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sont de nature sinon à arrêter, du moins à retarder ce développement. Je n'ai pas caché qu'à cet égard on entretenait de fâcheuses illusions et qu'il serait plus sage de se placer, dans les circonstances actuelles, à un point de vue moins étroit.

J'ai fait observer que, quelque fondées que puissent être certaines préoccupations, ce n'était pas par des combinaisons mesquines et éphémères qu'on empêcherait à la longue la force des choses de se faire jour et les tendances naturelles de suivre leur cours. Si les inquiétudes étaient si sérieuses, je m'étonnais que la Porte ne prît aucune des mesures qui pouvaient diminuer le danger. Elle ne tentait rien ou presque rien pour se rattacher les Serbes. Elle ne s'occupait nullement d'améliorer sérieusement le sort des populations de la Roumélie et croyait avoir fait un acte d'une habileté consommée en plaçant au milieu de ces populations quelques milliers de Circassiens, qui ne pouvaient qu'accroître le mécontentement des habitants de ces riches contrées, sans donner à la défense du pays aucune force réelle. Enfin, depuis trois ans, on ne parvenait pas même à commencer le chemin de fer d'Andrinopler qui, tête de ligne de toutes les voies de communication de la Turquie d'Europe, était, à tous les points de vue, un objet de première nécessité pour l'Empire Ottoman.

Veuillez agréer, etc.

XXII. Dépêche du prince Gortchakoff au baron de Budberg, à Paris, en date de Saint-Pétersbourg, le 23 février[7 mars 1866 (19 chéwal 1282).

Les ordres de S. M. l'Empereur appellent Votre Excellence à prendre part, comme représentant de notre auguste maître, à la Conférence convoquée à Paris à la suite des événements de Bucharest.

Le séjour que vous avez fait ici et la lecture de toute la correspondance échangée à ce sujet, presque sous vos yeux, me dispensent de vous donner des instructions détaillées sur la marche que vous aurez à suivre. Elle vous est tracée par la pensée intime de l'Empereur que vous avez été à même de recueillir de la bouche même de Sa Majesté Impériale.

Je me borne à établir les points suivants :

1° Décidés, pour notre part, à nous placer sur le terrain du droit fondé sur les traités, nous n'avons pas pensé de prime abord qu'il y eût lieu à une Conférence spéciale à Paris. Il n'y avait rien d'imprévu dans ces événements; la marche à suivrè était clairement tracée par la Convention du 7/19 août 1858; si l'on reconnaissait la force des transactions internationales, une simple réu

nion des Plénipotentiaires à Constantinople était parfaitement suffisante.

Si la Convention existante, revêtue de la sanction des grandes Puissances, était jugée sans valeur, une nouvelle Conférence nous semblait superflue.

En tout cas, nous avons cru nécessaire de consulter d'abord la Puissance suzeraine.

La Porte, tout en réservant expressément ses droits et en récla mant la stricte exécution des traités, ayant toutefois cédé sur la question de la convocation d'une Conférence à Paris, S. M. l'Empereur y a donné son consentement.

2. Il est évident que l'idée de peser moralement sur les Moldaves et les Valaques, de les contenir et de les apaiser en leur montrant que les grandes Puissances s'occupaient de leur sort, n'a pas seule motivé la réunion d'urgence de la Conférence, mais que la pensée de refaire et de modifier l'œuvre de 1858 existe de la part des Cabinets de Paris et de Londres.

Pour ce qui nous concerne, nous eussions préféré une application pure et simple de la Convention, et, par conséquent, un retour à l'ordre de choses antérieur à la double élection du prince Couza. Je ne rappellerai pas ici le sens de ces stipulations. Vous les aurez sous les yeux. Elles ne nous semblent laisser place à aucune incertitude. La Porte n'a consenti qu'à contre-cœur, exceptionnellement, à l'union des deux principautés sous un seul hospodar, pendant la vie du prince Couza. Elle a expressément réservé son droit de revenir à l'ancienne séparation des deux principautés et de faire procéder à l'élection de deux hospodars par les deux assemblées distinctes.

Elle maintient aujourd'hui formellement ce droit et réclame l'application stricte de la Convention.

Nous n'avons aucun motif pour nous écarter de ces bases. La tendance actuelle à traiter avec légèreté les transactions les plus solennelles nous paraît offrir de sérieux inconvénients. Elle discrédite l'autorité du concert des grandes Puissances, entretient l'incertitude sur tous les droits et encourage toutes les aspirations. Nous ne pensons pas que la paix et le repos général puissent y gagner.

C'est donc sur ce terrain du droit que S. M. l'Empereur vous prescrit de vous placer et de vous maintenir aussi longtemps que vous jugerez possible.

Je dois toutefois y ajouter une observation.

Quant il s'agit de l'Orient, nous sommes habitués à voir toute parole de la Russie accueillie avec méfiance. Cela doit nous enga

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ger, non pas à dissimuler notre pensée, la dignité de notre auguste maître ne comporte pas ces détours, mais à l'exprimer avec circonspection. Nous croyons d'autant plus nécessaire d'observer cette réserve que, dans cette question, nous nous trouvons, pour le moment, à côté de la Puissance suzeraine, appuyant ses droits et contenant les tendances des Moldo-Valaques à y porter atteinte.

Les Cours occidentales semblent, au contraire, s'ériger en défenseurs de ces aspirations, même au risque d'ébranler l'Empire ottoman, qu'elles ont soutenu en d'autres temps.

Une pareille position ne pourraît pas nous convenir et c'est peutêtre là qu'il faut chercher le secret de la tolérance des Cabinets pour les vœux des Moldo-Valaques.

3o Certes, l'attitude hostile du Gouvernement roumain envers nous et envers l'Eglise d'Orient nous donnerait le droit de lui retirer la bienveillante protection que nous lui avons témoignée de tout temps. Néanmoins, l'Empereur ne rend pas les populations de la Moldavie et de la Valachie responsables des écarts du Gouvernement qu'elles viennent de renverser. En outre, nous ne pouvons pas oublier qu'il s'agit ici d'un principe qui embrasse tout l'ensemble des populations chrétiennes de l'Orient, auxquelles nos traditions nous ont toujours rendus sympathiques.

Vous apporterez donc beaucoup de prudence dans votre langage. Nous soutenons le maitien des traités, parce qu'ils existent et qu'ils sont pour les Principautés elles-mêmes une garantie de sécurité; mais, si des déviations à ces traités étaient admises par les Puissances et qu'elles fussent conformes aux vœux réels et légalement constatés des populations, il ne nous appartiendrait pas d'y mettre obstacle; notre tâche serait, au contraire, d'étendre ce précédent à toutes les nationalités chrétiennes de l'Orient.

4° Malgré la précision des stipulations de 1858, l'appui que nous leur accorderons et les réclamations formelles de la Cour suzeraine, nous devons prévoir que des modifications y seront demandées, sinon comme un droit, au moins comme question d'opportunité.

Si le Gouvernement ottoman se montrait fermement décidé à défendre ses droits, les traités qui les constatent nous offriraient un terrain solide pour l'appuyer. Mais nous ne devons pas y compter. Nous ne pouvons émettre à ce sujet que des suppositions. Il vous est réservé d'apprécier sur place la mesure de votre action d'après la tournure que prendra la discussion et la manière dont se grouperont les voix dans la Conférence.

Toute la question pratique se concentrera vraisemblablement

sur le maintien de l'union des deux Principautés ou le retour à leur ancienne séparation.

Le jugement porté, à cet égard, par l'Empereur vous est connu. Sa Majesté trouve que l'union des Principautés n'a pas porté les fruits que les Moldo-Valaques en attendaient pour leur bien-être et leur prospérité. Sa Majesté croit que le régime de deux pouvoirs distincts est plus conforme à leurs propres intérêts.

Nous avons même des raisons de croire que la séparation est désirée par la majorité de la population, surtout en Moldavie.

Vous ne prendrez toutefois aucune initiative à cet égard. Nous ne devons pas avoir l'apparence de désirer ardemment une pareille solution.

Vous vous bornerez en général à maintenir le principe de l'application de la Convention du 7/19 août 1858. La séparation des deux Principautés et l'élection de deux hospodars découlent du texte même de cette Convention. Il est à croire que la Porte en demandera l'application.

Vous l'apprécierez comme une conséquence naturelle de notre désir de voir respecter les engagements internationaux existants.

La manière dont la discussion s'engagera sur cette question influera nécessairement sur votre attitude. Celle du Plénipotentiaire ottoman peut la renforcer ou l'affaiblir. Il se peut même qu'il se produise au dehors quelque incident qui vienne à l'appui de notre opinion. Nous savons déjà que le Gouvernement provisoire a envoyé des troupes en Moldavie sans doute pour comprimer des velléités séparatistes. Si elles se faisaient jour elles permettraient de retourner contre les défenseurs de l'union l'argument des vœux populaires.

Il nous est donc impossible de vous indiquer d'avance le langage que vous devez tenir dans toutes les éventualités. Votre Excellence appréciera elle-même le sens et la mesure dans lesquels elle aura à se prononcer conformément à la pensée générale du Cabinet impérial.

Si le système de l'union venait à prévaloir et que l'opposition de la Porte faiblit devant la pression des Cabinets, vous n'insisterez pas au-delà de ce qui sera nécessaire pour les engagements pris.

Si dans la discussion on s'appuie sur le vœu des populations, vous n'éléverez pas d'objections en principe mais vous demanderez que ces vœux soient dûment constatés par des voies légales à l'abri de toute pression qui pourrait les dénaturer.

Si enfin la délibération aboutissait à poser catégoriquement la question du maintien de l'union vous déclarerez que vos instruc

tions vous prescrivent d'en référer au Cabinet impérial et vous solliciterez les ordres de S. M. l'Empereur.

Quant à l'élection de l'hospodar ou des hospodars, soit que l'union, soit que la séparation prévale, vous déclarerez que nous n'avons aucun candidat.

L'idée d'un prince étranger étant écartée, nous ne faisons pas de question de personnes. Tout pouvoir qui justifiera la confiance du pays en assurant son bien-être aurait notre cordial appui.

Tels sont les ordres de S. M. l'Empereur. Notre Auguste Maître s'en remet avec confiance au tact avec lequel vous saurez les accomplir.

XXIII.

Dépêche de M. Drouyn de Lhuys au marquis de Moustier, à Constantinople, en date de Paris, le 9 mars 1866 (24 chéwal 1282).

Monsieur le Marquis, la correspondance que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser m'est parvenue jusqu'au 28 du mois dernier.

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport dans lequel vous me rendez compte des pourparlers échangés entre le ministre des affaires étrangères du sultan, vous et vos collègues au sujet des événements de Bucharest. Vous avez vu, par les dépêches que j'ai eu l'honneur de vous adresser, que vos démarches se sont trouvées d'accord avec ma propre manière de voir, et que je les avais en quelque sorte approuvées d'avance. Je n'ai donc rien à ajouter pour le moment à mes dernières communications.

J'ai convoqué pour demain les plénipotentiaires des cours garantes et de la puissance suzeraine; mais cette première séance ne sera, je pense, employée qu'à constituer la Conférence et peut-être à entendre les observations de M. l'ambassadeur de Turquie. Agréez, etc.

XXIV. ― Protocole no 1. — Séance du 10 mars 1866 (22 chéwal 1282).

Présents: M. Drouyn de Lhuys, sénateur de l'empire, ministre des affaires étrangères;

M. le prince de Metternich, ambassadeur extraordinaire de S. M. l'empereur d'Autriche;

M. le comte Cowley, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Sa Majesté Britannique;

M. le comte de Goltz, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de S. M. le roi de Prusse;

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