Page images
PDF
EPUB

perances tout au moins incertaines; mais ne voulant point que, si les plaies du Continent, à peine fermées, doivent être Tónvertes et saign e encore, l'Europe puisse reprocher à la France de n'avoir pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour la garantir des calamités qui viendraient à l'accabler. Sa majesté m'ordonne de m'adresser directement à vous, M. le comte, dont elle connait les lumières, et qui sans doute, ne pourriez voir qu'avec regret le renversement d'une paix à laquelle vous avez si puisamment contribué.

Je prie donc V. Exc. de permettre que j'entre avec elle dans T'examen des motifs qui pourroient porter S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche à rompre la paix; des raisons qui doivent l'engager à la maintenir et des conséquences probables que sa détermination dans l'une et l'autre hypothèse aura soit pour l'Autriche soit pour l'Europe en général.

Dans la partie des ses possessions où la maison d'Autriche réunit ses forces, elle ne peut être attaquée que par la France; et la France, engagée dans une guerre maritime ou presque tous ses marins sont employés, ayant ses forces à 300 lieues de l'Autriche, campées sur les bords de l'Océan a un intérêt bien sensible à rester en paix avec les puissances du continent, et ne peut pas même être soupçonnée de vouloir leur faire la guerre. Pour l'exécution d'un tel dessein, il faudrait qu'elle levât ses camps et qu'elle portêt l'immense matériel de ses armées des côtes sur le Rhin et au-delà des Alpes. Elle a, il est vrai, une armée en Italie; mais infiniment moins considérable qu'on ne s'est plû à le prétendre, et encore cette armée est-elle dissémi née et répandue jusqu'aux extrémités de la péninsale.

L'Autriche ne peut donc avoir de craintes présentes. Quelles alarmes peut-elle concevoir pour l'avenir? Craint-elle que la France ne convoite l'état de Venise? Mais n'est-ce pas la France qui l'a donné à l'Autriche? Et si elle l'eût convoité, s'en seraitelle dessaisie? Elle voudrait, dira-t-on, augmenter le royaume d'Italie; S. M. impériale n'a point d'intérêt à augmenter un royaume qu'elle ne possède que pour un tems, et pour un tems qu'il dépend de ses ennemis eux-mêmes de rendre fort court. Il est, d'ailleurs, bien évident que la France, à moins de renfermer tous ses calculs et toutes ses vues dans le cercle étroit du présent, et de ne point embrasser l'avenir par la prévoyance, ne saurait être portée à désirer que le royaume d'Italie acquière une trop grande extension de territoire et de puissance.

A entendre les ennemis de la France, elle aspire à la monarchie universelle. Ce sont là de ces accusations bannales que l'on a dirigées successivement contre diverses puissances, et dont la plus simple réflexion démontre l'absurdité. S.M. ne se berce pas de chimères; et bien loin que la France ait de telles prétentions, à peine a-t-elle le degré de puissance nécessaire pour défendre l'étendue actuelle de ses possessions. Toutefois elle

GGGG

ne désire aucun aggrandissement; elle n'en cherchera aucun, si ses ennemis ne lui en donnent pas l'exemple.

Quels griefs fondés la maison d'Autriche a-t-elle contre la France? La réunion de Gènes n'en peut être un pour aucune puissance continentale, et la maison d'Autriche ne saurait tout au plus y trouver qu'un prétexte pour récriminer contre les ob servations que nous avons faites au sujet des réunions qu'elle a elle-même effectuées, S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche n'a-t-elle pas réuni à ses possessions de grands éta blissemens en Sopabe, et nommément la ville de Lindau, si importante pour l'Autriche comme position militaire? N'ya t-elle pas fait des acquisitions, telles que l'équilibre que l'on avait eu pour objet d'établir par le partage des indemnités, en a été considérablement dérangé? Il n'est aucune de ces opéra tions qui n'ait attiré vivement l'attention de S. M.; et je dois vous avouer, Monsieur le comte, qu'elles ont excité à un haut degré sa sollicitude; cependant elle s'est bornée, sur ce point, à de simples représentations: elle n'a pas jugé qu'il fallût re courir à des démonstrations de guerre, à des préparatifs hestiles; et si la possession de Gènes lui a paru une légitime compensation, elle a donné, en se contentant d'un tel équivalent, une preuve de sa constante modération, puisque Gènes n'ajoute et ne peut rien ajouter à sa force continentale et à ses ressources contre la maison d'Autriche, tandis que cette puissance par ses acquisitions en Souabe, est devenue plus menaçante pour la Bayière, plus capable d'attenter à l'indépendance du midi de l'Al lemagne; et enfin qu'en rapprochant ses forces de nos frontières, elle a rendu plus imminente et plus facile la première aggression qu'elle tentera contre l'empire Français.

Peut-on parler de griefs sans songer combien la France serait en droit de se plaindre de la partialité si manifeste de l'Au triche en faveur de l'Angleterre, de la facilité inexplicable avec laquelle elle a souffert et même favorisé les usurpations les plus monstrueuses du cabinet de Saint James, en reconnaissant im plicitement ce prétendu droit de blocus, si inouï, si violent, si tyrannique, si contraire à tous les principes, comme à tous les intérêts de l'Europe que le gouvernement Britannique a osé s'arroger dans les derniers tems? L'amirauté de Londres avait A peine déclaré le port de Gènes bloqué, quoique réellementil ne le fût pas, que les expéditions destinées pour la Ligurie fo rent arrêtées à Venise et à Trieste. Les Anglais n'ont cessé d'insulter le pavillon autrichien: quelles plaintes l'Autriche a t-elle portées? Quels efforts a-t-elle faits pour assurer à son pavillon la jouissance des avantages de la neutralité. Sur lesquels Ja France avait droit de compter? L'Autriche a gardé le silence sans égard pour sa dignité, sans égard pour les intérêts de ses peuples, mais en sacrifiant ainsi les intérêts de la France, puis que les violences exercées contre le pavillon autrichien n'étoient réellement dirigées que contre ellé.

[ocr errors]

Mais laissons, Monsieur le comte, la discussion des griefs je n'en prolongerai point l'énymération. Je ne m'étendrai point sur le droit d'épave, sur le non paiement de la dette de Venise, sur une foule d'autres détails. Dans une circonstance' aussi grande, leur objet, quoique grave autant que juste, est d'une importance inférieure à celle des résultats qu'un avenir peut-être prochain place devant nous.

Allons au fonds de la question: l'Autriche veut-elle pren dre les armes dans la vue d'abaisser le pouvoir de la France? Si c'est là son dessein, je vous demande, Monsieur le comte, d'examiner si une telle entreprise, dût-elle réussir, serait conforme aux vrais intérêts de l'Autriche? Si elle doit toujours considérer la France comme une rivale parce qu'elle le fut autrefois, parce qu'elle l'est même aujourd'hui, et si ce n'est pas d'un côté bien différent, que viendront les dangers qui peuvent menacer et l'Autriche et l'Europe.

Le jour n'est pas éloigné peut-être ou P'Autriche et la France réunies auront à combattre, non-seulement pour leur propre indépendance, mais encore pour la préservation de l'Europe et des principes mêmes de la civilisation.

Dans toute guerre entre la Russie et l'Autriche d'une part, et la France de l'autre, l'Autriche, quelque nom qu'elle veuille prendre, sera toujours partie principale. Le fardeau sera tout entier pour elle. Abandonnée peut-être par un allié dont elle a déjà éprouvé l'inconstance et les caprices, elle restera seule exposée aux coups de la fortune: son armée est brave sans doute, mais les armes sont journalières et l'exemple du passé autorise la France à ne pas craindre les chances de la guerre, et dût l'Autriche avoir des succès, ces succès mêmes l'auraient affaiblie. Cependant la Russie profitant de nos divisions, acheverait sans obstacle la conquête déjà si avancée de l'empire Ottoman. Qui peut prévoir où s'arrêterait alors ce torrent s'il était répandu de l'Euxin à l'Adriatique, et du Danube & 'Hellespont? A quels dangers l'Europe ne serait-elle pas exposée sí la croix grecque relevée dans Constantinople y remplaçait une fois le croissant? Quel est le politique autrichien on français qui peut rester sans inquiétude en considérant les acquisitions que la Russie a faites depuis un demi siècle? Les deux tiers de la Pologne lui sont échus en partage elle possède la Crimée; elle s'établit aux bouches du Phase: elle s'étend dans la Georgie; elle s'avance sur la Perse; elle occupe les iles Ioniennes; arme secrètement la Morée, et hâte par son ascendant et ses intrigues, la décadence et la dissolution de l'empire Ottoman. Tous ces événemens sont funestes à la France, et si quelques-uns ont été favorables à l'Autriche, dans leur ensemble ils lui seront certainement fanestes.

C'est de le que le danger viendra pour l'Autriche, non de la part de la France, qui, étant dans la dure nécessité de déperser chaque année 200 millions pour la défense de ses côtes,

pour l'entretien de ses colonies et pour faire front à la puissance si redoutable de l'Angleterre, n'est pas plus puissante que l'Autriche; et je prie votre excellence de considérer si a conduite que la Russie ose tenir aujourd'hui envers la France dont elle est si éloignée et qu'elle ne peut atteindre, si cet oubli de toute décence qui marque son langage et ses procédés, n'annoncent pas clairement ce qu'elle sera un jour pour l'Autriche, quand le moment lui paraitra venu de ne plus la ménager.

L'Autriche a éprouvé les Français et dans la guerre et dans la paix. Dans la guerre, elle les a trouvés ennemis loyaux, et s'il m'est permis de le dire, ennemis généraux; dans la paix, amis sincères, pleins de déférence et d'égards.

Elle a trouvé dans les ennemis de la France des alliés infidèles, disposés à lui laisser supporter les revers et à profiter eux-mêmes de ses victoires.

Pour quel étrange fatalité les leçons de l'expérience seraientelles perdues pour elle..

Que demaude la France à l'Autriche? Ce ne sont ni des efforts ni des sacrifices. L'empereur désire le repos du Continent; il est même prêt à faire la paix avec l'Angleterre, quand celle-ci voudra revenir au traité d'Amiens.

Mais dans les dispositions présentes de l'Angleterre, ne pouvant arriver à la paix par la guerre maritime, S. M. vent pouvoir s'y livrer toute entière. Elle demande à l'Autriche de ne point l'en détourner; de ne entrer dans aucun engagement contraire à l'état de paix qui les unit et enfin de la tranquilliser en remettant ses forces sur le pied de paix.

Sa Majesté n'a plus de corps qui soient disponibles pour renforcer son armée d'Italie, si elle était obligée d'en tirer de son armée des côtes, son- système de guerre maritime serait entièrement dérangé.

Dans cette extrémité, elle le dit avec douleur, mais avec franchise, après avoir calculé toutes les chances et tout apprécié, elle préfèrerait la guerre et ses maux à une paix indécise et ruineuse; car pour ne pas se trouver prise au dépourvu, elle vient de donner l'ordre d'approvisionner ses places d'Italie; ce qui lui causera d'énormes dépenses. Elle préfèrerait la guerre à une paix pleine de menaces qui contrarierait et repdrait impossible tout système régulier d'administration. Enfin, elle préfèrerait la guerre à une paix qui ôterait tout espoir de pacification raisonnable avec l'Angleterre. La paix mari time est entre les mains de l'Allemagne. Qu'au lieu de mouvemens de troupes qui annoncent l'intention de faire la guerre, l'empereur d'Allemagne et d'Autriche dise à l'Europe qu'il vent vivre en paix avec la France; l'Angleterre sentirs aussitôt l'impossibilité d'une coalition, elle sentira la nécessité de la paix.

Aussi, l'Angleterre met-elle tout en œuvre pour exciter la

défiance, pour semer les soupçons, pour amonceler les nuages sur le Continent, parce que si elle ne peut obtenir une coopération plus directe et plus efficace, elle a du moins pour auxiliaires ceux-là mêmes que des alarmes mal conçues pous sent à des préparatifs sans objet, et que les apparences seules de la guerre, si elles ne suffisent point à sa haine, lui paraissent suffire à sa sûreté, sachant bien que l'empereur ne pourra pas se livrer pleinement à l'exécution de ses desseins, taut que la paix du Continent sera menacée.

Dans l'état actuel des choses, l'empereur ne remplirait pas son devoir envers ses peuples; il s'exposerait aux reproches. des contemporains et de la postérité, si des protestations pacifiques que les faits contredisent lui faisaient négliger de considérer les mesures et les dispositions de l'Autriche sous leur véritable aspect, c'est-à-dire, comme des véritables préparatifs de guerre dirigée contre lui, surtout lorsqu'en les rapprochent du langage de l'Angleterre et de la conduite de la Russie, il n'est presque plus permis de douter que ces trois puissances ne soient unies dans un concert contre la France.

Si cependant le langage de l'Angleterre n'est de sa part qu'un artifice, si la conduite de la Russie n'est qu'une suite des caprices et de l'inconséquence dont elle a donné tant de preaves, soit à ses ennemis, soit à ses amis; si les protestations de l'Autriche sont sincères, les faits devant alors s'accorder avec elles, l'empereur d'Allemagne et d'Autriche sentira qu'il est juste et conforme à l'esprit de la véritable neutralité de ne point inquiéter la France, de ne point l'obliger à lever ses camps et à porter ses forces sur le Rhin et sur ses autres frontières, il sentira qu'il ne peut rassurer la France qu'en faisant rentrer dans leurs garnisons respectives les troupes qui ont été dirigées vers l'Italie et les provinces limitrophes, et en réduisant au pied de paix tout le matériel de son armée.

S'il en était autrement, ceux-là seuls qui ont fait les premiers des préparatifs hostiles et tiré l'épée du fourreau, devant être considérés comme les véritables auteurs de la guerre, et responsables des maux,

Supplément au No. 4, an 14.

Qui en seront la suite, quelle que soit d'ailleurs celle des deux puissances qui aura frappé les premiers coups, sa majesté n'hésitera point à prendre les mesures qui lui seront conseillées par l'honneur autant que par le soin de sa sûreté, soit qu'elle lève ses camps et qu'elle envoie sur le Rhin et en Italie les forces qu'elle a maintenant sur l'Océan, soit qu'elle appelle tous tous les conscrits de la réserve pour porter au grand complet de guerre son armée qui, jusqu'à présent, est restée toute entière sur le pied de paix, les corps employés contre l'Angleterre n'ayant été mis sur le pied de guerre qu'au moyen des renforts tirés des troisièmes bataillons laissés dans les garnisons.

« PreviousContinue »