop multipliées, elles entretiennent dans l'atmosphère une humidité nuisible. Leur rareté ou leur absence totale augmente la sécheresse de l'air, et réagit sur la température et le climat du pays. Convenablement réparties ou groupées, suivant les circonstances locales, elles offrent des abris utiles, et maintiennent un état hygrométrique favorable à la végétation.

Situées sur les collines et sur les montagnes, les fo

rêts conservent le sol; et dans toutes les situations, en le soulevant, en le rendant plus perméable, et en le protégeant contre l'évaporation, elles favorisent l'infiltration des eaux pluviales, qui sont le principal aliment des sources.

Par ce même effet de défendre le sol contre les affouillements, et de ménager une plus grande absorption des eaux pluviales, en même temps qu'elles en modèrent le cours en les divisant et en prévenant leur réunion, elles concourent, dans les montagnes, à affaiblir ou à neutraliser l'action dévastatrice des torrents, qui se manifeste par des inondations irrégulières et fréquentes, et par ces irruptions de débris et de ruines qui couvrent le domaine de l'homme et forcent les populations à reculer sans cesse devant une solitude inhabitable.

Dans l'ordre économique,

L'insuffisance de nos ressources forestières est démontrée par l'élévation successive du prix du bois, et par l'importation des bois étrangers, dont le chiffre augmente chaque année

Elle est encore démontrée par la comparaison de l'étendue de notre sol forestier avec les produits en matière dont il est susceptible, fait grave qui atteste à la fois les dévastations dont il a été l'objet, et la destruction anticipée des réserves de l'avenir.

Une bonne économie semble réclamer en France une meilleure répartition des cultures. Cette répartition doit s'opérer d'une part par le défrichement des

bois de plaines situés dans des terres propres à d'autres cultures plus précieuses, de l'autre, par l'extension de la production forestière dans des régions spéciales.

Ce défrichement doit être progressif et suivre la marche parallèle du reboisement.

Le pâturage est la cause la plus active du déboisement. Lui laisser toute latitude, c'est assurer la ruine du sol forestier. L'interdire, ce serait attaquer l'existence même des populations qui habitent nos montagnes. De là, nécessité de concilier deux intérêts aujourd'hui rivaux: 1° par un partage qui résulte de cette distribution que la nature a préparée de ses propres mains en plateaux et en bassins, en cimes et en pentes plus ou moins abuptes; 2° par un reboisement successif qui ne s'empare de terrains presque stériles que pour les rendre plus tard avec une valeur nouvelle, et qui d'ailleurs s'élève à une haute question d'utilité publique, même pour l'industrie pastorale, par l'influence qu'il doit exercer sur la conservation et sur la fertilité du sol, et sur le cours des torrents 1; 3o par une gestion plus intelligente des biens communaux, qui assure, sur une masse peut-être moins

(1) Nous avons déjà observé que la couche de terre végétale doit diminuer avec le déboisement. D'un autre côté, on apprécie les bienfaits de l'irrigation. Or il est incontestable que les bois, par leurs dépouilles, préparent la matière des engrais dont les eaux courantes se chargent et qu'elles déposent sur les terrains inférieurs.

considérable de terrains, des produits plus abondants; 4o enfin, par toutes les améliorations qui doivent tendre aux développements de l'industrie pastorale.

La culture des futaies pleines doit être principale ment encouragée, parce que, sur une étendue égale de terrain, elles donnent plus de produits en matière. C'est dans les forêts de l'État et des communes que les gouvernements doivent entretenir et renouveler sans cesse ces ressources précieuses pour l'avenir et pour nos constructions civiles et navales.

CHAPITRE II.

Examen de quelques projets de reboisement. Nécessité d'une exécution immédiate.

Depuis bien des années, on court à la recherche de divers documents statistiques, toujours incomplets ou insuffisants, parce qu'on néglige les précautions et les garanties nécessaires, et on recommence sans cesse en suivant les mêmes procédés.

Le classement prescrit par le projet de loi sur le défrichement présenté à l'Assemblée législative, et le terrier proposé par M. Dufournel ont pour objet de reconnaître l'étendue de notre sol forestier. On obtiendrait ainsi, après bien des efforts, un nouveau

chiffre qui n'aura pas plus de portée que les précédents, si on laisse en oubli une circonstance essentielle, l'état matériel des forêts.

D'ailleurs un classement n'a pas de but réel, s'il n'est précédé et éclairé par un système arrêté de reboisement, comme un projet de reboisement ne peut avoir de solution décisive, sans un principe qui le domine et qui le justifie : ce principe, c'est l'utilité publique.

M. Dufournel, du moins, ne se bornait pas à la demande d'un cadastre forestier : il se préoccupait en inême temps de la véritable question à résoudre, lorsque, reconnaissant l'insuffisance de nos ressources, il cherchait à exciter la production par tous les moyens qui peuvent agir sur l'intérêt privé. Mais il compromettait lui-même son projet, en négligeant de le fonder sur l'utilité publique.

Les classements divers qu'on recherche ne peuvent être que la conséquence ou l'exécution d'un nouveau système de reboisement. Pour savoir quels seront les bois à défricher, les bois à conserver et les bois à créer, il faut savoir avant tout de quel principe on part et quel but on veut atteindre. En effet, si l'on admet l'opinion de quelques économistes, il n'y aurait rien à faire : il faudrait tout simplement proclamer la liberté absolue du défrichement, laisser la production forestière suivre son cours naturel, et renoncer à toute prétention de la diriger ou de l'encouger. Si, au contraire, on reconnaît que l'existence des

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