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sa fougueuse et tyrannique inconséquence; 1796, abusant des institutions réprouvées par elle,

et foulant aux pieds les lois qu'elle avait exigées puissance arbitraire et mystérieuse, elle a toujours un but louable, et le dépasse presque toujours; ennemie implacable des moyens qui la gênent, elle se rend l'instrument docile de celui qui la flatte, fût-ce même pour l'entraîner dans le sens le plus opposé à ses intentions; elle croit juste tout ce qu'elle ordonne, comme si c'était la volonté générale, et l'exécute avec violence, comme si elle n'était que la volonté d'une faction; elle se plaint comme si on l'opprimait, et menace comme si elle était toute-puissante; elle méconnaît ses amis, lorsqu'en la servant, ils cherchent à arrêter ses écarts; variable à l'excès, un rien la forme, un rien la détruit, un rien la fait pencher vers les partis les plus opposés.

Diriger l'opinion publique sans gêner la volonté générale des citoyens, c'est la tâche la plus difficile, et cependant une des plus essentielles d'un gouvernement républicain, sur-tout dans les premiers tems de son établissement. Les circonstances augmentaient cette difficulté, lorsque le directoire prit en main les rênes du gouvernement français.

Il fallait employer des esprits ardens qu'il pouvait être nécessaire de contenir, mais qu'il ne fût pas besoin de pousser en avant,

et sur lesquels le directoire pût se reposer, en ce qui regarde les opinions qui ne se com- AN 4. mandent pas, et dont il n'eût à craindre que、 l'exagération facile à diriger. On se servit d'un grand nombre de jacobins ; quelquesuns d'eux se rendirent si redoutables au gouvernement, qu'on fut obligé de les destituer. L'expérience apprenait au cinq directeurs que les moyens et les hommes employés à faire des révolutions, ne sont pas ceux dont ils faut se servir quand elles sont achevées ; ainsi l'architecte enlève les machines qui lui avaient été nécessaires pour démolir, et les échafaudages élevés pour réédifier.

Trompés dans leur attente, les désorganisateurs résolurent de faire usage de la force pour maîtriser l'administration. Le plus vaste complot fut ourdi avec tant d'art, que, malgré l'étendue de ses ramifications, les agens destinés à le faire réussir ne connaissaient pas euxmêmes le chef du parti qui les mettait en

œuvre.

Un jeune homme nommé Babeuf, se donnant le surnom de Gracchus, et qui joua dans cette intrigue le rôle principal, n'était que l'agent obscur et secondaire d'une faction dont peut-être il ignorait lui-même une partie des secrets. Quelle faction! est-il donc des hommes tigres, qui, trouvant une inconcevable volupté dans le malheur de leurs semblables, se plaisent à déchirer des victimes.

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humaines? Cette idée que pourraient justifier 1796. les crimes commis pendant la révolution n'est pas dans la nature. Mais il est d'expérience que le joug salutaire des lois est insupportable aux individus qui, l'ayant brisé trouvèrent leurs avantages particuliers dans les convulsions de l'anarchie; accoutumés à tout braver dans les tems d'orage, tout gouvernement régulier leur est à charge; semblables à ces tourbillons de vent dont l'effet, dans un violent incendie, rallume sans cesse les flammes dévorantes que des mains généreuses s'efforcent d'éteindre.

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CHAPITRE VII.

Principes des conspirateurs.

importait aux desseins des conspirateurs qu'ils fussent favorisés par un homme dont le nom était cher aux républicains; ils choisirent Drouet, très-propre, par son enthousiasme et par son ignorance au rôle de Seïde qu'ils lui destinaient.

La conjuration devait éclater le vingt-deux floréal. Un comité d'insurrection, établi pour diriger le mouvement, s'assemblait sous le nom de directoire secret de salut public. Il correspondait avec des agens révolutionnaires

placés dans les différens quartiers de la commune de Paris, partagée par eux en douze arrondissemens. Ces agens rendaient compte au directoire secret de salut public, des dépôts ou des magasins de subsistances, d'armes et de munitions qui pouvaient exister dans chaque arrondissement, des ateliers qui s'y trouvaient, du nombre des ouvriers, du genre de leurs travaux et de leurs opinions.

Ils étaient chargés de faire un recensement exact des patriotes aisés, qui pouvaient donner l'hospitalité aux frères des départemens, qu'on faisait venir à Paris pour aider les Parisiens à renverser le trône des tyrans. Ils devaient engager les mêmes patriotes à fournir une contribution volontaire pour payer les frais de l'insurrection; ils devaient encore donner la liste des espions de la police, dont on pouvait s'aider; il leur était enjoint d'organiser des compagnies de groupeurs, qui devaient se rendre journellement dans le jardin des Tuileries, et sur les autres points où se rassemble la multitude, et lire les numéros les plus récens des journaux patriotes.

On exhortait ces agens à se mêler euxmêmes dans les rassemblemens, pour diriger et échauffer l'esprit public; ils présentaient les renseignemens au comité secret de salut public, et recevaient ses réponses par le moyen d'intermédiaires; de cette manière, les mem

AN 4.

An

bres de l'autorité supérieure avec laquelle ils 1796. correspondaient, leur étaient inconnus.

Une partie des principes de la conspiration se trouve expliquée dans une lettre de Babeuf à Joseph Bodson, inventoriée par le ministre de la police, insérée dans la collection des pièces trouvées au domicile de ce conspirateur.

CHAPITRE VIII.

Lettre de Gracchus Babœuf.

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E ne suis pas surpris, écrit Babeuf à son ami, «que ma conduite présente une certaine nuance de variation. Mes opinions n'ont jamais varié sur les principes, mais elle a changé sur les hommes. Je confesse de bonne foi que je m'en veux aujourd'hui d'avoir eu autrefois de fausses idées sur le gouvernement révolutionnaire, établi par Robespierre, S.t- Just, Couthon etc.

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,

Je pense que ce gouvernement était celui qui convenait le mieux pour faire réussir une révolution. Tout ce qui s'est passé depuis que ni ces hommes ni ces institutions ne sont plus, justifie mon assertion. Je ne pense pas, comme toi, qu'ils aient commis de grands

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