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vaient un déni de justice, et que la cour de Vienne n'en payait aucun, au mépris des engagemens solennels qu'elle avoit

contractés.

Il savait que les relations de commerce de son royaume d'Italie avec les états héréditaires étaient entravées, et que ses sujets françois et italiens, ne trouvaient, point en Autriche un accueil auquel l'état de paix leur donnait le droit de s'attendre. Dans le partage des indemnités en Allemagne, l'Autriche avait été traitée avec une faveur qui devait combler ses désirs et passer même ses espérances. Cependant ses démarches annonçaient que son ambition n'était pas satisfaite. Elle employait tour-a-tour la séduction et les menaces pour se faire céder, par de petits princes, des possessions à sa convenance. C'est qu'ainsi qu'elle avait acquis, sur le lac de Constance, Lindau, et dans le lac même, l'ile de Menau, ce qui mettait entre ses mains l'une des clefs de la Suisse. Elle s'était fait céder par l'Ordre Teutonique Altkausen, ce qui la rendait maîtresse d'un poste important, le poste de la Rhinan. Elle avait aggrandi son territoire par une foule d'autres acquisitions; elle en méditait de nouvelles.

Comme moyen d'aggrandissement, elle ne eragnait pas d'employer des usurpations évidentes qu'elle cherchait à violer par des formes légales.

C'est ainsi que, sous le prétexte d'un droit d'épave (droit au quel elle avait expressément renoncé par un traité et dont l'exercice était incompatible avec l'exécution du recès de l'empire germanique) elle s'appropriait des possessions qu'elle feignait de croire en déshérence et sans propriétaires légitimes, quoique le recès en eût formellement disposé par la répartition des indemnités. Elle frustrait par là plusieurs princes de celles qu'il avait été trouvé juste de leur assigner; sous prétexte de ce même droit d'épave que, relativement aux Suisses, elle appelait droit d'incamération, elle enlevait à l'Helvétie des capitaux considérables. Elle séquestrait en Bohême les fiefs appartenans à un prince voisin, sous le prétexte de compensations dues à lélecteur de Salzbourg et dont elle prétendait, contre tout droit, se constituer senle l'arbitre. Elle insistait, avec menaces pour conserver des recruteurs dans les provinces bavaroises, en Franconie et en Souabe, et elle y entravait, de tout son pouvoir, la conscription pour l'armée électorale. Abusant de prérogatives autrefois données au chef de l'empire germanique, pour l'utilité. commune des états qui le composent, et tombées en déssuétude, elle les faisait revivre pour troubler l'exercice de la souveraineté des princes voisins sur les possessions qui leur étaient échues en partage, et pour les priver, dans les diètes, de l'accroissement d'influence qui devait résulter de ces possessions.

Le recès de l'empire, conséquence et complément du traité de Lunéville, await pour objet, indépendamment de la répar

tition des indemnités, d'établir, par cette répartition même dans le midi de l'Allemagne, un équilibre qui en assurât Fin dépendance, et de prévenir les causes éventuelles de mésin telligence et de guerre qu'un contact immédiat des terri toires de la France et de l'Autriche aurait pu fréquemment faire naître. Tel était le vœu des médiateurs et de l'empire germanique; c'était le vœu de la justice, de la raison, d'une politique humaine et conforme aux vrais intérêts de l'Autriche elle-même.

L'Autriche renversait donc ce que le recès avait établi si sagement, lorsque par ses acquisitions en Souabe, elle affai blissait la barrière qui devait la séparer de la France, lorsqu'elle tendait à s'interposer entre la France et les principaux états du midi de l'A'leage, et lorsque par un système combiné de séquestres, de prétensions, de caresses et de menaces, elle tendait sans relâche à s'assurer une influence exclusive, universelle et arbitraire sur cette partie de l'empire germanique; elle violait donc évidemment les traités, et chacun de ses actes devait être considéré comme une infraction de la paix.

Depuis la rupture du traité d'Amiens, l'Autriche s'était plus d'une fois montrée partiale en faveur de l'Angleterre ; elle avait reconnu par le fait, ce prétendu droit de blocus que le cabinet de St. James a osé s'arroger, et suivant lequel une simple déclaration de l'amirauté anglaise suffit pour mettre en interdit toutes les côtes d'un vaste empire; elle avait souffert sans réclamer et sans se plaindre, que la neutralité de son pavillon fût continuellement violée au détriment de la France, contre laquelle toutes les violences faites aux pavillons neutres étaient évidemment dirigées.

Tous ces faits étaient connus de l'empereur; plusieurs excitèrent sa sollicitude. C'étaient de véritables griefs; ils auraient été de justes motifs de guerre; mais par amour de la paix, l'empereur même s'abstint de toute plainte et la cour de Vienne ne reçut de lui que de nouveaux témoignages de déférence. Il s'était fait une loi d'éviter tout ce qui aurait pu causer à l'Autriche les plus légers ombrages. Lorsqu'appelé par les vœux de ses peuples d'Italie il se rendit à Milan, des troupes furent rassemblées, des camps furent formés, dans l'unique vue de mêler les pompes militaires aux solemnités religieuses et politiques, et de présenter la majesté souveraine au milieu de cet appareil qui plaît aux yeux des peuples; l'empereur conviendra qu'il avait aussi quelque plaisir à voir réunis ses compagnons d'armes dans les lieux et sur les terreins mêmes consacrés par la victoire; mais voulant prévenir les inquiétudes de la cour de Vienne, s'il était possible qu'elle en conçût aucune, il la fit assurer de ses intentions pacifiques, en déclarant que les camps qui avaient été formés seraient

levés au bout de quelques jours, et cette promesse fut exactement remplie.

L'Autriche répondit par des protestations également amicales et pacifiques, et l'empereur quitta l'Italie avec la douce persuasion que la paix du Continent serait maintenue.

Quel fut son étonnement lorsqu'à peine de retour en France, étant à Boulogue, hâtant les préparatifs d'une expédition qu'il était enfin au moment d'effectuer, il reçut de toutes parts la nouvelle qu'un mouvement général était imprimé à toutes les forces de la monarchie autrichienne, qu'elles se portaient, à marches forcées, sur l'Adige, dans le Tyrol et sur les rives de l'Inn, qu'on rappeloit les semestriers, qu'on formait des magasins, qu'on fabriquait des armes, qu'on faisait des levées de chevaux, qu'on fortifiait les gorges du Tyrol, qu'on fortifiait Venise, qu'on faisait enfin tout ce qui annonce et caractérise une guerre imminente?

L'empereur ne put d'abord croire que l'Autriche voulût sérieusement la guerre, qu'elle voulût se commettre à de nonveaux hasards et condamner à de nouvelles calamités ses peuples fatigués par tant de revers, épuisés par tant de sacrifices. Maitre par deux fois de priver pour toujours la maison d'Autriche de la moitié de ses états héréditaires, loin de diminuer sa puissance, il l'avait accrue; s'il ne pouvait pas compter sur sa reconnaissance, il croyait pouvoir compter sur sa loyanté, il lui avoit donné la plus haute marque de confiance qu'il lui fût possible de donner, en laissaut dégarnies et désarmées ses frontières continentales il la croyait incapable d'en abuser parce qu'il l'aurait été lui-même; il est des soupçons qui ne peuvent entrer dans les cœurs généreux, ni trouver place dans un esprit réfléchi.

- L'empereur se plaisait à s'affermir dans ses favorables présomptions, et il ne craignait pas de manifester à quel point il désirait de les voir fondées, la cour de Vienne ne négligea rien pour en prolonger l'illusion, elle multiplia les déclarations pacifiques, elle protesta de son religieux attachement aux traités, elle autorisa son ambassadeur à faire les déclarations les plus rassurantes, elle chercha enfin, soit par des explications plausibles, soit par des dénégatious formelles, à dissiper les soupçons que ses mesures pouvaient faire naître.

Cependant les préparatifs hostiles redoublant tous les jours d'activité et d'étendue devenaient plus difficiles à justifier, l'empereur ordonna que M. le comte Philippe de Cobentzl, ambassadeur de la cour de Vienne fût invité à de nouvelles conférences et que la correspondance des agens diplomatiques et commerciaux de S. M. lui fùt communiquée; quatre jours consécutifs M. de Cobentzl se rendit chez le ministre des relations extérieures, qui mit sous ses yeux les dépêches précédemment reçues et celles qui arrivaient successivement de tous les points de l'Allemagne et de l'Italie. Lec cabinets de l'Eu

rope trouveront dans leurs archives peu d'exemples de communications semblables faites dans des circonstances où le soupçon étant si naturel, l'empereur ne pouvait donner une preuve plus convaincante de sa bonne foi, il ne pouvait porter plus loin la loyauté et la délicatesse, l'ambassadeur de Vienne prenait connaissance des renseignemens les plus positifs, les plus incontestables qui, de toutes partes annonçaient l'éclat prochain d'une guerre toujours préparée et si soigneusement dissimulée, que pouvait-il répondre? Jusqu'à ce moment la paix avait été hautement professée par sa cour à Paris et à Vienne, mais sur toutes ses frontières la guerre était enfin ouvertement organisée.

Toutefois, l'empereur ne voulut pas rejeter tout espoir de rapprochement; il se persuada que l'Autriche pouvait être entraînée par des suggestions étrangères; il résolut de tout faire pour la ramener au sentiment de ses véritables intérêts; il lui représenta que, si elle ne voulait pas la guerre, tous ses préparatifs étaient sans objet, puisque tous ses voisins étaient en paix qu'elle servait alors contre son intention et à son insu, le parti de l'Angleterre, en faisant en sa faveur une diversion non moins puissante et plus nuisible à la France que ne le serait une guerre déclarée.

Si elle voulait la guerre, il lui en fit envisager les suites probables. Supérieur à toutes les considérations qui n'arrê tent que la faiblesse il ne dissimula pas qu'il craignait la guerre, non qu'après tant de combats livrés dans les trois parties de l'ancien monde il puisse craindre des dangers bravés tant de fois et tant de fois surmontés; mais il craignait la guerre à cause du sang qu'elle fait verser, à cause des sacrifices sans nombre qu'elle devait coûter à l'Europe; et par suite d'un amour peut-être excessif pour la paix il conjura l'Autriche de cesser des prépa ratifs qui dans l'état présent de l'Europe et dans la situation particulière de la France, ne pouvaient être considérés que comme une déclaration de guerre, comme le résultat d'un accord qu'elle aurait fait avec l'Angleterre.

Bien plus, il désira que des représentations semblables fus sent adressées à la cour de Vienne par tous ses voisins qui quoique étrangers à la cause de la guerre, quelleque puisse être cette cause, devaient craindre d'en être les victimes.

La conduite de la cour de Vienne affaiblissait chaque jour l'espérance, loin de cesser ses préparatifs, elle les augmentait. Elle effrayait par ses armenens, les peuples de la Bavière et de la Souabe, elle faissait craindre à ceux de l'Helvétie de se voir ravir le repos que l'acte de médiation, leur a rendu. Tous invo quaient la France comme leur appui, comme le garant de leurs droits.

Cependant elle dissimulait encore et, comme un gage de ses intentions pacifiques elle offrait une sorte d'intervention qu'il est difficile de caractériser, mais qui, à ne considérer que

son objet apparent pouvait être regardée comme oiseuse et puérile. L'empereur de Russie avait fait demander des passeports pour l'un de ses chambellans qu'il était dans l'intention d'envoyer à Paris, l'empereur ignorait quelles étaient les vues du cabinet de Pétersbourg, elles ne lui furent jamais officiellement communiquées; mais toujours prêt à saisir tout ce qui pouvait conduire à un rapprochement, il avait accordé les passeports sans délai comme sans explication, toute l'Europe sait quel était le prix de sa déférence. L'empereur apprit ensuite, par des voies indirectes et aussi par les bruits qui s'en sont répandus en Europe que le dessein de la cour de Russie avait été d'essayer par des pourparlers, de faire goûter à Paris un système de médiation fort étrange, d'après lequel elle aurait à la fois stipulé pour l'Angleterre, dont elle avait, disait-elle, les pleins pouvoirs (ce qui prouve jusqu'à quel point l'Angleterre était sûre d'elle) et négocier pour son propre compte; de sorte que, médiatrice de nom, elle aurait été partie de fait, et à deux titres différens, tel était le but de l'intervention que la Russie avait projetée, et à laquelle elle avait elle-même renoncé, sans doute parce que la réflexion lui en avait fait sentir l'inconvenance, or c'était précisément cette même intervention que les bons offices de l'Autriche auraient eu pour objet de reproduire, il n'était pas vraisemblable que la France se laissât placer dans une situation où ses ennemis réels, sous le doux nom de médiateurs, osaient se flatter de lui imposer une loi dure et outrageante; mais le cabinet de Vienne, sans espérer peut-être que ses bons offices pussent être acceptés, trouvait un grand avantage à les offrir, celui d'abuser plus long-tems la France, de lui faire perdre du tems et d'en gagner lui-même; enfin, levant le masque, l'Autriche a, dans une réponse tardive, manifesté par son language, ce qu'elle avait annoncé par ses préparatifs, aux représentations de la France, elle a répondu par des accusations, elle s'est fait l'apologiste de l'Angleterre; et annonçant qu'elle ouvrait ses états à deux armées russes, elle a avoué hautement le concert dans Jequel elle est entrée avec la Russie en faveur de l'Angleterre. Cette réponse de la conr.de Vienne, pleine à la fois d'allégations injurieuses, de menaces et d'astuce, avait dù naturellement exciter l'indignation de l'empereur; mais à travers ces injures et ces menaces, croyant entrevoir quelques idées qui sembloient permettre d'espérer qu'un arrangement serait encore possible, L'empereur fit céder sa fierté naturelle à des consi dérations toutes puissantes sur son cœur.

L'intérêt de ses peuples, celui des ses alliés et de l'Allemagne qui allait devenir le théâtre de la guerre, le désir aussi de faire quelque chose d'agréable pour un prince qui, repoussant avec une honorable constance les insinuations, les instances, les offres tant de fois réitérées de l'Angleterre et de ceux qu'elle avait aéduits, s'était montré toujours prêt à concourir par ses bons EEEE

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