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jusqu'à ce jour inconnue parmi ceux qui ont tenu les rênes de notre gouvernement.

"D'un autre côté l'Allemagne ne voit plus dans nos ministres que les agens et les pensionnaires du cabinet de Londres. On calcule publiquement les sommes qui ont été données; on nomme ceux qui les ont reçues; on cite cette famille étrangère qui, sans aucun titre, sans aucun service militaire, s'est fait en si peu de tems une si grande fortune et un si grand crédit. On croit reconnaître l'influence de ce vieux directeur de la diplomatie autrichienne, dont les négociations ne furent jamais utiles qu'à lui-même, et qui ne fut puni que par une disgrace apparente du crime d'avoir vendu si honteusement à l'Angleterre les restes de notre armée et la foi jurée à Campo-Formio! Oserai-je tout dire ! M. Pitt se vante d'avoir le tarif des ministres russes et autrichiens, comme un de ses prédécesseurs se vantait d'avoir celui de tout le parlement britannique. On sait à Londres ce que coûte un grenadier hongrois, comme un nègre de la côte de Guinée; on y discute si les gages des facteurs titrés qui exploitent la monarchie autrichienne au profit de l'Angleterre, ne sont pas plus chers, vu le resultat de leurs services, que le salaire des commis de la compagnie des Indes, qui vont opprimer pour elle les peuples de l'iudostan. Ainsi, les hommes qui nous gouvernent, au nom du souverain le plus brave et le plus vertueux, sont placés entre le soupçon d'une lâcheté sans exemple, et celui d'une corruption sans pudeor.

17 Décembre, 1805.

Extrait d'un bulletin daté Austerlitz, le 14 Frimaire,

an 14.

L'aide-de-camp de l'Empereur, le général Savary, aveit accompagné l'empereur d'Allemagne après l'entrevue, pour savoir si l'empereur de Russie adhérait à la capitulation. Il a trouvé les débris de l'armée Russe sans artillerie ni bagages, et dans un égouvantable désordre; il était minuit; le général Meerfeld avait été repoussé de Godding par le Maréchal Davoust; l'armée Russe était cernée; pas un homme ne pouvait s'échapper. Le prince Ozartorinski introduisit le général Savary près de l'empereur. Dites à votre maître, lui cria ce prince, que je m'en vais; qu'il a fait hier des miracles; que cette journée a accru mon admiration pour lui; que c'est un prédestiné du ciel; qu'il faut à mon armée cent ans pour égaler la sienne. Mais puis-je me retirer avec sûreté? Oui, Sire, lui dit le général Savary, si V. M. ratifie ce que les deux empereurs de France et d'Allemagne ont arrêté dans leur entrevue. Eh qu'est ce?-Que l'armée de V. M. se retirera chez elle par les journées d'étape qui seront réglées par l'em

pereur, et qu'elle évacuera l'Allemagne et la Pologne Autrichienne. A cette condition j'ai l'ordre de l'empereur de me rendre à nos avant-postes qui vous ont déjà tourné et d'y donner ses ordres pour protéger votre retraite, l'empereur voulant respecter l'ami du premier Consul. Quelle garantie faut-il pour cela ?-Sire, votre parole.-Je vous la donne.Cet aide-de-camp partit sur le champ au grand galop, se rendit auprès du maréchal Davoust, auquel il donna l'ordre de cesser tout mouvement et de rester tranquille.. Puisse cette générosité de l'empereur des Français ne pas être aussitôt oubliée en Russie que le beau procédé de l'empereur qui renvoya six mille hommes à l'empereur Paul avec tant de grâce et de marques d'estime pour lui. Le général Savary avait causé une heure avec l'empereur de Russie, et l'avait trouvé tel que doit être un homme de cœur et de sens, quelques revers d'ailleurs qu'ils ait éprouvés. Ce monarque lui demanda des détails sur la journée. Vous étiez inférieurs à moi, lui dit-il, et cependant vous étiez supérieurs sur tous les points d'attaque. Sire, répondit le géneral Savary, c'est l'art de la guerre et le fruit de quinze ans de gloire; c'est la quarantième bataille que donne l'empereur. Cela est vrai, c'est un grand homme de guerre. Pour moi, c'est la première fois que je vois le feu.. Je n'ai j'amais eu la prétention de me mesurer avec lui.-Sire, quand vous aurez de l'expérience, vous le surpasserez peut-être.-Je m'en vais donc dans ma capitale. J'étais venu au secours de l'empereur d'Allemagne ; il m'a fait dire qu'il est content. Je le suis aussi.

A son entrevue avec l'empereur d'Allemagne, l'empereur lui a dit: "M. et Mme. Colleredo, MM. Paget et Rasumowski ne font qu'un avec votre ministre Cobenzl: voilà les vraies causes de la guerre, et si V. M. continue à se livrer à ces intrigans, elle ruinera toutes ses affaires et s'aliénera les cœurs de ses sujets, elle cependant qui a tant de qualités pour être heureuse et aimée."

Un major autrichien s'étant présenté aux avant-postes, porteur des dépêches de M. de Cobenzl pour M. de Stadion à Vienne l'empereur a dit: "Je ne veut rien de commun avec cet homme, qui s'est vendu à l'Angleterre pour payer ses dettes et qui a ruiné son maître et sa nation, en suivant les conseils de sa sœur et de Mme. Colloredo."

L'empereur fait le plus grand cas du prince Jean de Lichtenstein: il a dit plusieurs fois: "Comment, lorsqu'on a des hommes d'aussi grande distinction, laisse-t-on mener ses affaires par des sots et des intrigans? Effectivement le prince de Lichtenstein est un des hommes les plus distingués, on-seulement par ses talens militaires, mais encore par ses ualités et par ses connaissances."

On assure que l'empereur a dit, après sa conférence avec 'empereur d'Allemagne : "Cet homme me fait faire une

faute, car j'aurais pu suivre ma victoire, et prendre toute l'armée russe et autrichienne; mais enfin quelques larmes de moins seront versées.

Armistice conclu entre L L. M M. II. de France et d' Au

triche.

S. M. L'empereur des Français et S. M. l'empereur d'Alle magne, voulant arriver à des négociations définitives pour mettre fin à la guerre qui désole les deux états, sont convenus au préalable de commencer par un armistice, lequel aura lieu jusqu'à la conclusion de la paix définitive ou jusqu'à la rapture des négociations; et dans ce cas, l'armistice ne devra cesser que quinze jours après cette rupture; et la cessation de l'armistice sera notifiée aux plénipotentiaires des deux puissances et au quartier général des deux armées. Les conditions de l'armistice sont.

Art. 1er. La ligne des deux armées sera en Moravie, le cercle d'Iglau, le cercle de Znaim, le cercle de Brünn, la partie du cercle d'Olmutz sur la rive droite de la petite rivière de Trezeboska en avant de Prosnitz jusqu'à l'endroit où elle se jette dans la Marck, et la rive droite de la Marck jusqu'à l'embouchure de cette rivière dans le Danube, y compris cependant Presbourg.

Il ne sera mis néanmoins aucune troupe française ni autrichienne dans un rayon de cinq à six lieues autour de Holitch, à la rive droite de la Marck.

La ligne des deux armées comprendra en outre, dans le territoire à occuper par l'armée française, toute la basse et haute Autriche, le Tyrol, l'état de Venise, la Carinthie, la Styrie, la Carniole, le comté de Goritz et l'Istrie; enfin, dans la Bo hème, le cercle de Montabor, et tout ce qui est à l'est de la route de Tabor à Lintz.

2. L'armée russe évacuera les états d'Autriche ainsi que la Pologne autrichienne; savoir: la Moravie et la Hongrie, dans l'espace de quinze jours, et la Gallicie dans l'espace d'un mois. L'ordre de route de l'armée russe sera tracé, afin qu'on sache toujours où elle se trouve, ainsi que pour éviter tout mal-entendu.

3. Il ne sera fait en Hongrie aucune espèce de levée en masse, ni d'insurrections; et en Bohème, aucune armée étrangère ne pourra entrer sur le territoire de la maison d'Autriche.

Des négociateurs se réuniront de part d'autre à Nicolsbourg, poor procéder directement à l'ouverture des négociations, afe de parvenir à rétablir promptement la paix et la bonne harmo nie entre les deux empereurs. Fait double entre nous sour signés, le maréchal Berthier, ministre de la guerre, major néral de la grande armée, chargé des pleins-pouvoirs de S. Fempereur des Français et roi d'Italie; et le prince Jean de

Leichtenstein, lieutenant-général, chargé des pleins-pouvoirs de S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie, etc.

A Austerlitz, le 15 Frimaire an 14 (6 Décembre, 1805).

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et J. Prince DE LICHTENSTEIN, Lieutenant-général.

29 Décembre, 1805.

Extrait du Bulletin daté de Brünn, le 19 Frimaire, an 14.

S. M. a reçu à Brünn M. d'Haugwitz, et a paru très-satisfaite de toute ce que lui a dit ce plénipotentiaire qu'elle a accueilli d'une manière d'autant plus distinguée, qu'il s'est tou jours défendu de la dépendance de l'Angleterre, et que c'est à ses conseils qu'on doit attribuer la grande considération et la prospérité dont jouit la Prusse. On ne pourrait en dire autant d'un autre ministre qui, né en Hanovre, n'a pas été inaccessible à la pluie d'or. Mais toutes les intrigues ont été et seront impuissantes contre le bon esprit et la haute sagesse du roi de Prusse. Au reste, la nation française ne dépend de personne, et cent cinquante mille ennemis de plus n'auraient fait autre chose que de rendre la guerre plus longue. La France et la Prusse, dans ces circonstances, ont eu à se louer de de M. le duc de Brunswick, de MM. Mollendorff, de Knobolsdorff, Lombard, et surtout du roi lui-même. Les intrigues anglaises ont souvent paru gagner du terrein; mais comme en dernière analyse on ne pouvait arriver à aucun parti sans aborder de front la question, toutes les intrigues ont échoué devant la volonté du roi. En vérité, ceux qui les conduisaient abusaient étrangement de la confiance: la Prusse peut-elle avoir un ami plus solide et plus désintéressé que la France?

La Prusse est la seule puissance en 'Europe qui puisse faire une guerre de fantaisie: après une bataille perdue ou gagnée, les Russes s'en vont: la France, l'Autriche, la Prusse, au contraire, doivent méditer long-tems les résultats de la guerre: une ou deux batailles sont insuffisantes pour en épuiser toutes les chances.

Les paysans de Moravie tuent les Russes partout où ils les rencontrent isolés! Ils en ont déjà massacré une centaine. L'empereur des Français a donné des ordres pour que des patouilles de cavalerie parcourent les campagnes, et empêchent ees excès. Puisque l'armée ennemie se retire, les Russes qu'elle laisse après elle sont sous la protection du vainqueur. Il est vrai qu'ils ont commis tant de désordres, tant de brigandages qu'on ne doit pas s'étonner de ces vengeances. Ils maltraitaient les pauvres comme les riches: trois cents coups de bâton leur paraissaient une légère offense. Il n'est point NNNN

d'attentats qu'ils n'aient commis. Le pillage, l'incendie de villages, le massacre, tels étaient leurs jeux. Ils ont même tué des prêtres jusque sur les autels! Malheur au souverain qui attirera jamais un tel fléau sur son territoire! La bataille d'Austerlitz a été une victoire européenne, puisqu'elle a fait tomber le prestige qui semblait s'attacher au nom de ces barbares. Ce mot ne peut s'appliquer cependant ni à la cour, ni au plus grand nombre des officiers, ni aux habitans des villes qui sont au contraire civilisés jusqu'à la corruption.

ITALIE, 28 Décembre, 1805.

Naples, le 26 Novembre (Frimaire.)

L'ordre du destin est irrévocable, et la prudence des hommes ne saurait le changer; c'est vainement que l'Empereur Napoléon a voulu garantir la cour de Naples de sa perte. Un traité accordé par ce monarque, avec la plus grande générosité, a été violé avec la plus insigne perfidie. Des trois filles de MarieThérèse, l'une a perdu la monarchie des Bourbons; l'autre a causé la perte de la maison de Parme; la troisième vient de perdre Naples. Une reine, furieuse et insensée, une femme, méchante et sans mœurs, est le présent le plus funeste que le ciel, dans sa colère, puisse faire à un souverain, à un époux, à une nation.

Lorsqu'un détachement de l'armée anglaise est arrivé ici, la reine est allée au-devant des généraux et les a accueillis avec empressement; elle a porté l'impudeur jusqu'à jeter à pleines mains le ridicule sur son mari, en disant que s'il ne paraissait point, c'est que le beau tems le retenait à Caserte occupé à . chasser le sanglier. Lorsque les résultats de l'affaire qui a eu lieu entre les Anglais et les Français devant Cadix ont été connus ici, une escadre anglaise a pavoisé tous ses vaisseaux et tiré tous ses canons; les châteaux de Naples ont aussitôt répondu à ces signes d'allégresse, par des salves réitérées. Enfin, la procla mation ci-jointe a été affichée partout, et 40 mille Napolitains ont reçu l'ordre de se réunir à l'armée anglaise.

On ignore l'effet que ces nouvelles auront produit sur l'esprit de l'empereur des Français. On n'ose chercher à pénétrer la détermination qu'il va prendre. Aura-t-il pitié du prince royal qui a blâmé hautement l'extravagante fureur dont sa mère est animée ? Aura-t-il pitié d'un roi, d'un époux si outrageusement joué par une nouvelle Frédégonde? Se trouvera-t-il placé trop haut pour que de pareilles insultes puissent l'atteindre? C'est ce que l'avenir fera connaître.

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