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autre marche, l'étude des circonstances locales n'en est pas moins essentielle. Ces circonstances, sous l'empire des phénomènes généraux, peuvent souvent expliquer les effets divers qu'ils subissent, lorsque des localités qui par leur position paraissent soumises aux mêmes chances, se trouvent néanmoins dans des conditions différentes sous le rapport de l'intensité ou de la fréquence de ces phénomènes.

Dans l'état actuel de nos connaissances, bornonsnous à enregistrer les faits, soyons sobres de généralités, et ne sortons pas d'un doute raisonnable pour nous livrer à l'entraînement d'un système plus ou moins ingénieux.

CHAPITRE II.

Le climat des Gaules a-t-il changé depuis la conquête? Ce changement, s'il existe, est-il dû à des causes générales atmosphériques, ou ne doit-il être attribué qu'à des circonstances locales?

M. Fuster présenta à l'Académie en 1845 un mémoire dans lequel il cherche à établir les propositions suivantes : 1° à l'arrivée des Romains dans les Gaules, le climat était froid et humide; 2° après la conquête, le climat s'adoucit progressivement du sud au nord; 3o le neuvième siècle marque la limite de l'adoucissement du climat : il reste stationnaire pendant deux

cents ans; mais vers l'an 1200, il entre dans une période de décroissement qui s'est prolongée jusqu'à nos jours.

Ce mémoire fut soumis à l'examen d'une commission prise dans le sein de l'Académie. Il résulte du savant rapport de M. de Gasparin, que les propositions de M. Fuster ne sont pas justifiées. M. Martins, météorologiste distingué, les avait déjà combattues dans une notice très remarquable. Nous ne pouvons que renvoyer à ces deux documents.

Si les grandes périodes météorologiques, telles que M. Fuster les a limitées et décrites, ne sont pas réelles, il existe du moins quelques modifications qui se seraient manifestées dans le climat des Gaules depuis la conquête, et dont la cause doit être recherchée.

La physionomie des Gaules avant cet événement, et celle qu'elle présente après avoir subi l'influence de la civilisation romaine, me paraissent deux circonstances distinctes qu'on peut expliquer naturellement sans recourir à des hypothèses plus ou moins téméraires.

L'état des Gaules à l'époque où les Romains en firent la conquête, est parfaitement décrit par César dans ses Commentaires. On voit un pays couvert de marais et de bois qui le coupaient dans tous les sens, perpetuis paludibus silvisque muniti. En outre, César mentionne quelques forêts d'une immense étendue : celle de Bacenis (le Harts, d'après Cellarius), qui sé

parait les Suèves (peuple de la Souabe) des Chérusques (peuple de Cologne); celle d'Hercynie (la forêt Noire), de neuf journées de marche; celle des Ardennes, la plus grande de toute la Gaule, qui s'étendait, depuis les rives du Rhin et le pays des Trévires (Trèves) jusqu'à celui des Nerviens (Hainaut), dans un espace de 500 milles.

Cette multitude de bois et de marais qui couvraient presque tout le pays, devait rendre le climat humide, couvert de brouillards, et sujet à des pluies fréquentes. Sous ce rapport, la première proposition de M. Fuster serait justifiée.

La seconde reposerait sur les faits suivants. Strabon rapporte que de son temps la vigne et le figuier ne dépassaient pas les montagnes des Cévennes. Quand Domitien fit arracher les vignes dans les Gaules, elles avaient atteint Autun. Enfin, sous Julien, la vigne et le figuier se montraient aux environs de Paris.

De ce que la culture de la vigne n'existait pas dans les Gaules à l'époque de la conquête, et de ce qu'elle y aurait fait postérieurement de grands progrès, même vers le nord, il ne faudrait pas en induire que ce progrès fut l'effet nécessaire d'un adoucissement du climat occasionné par des causes générales atmosphériques. Plusieurs motifs nous paraissent lutter contre cette assertion.

La vigne n'est pas un produit indigène. Elle se montre avec la civilisation. Elle n'existait pas, ou elle occupait très peu d'espace en Italie, dans les premiers

temps. Pline rapporte que Romulus faisait des libations avec du lait et non avec du vin, ce que prouvent les sacrifices qu'il a institués. Numa a laissé une loi dans laquelle il est dit : « N'arrose pas de vin les « bûchers. » Il n'est pas douteux, explique Pline, que cette loi n'ait été portée à cause de la rareté du vin. On peut voir dans les auteurs qui ont écrit sur l'économie rurale l'extension progressive de la culture de la vigne. Cette extension tiendrait-elle à des causes météorologiques? Non; elle est en rapport avec la marche de la civilisation, avec les habitudes nouvelles, les convenances et les intérêts économiques.

Les mêmes causes n'ont-elles pas produit les mêmes effets dans les Gaules? La conquête fut achevée l'an 50 avant Jésus-Christ. Columelle vivait sous le règne de Claude, qui prit les rênes de l'empire le 25 janvier 44; déjà cet auteur cite quelques espèces de vignes célèbres venant de la Gaule, notamment la biturique (Bourges ou Bordeaux). Mais Pline, qui a publié son Histoire naturelle vers l'an 78 de notre ère, mentionne diverses espèces de vins dans la Viennaise, en Auvergne, chez les Séquanais, les Helves, etc... Ces vins, ajoute-t-il, étaient inconnus du temps de Virgile, mort il y a quatre-vingt-dix ans.

La culture de la vigne s'étend rapidement jusqu'aux environs d'Autun. Elle attira l'attention de Domitien. C'était une passion, comme le dit Suétone, et l'empereur craignait, d'après cet historien, qu'elle ne fit négliger les champs; d'après Philostrate, que l'abon

dance du vin n'excitât plus facilement à la sédition. Il défendit de planter de nouvelles vignes en Italie, et voulut que celles des provinces fussent arrachées, et qu'on n'en laissât subsister que la moitié.

Mais Domitien, au dire de Suétone, ne fit pas exécuter cet ordre rigoureusement: nec exsequi rem perseveravit. Aussi les choses restèrent à peu près dans le même état. Probus (276-282) permit aux Gaulois et aux Pannoniens d'avoir des vignes : il en fit planter lui-même par les mains des soldats au mont Almus, près de Sirmium, et au mont d'Or dans la haute Mésie, et chargea de leur culture les habitants de ces provinces. (Eutrope, 1. IX, chap. 14.)

Depuis Probus, la vigne s'étendit vers le Nord et jusque dans les environs de Paris, dont les vins et les fruits étaient appréciés par Julien (364–363).

Un progrès aussi rapide, notamment depuis la conquête des Gaules, cinquante ans avant Jésus-Christ, jusqu'au règne de Domitien (84-96), ne peut provenir d'un adoucissement du climat, qui, à moins de circonstances extraordinaires ignorées, ne s'opère pas si subitement. Il tient sans doute à cette impulsion que le peuple romain imprimait généralement par son influence, par ses colonies, par son exemple. La vigne, pour les Romains, c'était la civilisation. Sa culture était encouragée par tous les maîtres de la science. Caton, Varron, Columelle, Pline et Palladius la signalent comme susceptible de donner de meilleurs revenus que les autres produits de la terre. Il

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