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mesures prises par le Directoire, et des noms des principaux accusés, il écrivit la lettre suivante.

Au Quartier général à Strasbourg

le 19 Fructidor, An 5.

Le Général en chef au Citoyen Bartelemy, membre du Directoire exécutif.

- the Citoyen Directeur,

Vous vous rappelez sûrement qu'à mon dernier voyage. Bale, je vous instruisis qu'au passage du Rhin, nous primes un fourgon au général Klinglin, contenant deux ou trois cents lettres de sa correspondance. Celles de Vitterback en faisaient partie, mais c'étaient les moins conséquentes beaucoup de ces lettres sont en chiffre, mais nous l'avons trouvé; l'on s'occupe à tout déchiffrer, ce qui est très-long. Personne n'y porte son vrai nom, de sorte que beaucoup de Français qui correspondaient avec Klinglin, Condé, Wickham, d'Enghien et autres, sont difficiles à découvrir. Cependant nous avons de telles indications, que plusieurs sont déjà connus.

J'ai décidé à ne donner aucune publication à cette correspondance puisque la paix était présumable, il n'y avait plus de danger pour la République, d'autant que tout cela ne fesait preuve que contre peu de monde puisque personne n'était nommé.

Mais voyant à la tête des partis qui font actuellement tant de mal à notre pays, et jouissant, dans une place éminente, de la plus grande confiance, un homme très-compromis dans cette correspondance, et destiné à jouer un grand rôle dans le rappel du Prétendant qu'elle avait pour but, j'ai cru devoir vous en instruire pour que vous ne soyez pas dupe de son feint républicanisme, que vous puissiez faire éclairer ses démarches et vous opposer aux coups funestes qu'il peut porter à notre pays, puisque la guerre civile ne peut qu'être le but de ses projets.

Je vous avoue, Citoyen Directeur, qu'il m'en coûte infiniment de vous instruire d'une telle trahison, d'autant plus que celui je vous fais connaître a été mon ami, et le serait sûrement encore, s'il ne m'était connu.

Je veux parler du représentant Pichegru. Il a été assez prudent pour ne rien écrire, il ne communiquait que verbalement avec ceux qui étoient chargés de la correspondance, qui faisaient part de ses projets, et recevoient les réponses. Il est désigné sous plusieurs noms, entre autres celui de Baptiste. Un chef de brigade nommé R, qui lui étoit attaché, désigné sous le nom de Coco, était un des couriers dont il se servait, ainsi que les autres correspondans. Vous devez l'avoir vu assez fréquemment à Bale,

Leur grand mouvement devait s'opérer au commencement de la campagne de l'an 4. On comptait sur des revers à mon

arrivée à l'armée qui, mécontente d'être battue devait redemander son ancien chef, qui alors aurait agi d'après les instructions qu'il aurait reçues.

Il a dù recevoir 900 louis pour le voyage qu'il fit à Paris à l'époque de sa démission. De là vint naturellement son refus de l'Âmbassade de Suède. Je soupçonne la famille Lajolais d'être dans cette intrigue.

Il n'y a que la grande confiance que j'ai en votre patriotisme et en votre sagesse, qui m'a déterminé à vous donner cet avis: les preuves en sont plus claires que le jour, mais je doute qu'elles puissent être judiciaires.

Je vous prie, Citoyen Directeur, de vouloir bien m'éclairer de vos avis sur une affaire aussi épineuse. Vous me connaissez assez, pour croise combien a dù me coûter cette confidence: il n'en a pas moins fallu, que les dangers que courait mon pays pour vous la faire. Ce secret est entre cinq persunes: les Généraux Desaix, Reignier, un de mes aides-decamp, et un officier charge de la partie secrète de l'armée, qui suit continuellement les renseignemens que donnent les lettres qu'on déchiffre. Recevez l'assurance de mon estime distinguée et de mon inviolable attachement,

Cette lettre fut croisée par une du Directoire, qui appelait Moreau à Paris.

Voici sa réponse,

Au Quartier général à.......le 24 Fructidor, An, 5.

Le général en chef, au Directoire exécutif.

Citoyens Directeurs.

Je n'ai reçu que le 22, très-tard, et à dix lieux de Strasbourg votre ordre de me rendre à Paris.

Il m'a fallu quelques heures pour préparer mon départ, assurer la tranquillité de l'armée et faire arrêter quelques hommes compromis dans une correspondance intéressante que je vous remettrai moi-même.

Je vous envoie ci-joint, une proclamation que j'ai faite, et dont l'effet de convertir beaucoup d'incrédules, et je vous avoue qu'il était difficile de croire que l'homme qui avait ren du de grands services à son pays, et qui n'avait nul intérêt à le trahir, pût se porter à une telle infamie.

On me croyait l'ami de Pichegru, et dès long-tems je ne l'estime plus. Vous verrez que personne n'a été plus compromis que moi; que tous les projets étaient fondés sur les revers de l'armée que je commandais; son courage a sauvé la République,

Salut et respect,

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Suit la proclamation.

An Quartier général de Strasbourg le 23 Fructidor, An 5.

Le Général en chef, à l'armée du Rhin et Moselle.

Je reçois à l'instant la proclamation du Directoire exécutif du 18 de ce mois, qui apprend à la France que Pichegru s'est rendu indigne de la confiance qu'il a long-tems inspirée à toute la République, et surtout aux armées.

On m'a également instruit que plusieurs militaires, trop confians dans le patriotisme de ce représentant, d'après les services qu'il a rendus, doutaient de cette assertion.

Je dois à mes frères d'armes, à mes concitoyens, de les instruire de la verité.

Il n'est que trop vrai que Pichegru a trahi la confiance de la France entière.

J'ai instruit un des Membres du Directoire, le 17 de ce mois, qu'il m'était tombé éntre les mains une correspondance avec Condé, et d'autres agens du Prétendant, qui ne me laissaient aucun doute sur cette trahison.

Le Directoire vient de m'appeler à Paris, et désire sûrement des renseignemens plus étendus sur cette correspondance. Soldats, soyez calmes et sans inquiétudes sur les événemens de l'intérieur; croyez que le Gouvernement, en comprimant les Royalistes, veillera au maintien de la constitution républicaine que vous avez juré de défendre.

Le Gouvernement se crut autorisé, en lisant la lettre de Moreau, à l'accuser du moins de trop d'indulgence pour les complots de Pichegru.

Moreau s'en était fait lui-même des reproches, puisqu'il ent l'attention dans sa lettre au Directoire de supposer du 17, celle qu'il avait adressée au Citoyen Barthelemy.

Deux lettres de ce général prouvent qu'il savait bien quelle était l'opinion que le Directoire avait dù se former de sa con duite.

La première au ministre de la Police, en date du 10 Vendemiaire, an 6, est ainsi conçue,

Citoyen Ministre,

En vous remettant les papiers du Géneral Klinglin, chargé de la correspondance secrète de l'armée ennemie, je vous dois quelques détails sur la manière dont ils ont été saisis, ét sur ma lettre au Citoyen Barthelemy que plusieurs personnes ont prétendu écrite après que j'ai eu connaissance des événemens du 18 Fructidor, et de cette supposition chaque parti a tiré l'induction qu'il lui croyait favorable. Je répondrai par des faits de la vérité desquels personne ne pourra douter. Le 2 Floréal, l'Armée que je commandais s'empara a'Offenbourgh, environ trois heures après midi.

Je suivis de très-près les hussards qui y entrèrent les pre

miers, et j'y trouvai les fourgons de la chancellerie, de la poste, et d'une partie de l'armée ennemie, et les équipages de plusieurs officiers généraux, entr'autres ceux du général Klinglin dont nos soldats, se partageaient les de'pouilles.

Je donnai l'ordre de recueillir avec soin tous les papiers qu'on trouverait. Ou en chargea un fourgon qui fut conduit le lendemain à Strasbourg sons l'escorte d'un officier.

Ce ne fut qu'après la ratification des préliminaires de la paix, et quand les cantonnemeus des troupes furent définitivement réglés avec l'ennemi, qu'on put s'occuper de la vérification des papiers. Ils étoient en très-grande quantité, et dans un désordre inséparable de la manière dont où s'en était emparé.

Je chargeai de ce travail un officier d'état major, et personne n'est plus à portée que vous de juger du temps qu'il a fallu pour le triage, saisir les indications que le déguisement des noms rendoit très-difficiles, découvrir le chiffre et de chiffrer toutes lettres: ce dernier objet n'est pas encore achevé.

Le 17, je chargeai un courier de retour, de ma lettre du même jour au citoyen Barthelemy; ce courier partit de Strasbourg le 18 Fructidor au matiu. Les événemens du 18 n'ont été counus dans cette ville que le 22. Il était assez naturel que je m'adressasse à ce Directeur, lui ayant déjà parlé de cette correspondance quelques jours avant son départ de Bale, et ayant eu des relations fréquentes avec lui ou sa légation sur le même objet.

Je n'ai dû'lni parler positivement de ceux qu'inculpait-la correspondance du général Klinglin, qu'après en avoir acquis la preuve évidente; mais je ne pouvais plus m'en dispenser, puisqu'il y avait du danger pour mon pays, et qu'il étoit indispensable de débarrasser l'armée d'une foule d'espions qui instruisaient journellement l'ennemi de la force et des nouvemeus de l'armée. Vous vous en convaincrez par la situation des troupes et de nos magasins, que vous trouverez dans ces papiers.

Salut et fraternité.

Sait la teneur de la seconde, en date du 27 Vendemiaire Ao 7.

Citoyens Directeurs,

Le ministre de la guerre m'a prévenu officiellement que vous m'avez nommé à l'inspection générale de l'Infanterie de l'armée d'Italie; ce témoignage de votre confiance me fait croire que les préventions que vous avez pu avoir contre moi sont effacées, et j'ose espérer que les calomnies aussi ridicules qu'inconsidérées, répandues dans quelques journaux contre ma nomination, ne feront sur vous mulle impression défavorable. Si j'avais resté saps activité de service, j'aurais continué à

garder le plus profond silence, mais chargé d'une fonction, unportante ou la confiance est indispensable, je vous dois, Citoyens Directeurs, quelques détails sur ma conduite aux armées que j'ai commandées. Ils serviront de réponse aux criailleries des hommes dangereux qui ne veulent pas de gouvernement et m'accusent d'être le partisan de Pichegru, parce que je ne l'avais pas dénoncé, tandis que les déclamations des Royalistes me reprochent d'avoir été dénonciateur de celui qu'ils appéllent mon instituteur et mon ami. Je n'ai jamais été l'élève de Pichegru; j'étais général de division, et j'avais sous mes ordres 25,000 hommes de l'armée du Nord, lorsqu'il est venu en prendre le commandement, pour la campagne de l'an 2. J'ai servi environ 8 mois sous ses ordres. Je l'ai remplacé pendant une maladie d'environ 3 mois, et je lui ai succédé aux armées du Nord et de Rhin et Moselle, pour les Campagnes des années 3, 4 et 5. J'ai exécuté ses ordres, quand il a dû m'en donner, mais je n'ai jamais reçu de ses leçons. Nous avons été amis pendant que nous avons défendu la même cause, et nous avons cessé de l'être, quand j'ai eu la preuve qu'il était ennemi de la République française. On ne me fera sûrement aucun reproche de ne pas avoir envoyé au gouvernement l'énorme quantité de papiers de l'état major ennemi, qui furent pris à Offembourg. Je chargeai quelques officiers d'en faire le triage. La correspondance de Klinglin en faisait partie; mais il falloit un long espace de temps avant qu'on pût y découvrir quelque chose de précis.

Presque tout était en chiffre, et sous des noms empruntés.

Il ne s'y trouva sous les vrais noms que quelques bateliers du Rhin, qui furent seulement remis sous la surveillance de leur municipalité, pour ne pas effaroucher ceux qui n'étaient pas connus.

On en obtint, par mes promesses et craintes du châtiment, quelques renseignemens qui augmentèrent les découvertes. Quand le chiffre fut découvert et qu'on eut rassemblé quelques autres renseignemens, il n'y eut plus de doutes de la part qu'y prenaient Pichegru et autres.

Je balançai quelque tems entre l'envoi des pièces au gouvernement, ou seulement de le prévénir de leur existence.

S'il s'était agi d'une conspiration contre le sort de l'état, il n'y avait pas à balancer; mais il n'était ici question que d'un espionage qui ne traitait que de la situation et des mouvemens de l'armée du Rhin. C'était à l'armée seule qu'on pouvait compléter les preuves, découvrir les coupables, et qu'ils devaient recevoir leur châtiment.

Dans le courant de la guerre, on a arrêté, jugé et puni plusieurs centaines d'espions, sans que le gouvernement en ait jamais entendu parler. Je me bornai donc, à cause de la qualité de représentant d'un des prévenus, et surtout pour l'influence qu'il paraissait avoir, à en écrire à un mem

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