Page images
PDF
EPUB

L'armistice publié sur les bords du Rhin, permettait d'envoyer dans la Ligurie les ren- AN 4. forts nécessaires pour continuer la guerre avec vigueur.

CHAPITRE VIII.

Bonaparte en Italie. Caractère de ce général.

L

E général Bonaparte, chargé par le directoire de la conduite de la guerre d'Italie, s'était distingué sur-tout par la bravoure qu'il avait montrée pendant le siège de Toulon. Si Bonaparte ne partageait pas l'expérience qu'aurait dû acquérir son prédécesseur, le feu de son âge le rendait plus propre à guider pas d'une jeunesse impétueuse, volant aux combats sans calculer les dangers.

les

Bonaparte (1), à peine âgé de vingt-six

(1) L'enfance des hommes célèbres n'offre pas toujours quelque chose de remarquable; mais il en est chez qui l'horoscope s'annonce presque dès le berceau. Plutarque nous a transmis plusieurs traits de l'enfance des hommes illustres dont il fut le biographe. Les notices sur celle de Bonaparte nous ont été données par un compagnon de ses premières études : je crois devoir offrir au lecteur un extrait de cette brochure, qui parut en messidor l'an quatre.

1796.

ans, renfermait dans son ame ce feu qui consuma les guerriers célèbres; il ne fallait

Bonaparte naquit le 15 août 1769, à Ajaccio, petite ville de l'île de Corse, de parens nobles, mais pauvres. L'archevêque de Lyon le fit élever à l'école militaire à Brienne. Il s'y trouvait cent cinquante élèves du même âge, aucun d'eux ne lui ressemblait par les goûts et les dispositions. Sombre, farouche et presque toujours renfermé dans lui-même, on eût dit que, récem ment sorti de quelque forêt, et soustrait jusqu'alors aux regards de ses semblables, il éprouvait, pour la première fois, les impressions de la surprise et de la méfiance. Il était l'ennemi des jeux et des amusemens de l'enfance. Non-seulement on ne le voyait jamais prendre la moindre part à la joie bruyante de ses camarades, il ne paraissait au milieu d'eux que pour les réprimander. Attaqué plusieurs fois par un groupe de ses compagnons réunis, il repoussait de sang - froid leurs efforts, sans s'inquiéter du nombre des agresseurs. Ainsi, dans un âge tendre, Bonaparte semblait prévoir que le destin l'appelerait à combattre un jour les obstacles les plus compliqués ; il semblait s'exercer d'avance au rôle difficile qu'il devait jouer sur la scène du monde.

L'enthousiasme que lui inspirait l'amour de la liberté, s'annonça de bonne heure; il se portait même à un excès condamnable. Toute dépendance avait pour lui quelque chose d'avilissant. Souvent offensé des plaisanteries de ses condisciples sur la réunion de la Corse à la monarchie française, il disait avec l'accent de l'indignation: J'espère être un jour en état de rendre ma patrie à la liberté.

Il s'appliqua peu à étudier les langues anciennes ; les mathématiques, l'art d'attaquer ou de défendre les places, et l'histoire occupaient tous ses momens. Cette

qu'une étincelle électrique pour le développer. Bonaparte est d'une taille moyenne, les che- AN 4.

activité, que nous lui avons vu déployer, fut puisée dans la lecture des vies de ces hommes illustres, que dès son entrée dans le monde il se proposa pour modèles.

Bonaparte employait ses heures de récréation à cul tiver la portion d'un terrein partagé entre les élèves, et son humeur guerrière se montrait encore dans ce goût agricole. Après avoir forcé deux de ses co-partageans à lui céder leur portion, son premier soin fut de fortifier d'une bonne palissade le petit domaine qu'il tenait du droit de conquête.

Les arbres déjà touffus qu'il avait plantés, avaient fait de son jardin, au bout de deux ans, la retraite d'un hermite. Malheur aux élèves envieux, espiègles ou même folâtres qui eussent osé troubler sa solitude! On l'eût vu s'élancer de son asyle, repousser les assail-` lans sans les compter. Dans cette retraite, l'ame de Bonaparte avide de renommée, fécondait des germes d'une ambition démesurée, et s'alimentait des exemples des héros, dont il devait renouveller les exploits.

[ocr errors]

Les seuls amusemens que Bonaparte partageait ayec ses camarades, étaient les simulacres des combats militaires. Le jeune guerrier dirigeait alors les opérations. Souvent, en hiver, il faisait exécuter des redoutes, des bastions, des forteresses de neige avec une intelligence qui excitait la curiosité des habitans de Brienne et même des environs.

Telle était l'école où se formait cet homme étonnant qui, se trouvant placé à la tête d'une armée nouvellement levée, presque sans discipline; et dont les subsistances n'étaient pas assurées, suppléant à tout par

veux châtains-foncés, rabattus sur un front

1796. large; les yeux bruns, vifs et saillans; le nez aquilin, le teint pâle; son air est grave, mais ouvert; son abord annonce un homme extraordinaire. La fortune avait décidé que tout serait prodigieux dans la révolution française; je dis prodigieux dans le bien et dans le mal, dans le physique et dans le moral. Les campagnes de Jourdan, de Pichegru, de Dugommier, furent un tissu d'événemens à peinė croyables; il semblait que rien ne pouvait les égaler. Bonaparte devait prouver que l'héroïsme militaire pouvait produire des opérations encore plus brillantes, encore plus audessus des combinaisons ordinaires.

Jamais général ne porta plus loin que Bonaparte l'extrême valeur, la présence d'esprit, l'habileté des manœuvres et les ressources de la ruse. Les victoires de Lodi et d'Arcole furent dues à la supériorité de ses talens. Le

son intelligence et sa résolution, déconcerta les mesures des généraux les plus expérimentés, et chassa d'Italie les troupes les plus braves de l'Europe. Ce fut à ses jeux de l'adolescence qu'il prit les premières leçons de la victoire.

Lorsque Bonaparte partit de l'Italie, il venait d'épouser la veuve du comte de Beauharnais, qui présidait l'assemblée constituante, lors de la fuite de Louis XVI à Varenne, et qui fut guillotiné sous le règne de la

terreur.

soldat, convaincu de cette supériorité possédée par son général, affrontait avec audace AN 4. des dangers dont il pensait que le succès était calculé ; et cette audace foudroyante augmentant la réputation du général, rendait l'armée invincible.

Aussi habile que Frédéric-le-Grand à combiner le plan d'une d'une campagne, Bonaparte connaissait mieux que lui l'art de conduire les hommes aux grandes choses par les sentimens de l'ame. Comme César, on le voyait marcher à la tête de son armée, et ne pas craindre de partager la fatigue et la nourriture du soldat. Chacun pouvait s'adresser à lui comme à son camarade ; et cette communication qui adoucissait'en même tems le commandement et l'obéissance, lui donnait sur son armée une telle autorité morale, qu'elle l'eût suivi par-tout sans balancer un seul instant: de-là le pouvoir sans bornes qu'il exerçait en Italie et que jamais aucun général n'avait partagé avec lui, depuis les anciens empereurs romains.

[ocr errors]

Depuis que l'ambition de Louis XIV avait couvert l'Europe d'armées innombrables, les ministres et les généraux s'étaient attachés presque uniquement à concentrer les plus grandes forces sur un étroit théâtre. Toutes les ressources du génie s'épuisaient à faire mouvoir les grandes masses en conservant leur ensemble. On eût dit que le but de toutes

[ocr errors]
« PreviousContinue »