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ressources accoutumées dans un travail hon1796. nête; les spoliateurs ont vu se tourner contre

eux leurs principes et leurs armes. Les niveleurs se gardaient bien de dire leur secret ; ils savaient bien que l'égalité absolue ne régnera jamais sur la terre, mais ils savaient encore mieux qu'en prêchant l'expoliation des riches, en appelant le brigandage au secours des hommes sans fortune, en chassant ou en mettant à mort les propriétaires, les héritages délaissés se partageraient entre les prédicateurs, tandis que ceux dont ils s'entouraient, resteraient pauvres comme auparavant.

A l'égard de l'administration publique, Raynal, Boulanger, Montesquieu, Voltaire, JeanJacques Rousseau lui-même si souvent et si mal à propos cité comme l'apologiste du gouvernement populaire, en déclamant contre le despotisme et les tyrans, ont posé en principes que le gouvernement républicain convient aux seuls petits états, et qu'il faut regarder la monarchie tempérée comme le seul gouvernement propre à faire fleurir et à rendre heureuses les grandes nations. Ajouterai-je que Tacite disait de nos pères, qu'ils ne savaient supporter ni l'esclavage ni la liberté. Malgré ces témoignages décisifs, je pense que la France pouvait non-seulement se maintenir en état de république, mais s'élever sous ce régime au plus haut degré de puissance et de bonheur,

si le directoire, chargé d'exécuter la constitution de 1795, s'était occupé loyalement des AN 4. moyens de terminer la guerre et de ramener parmi nous la tranquillité et l'abondance.

L'olygarchie, ou l'aristocratie plus ou moins mêlée de démocratie, telles étaient les formes diverses sous lesquelles se présentent les républiques anciennes. Elles furent toutes partagées en différentes classes de, citoyens, et ce qui est sur-tout à remarquer, la terre de la liberté était par-tout cultivée par des esclaves. Le peuple souverain était le petit nombre à-peuprès oisif et au-dessus du besoin ; il n'avait autre chose à faire qu'à gouverner.

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Les divisions scandaleuses entre les différentes classes de citoyens, et sur - tout entre les patriciens et les plébéïens ;.les usurpations perpétuelles du sénat et les prétentions exorbitantes du peuple, l'audace des tribuns et l'orgueil des consuls; l'asservissement des clients et l'influence des patrons; le trop grand crédit des orateurs; le besoin de faire la guerre, d'abord pour se procurer un territoire, puis pour calmer les dissentions civiles, ensuite pour alimenter le trésor public, et bientôt pour satisfaire les passions des grands; l'esprit de conquête et l'ambition du peuple-roi; et la nécessité de la dictature: voilà les causes auxquelles on attribue communément la chûte de la république romaine.

Elle s'écroula sous le poids du despotisme 1796. militaire, nous disent d'autres Aristarqués. Le peuple-roi perdit sa couronne lorsque des armées trop nombreuses, après avoir vaincu pour la patrie, combattirent en faveur de leurs généraux.

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Vaines allégations: la république romaine tomba parce que le peuple romain, devenu trop nombreux, se trouvait disséminé sur une surface trop étendue pour qu'il lui fût physiquement possible de se gouverner immédiatement par lui-même. L'antiquité a peu connu le gouvernement représentatif; et le gouvernement représentatif est seul convenable à une grande république. Tous les raisonnemens de Montesquieu tombent à faux. Une petite république peut seule se gouverner immédiatement, sans avoir recours à un souverain magistrat, parce que dans une petite république tous les citoyens peuvent se réunir à la fois dans un seul endroit, et s'entendre quand ils sont réunis, mais la plus grande nation peut être aisément régie par un gouvernement représentatif, sur-tout lorsqu'à sa tête elle place un suprême magistrat investi d'un pouvoir limité.

De toutes les formes d'administration politique, la démocratie représentative est celle qui électrise le plus fortement les ames, et généralise plus vite les passions. Les intérêts

dont les liens enchaînent le peuple à la république, sont d'un genre bien plus profond, profond, AN 4. bien plus intime que ceux dont les combinaisons, souvent très-discordantes, ralliaient les nobles à l'ancien régime. Les nobles, ne pouvant prévoir au commencement des orages tous les malheurs dont ils étaient menacés, ne défendirent qu'une partie de leur fortune et les préjugés de leur vanité. Cependant, que de calamités cette lutte n'a-t-elle pas entraînées!

Ceux au contraire qui ont lié leur sort au nouveau régime, ont à défendre leur existence entière et des principes, ou, si on veut, un orgueil inhérent à la nature humaine. La réussite est en même tems pour eux la réhabilitation de leurs droits, le fruit d'une conquête, l'excuse de leur conduite, et le gage de leur sureté pour l'avenir.

Il reste en France beaucoup de mécontens; mais on aurait grand tort de les regarder tous comme les ennemis du gouvernement. Celui qui trouve son habitation incommode, n'est pas cependant prêt à la renverser. En général, les hommes ont l'humeur frondeuse, plutôt que destructive. L'homme oublie aisément ses pertes, pour peu que sa situation soit tolérable; et la masse entière d'une nation se lie nécessairement à son gouvernement.

Lorsqu'une lutte intestine s'engage, le gouvernement entraîne par son impulsion non

seulement les hommes nuls ( se sont le plus 1796. grand nombre), mais ceux même qui mur

murent, excepté précisément la fraction soulevée. Les insurgés de la Vendée eurent longtems des avantages éclatans, cependant ils n'obtinrent jamais l'accession ni d'aucune ville importante, ni d'aucun des départemens environnans. Cela prouve à l'homme attentif que, dans ces pays même où les contre-révolutionnaires s'étaient rassemblés en force, l'opinion publique se partageait : cet équilibre devait être renversé par le gouvernement.

Le parti des républicains attachés à la constitution, l'emportait hautement sur les trois autres réunis. Il ne se composait pas seulement des hommes impérieusement dominés par la passion d'être libres; et, quoi qu'en puissent dire les amis de l'ancien gouvernement, les triomphes des armées françaises démontraient que le nombre en était trèsgrand en France. A tous les individus liés au nouvel ordre de choses par leur fortune, par leurs places, par leurs habitudes et par un concours de circonstances particulières, joignez la masse des hommes qui, n'ayant pu s'opposer aux massacres et à l'anarchie qui ont accompagné la révolution, instruits par le passé, repoussent de tout leur pouvoir une nouvelle révolution qui entraînerait de nouveau la dévastation, les massacres, l'anarchie.

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