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traire, ils ne sont pas restés au-dessous de ses limites. C'est un point, monsieur, que j'examinerai bientôt, mais je veux auparavant vérifier l'exactitude de quelques-unes des assertions par lesquelles débute la circulaire de M. le comte de Nesselrode.

Déjà, dans les conférences, MM. les plénipotentiaires de Russie, lors de la discussion de la première garantie relative, selon eux, à la consécration des immunités de la Moldavie, de la Valachie et de la Servie, et, suivant nous, à l'abolition de l'influence abusive exercée par le Cabinet de Saint-Pétersbourg dans ces trois provinces vassales de la Sublime-Porte, avaient paru se méprendre sur la position vraie du débat. M. le comte de Nesselrode développe la même thèse; j'y répondrai par des questions. En quel moment, depuis les dernières guerres, les immunités des Principautés du Danube ont-elles reçu la moindre atteinte de la part de la Puissance suzeraine? A quelle époque le Sultan a-t-il songé à revenir sur aucune des concessions de son prédécesseur? Quand la France, l'Angleterre et l'Autriche ontelles manifesté un autre désir que celui de maintenir, en l'améliorant, le régime d'indépendance administrative qui, on l'a trop oublié, n'était ni en Valachie ni en Moldavie une conquête récente, mais le résultat d'un accord librement conclu, il y a des siècles, et altéré seulement du jour où les hospodars ont commencé, pendant les guerres du XVIII siècle, à compter davantage avec la cour de Russie qu'avec la Sublime-Porte? C'est ainsi que la Moldavie a perdu la moitié du territoire qui lui avait été garantie par les Sultans; c'est ainsi que cette province et la Valachie, au lieu de demeurer ce qu'elles devaient être, une barrière respectée entre l'Empire ottoman et la Russie, ont été, même après le traité d'Andrinople, qui semblait leur reconnaître des droits mieux définis, gouvernées plutôt par des agents du Cabinet de Saint-Pétersbourg que par leurs propres chefs, et qu'en pleine paix, comme si elles n'eussent été qu'un prolongement du sol russe, elles se sont trouvées, à l'improviste, occupées par une armée étrangère.

Voilà, monsieur, les véritables maux dont ont souffert les Principautés du Danube; voilà les dangers qui les menaçaient sans cesse; c'est aux uns et aux autres que la première des quatre garanties avait pour unique objet de mettre un terme. Que l'influence de la Russie au delà du Pruth se soit ou non exercée sous le titre légal de protectorat, la question est ailleurs, et ce serait la faire dégénérer en querelle de mots que de la poser comme le fait M. le comte de Nesselrode. L'histoire est là pour dire ce que la Moldavie et la Valachie ont gagné à la nature ancienne de leurs rapports avec la Cour de Saint-Pétersbourg, et c'est cet état de choses dont la France, l'Angleterre et l'Autriche ont voulu empêcher le retour.

ration est évidente. Je n'entrerai pas davantage dans des détails. devenus aujourd'hui sans objet. J'aime mieux caractériser les intérêts de l'Europe dans la mer Noire, et examiner ensuite si la double solution proposée par la Russie donne à ces intérêts la satisfaction que notre but est de leur obtenir.

Exclusivement borné par les côtes des deux États voisins, interdit aux autres marines militaires, l'Euxin était devenu comme un champ clos où des adversaires inégaux en force se trouvaient seuls en présence, le plus faible livré à la discrétion du plus puissant. Une forteresse formidable renfermait dans ses citadelles et dans ses rades une armée toujours prête à s'embarquer, une flotte toujours prête à la recevoir et à lever l'ancre. Cet appareil de guerre, inutile pour la défense, n'avait qu'une destination possible. Il constituait une menace permanente contre la capitale de la Turquie, et le mystère impénétrable qui l'entourait accroissait encore un péril dont, au moindre symptôme de crise, s'alarmait l'Europe entière. Contraintes, malgré des efforts que l'histoire appréciera, de recourir à l'emploi des armes, la France et l'Angleterre se doivent à elles-mêmes, elles doivent aussi à l'Europe de ne les déposer que lorsque leur œuvre sera accomplie. Il faut que la paix qu'elles auront conquise soit suivie d'un repos assuré.

Cette sécurité serait-elle la conséquence de l'une ou de l'autre des combinaisons que recommande M. le comte de Nesselrode? Ces deux systèmes, en un mot, mettraient-ils fin à la prépondérance de la Russie dans la mer Noire? Le premier, celui qui reposerait sur le principe de l'ouverture complète et réciproque des passages du Bosphore et des Dardanelles, entraîne l'abolition d'une règle que l'Empire ottoman a toujours considérée comme sa sauvegarde, et qui en 1841 est entrée dans le droit public de l'Europe. Aujourd'hui la Russie, qui refuse de réduire le nombre de ses vaisseaux, en alléguant les exigences de son honneur et les prérogatives de sa souveraineté, n'hésite pas à demander à la Sublime-Porte l'abdication de son indépendance dans ses eaux intérieures, dans la grande artère qui traverse sa capitale. Elle réclame un nouvel accès dans la Méditerranée, c'est-à-dire les moyens et le prétexte d'augmenter dans de vastes proportions son développement maritime, et, en compensation de ces avantages, elle se borne à consentir à ce que des escadres étrangères pénètrent à l'avenir dans une mer où elles ne trouveraient ni port de refuge ni arsenal de ravitaillement. Pour exercer la surveillance dont le droit leur serait indirectement concédé, la France et l'Angleterre seraient obligées de s'imposer à tout jamais les sacrifices les plus onéreux. J'ajouterai, monsieur, et cette considération a une grande force, que, conclue dans de telles

conditions, la paix serait livrée au hasard du premier incident, et que l'objet même de la présence, nécessairement intermittente, des flottes française et anglaise dans l'Euxin, révélerait déjà un péril qui serait une menace de guerre. Ce serait la preuve, en effet, que la Russie aurait besoin d'être de nouveau contenue; sa prépondérance n'aurait donc pas cessé d'exister, et le but de la troisième garantie aurait été manqué.

Ce but serait-il mieux atteint par l'adoption du système développé en seconde ligne par M. le prince Gortschakoff et M. de Titoff? Les détroits, il est vrai, demeureraient fermés, mais le statu quo antérieur à la guerre serait rétabli, la marine russe se réparerait et se développerait sans contrôle derrière les murailles de ses ports, et lorsque le Sultan regarderait une agression comme imminente, c'est alors seulement qu'il serait autorisé à donner l'éveil à ses alliés. La réponse à cet appel serait une nouvelle guerre qui ferait éclater en même temps l'imprévoyance des Puissances occidentales et la force régénérée de l'ennemi qu'elles combattent aujourd'hui. Pourraient-elles, sans imprudence, consentir à une transaction qui ne leur accorderait qu'un repos momentané, troublé d'avance par leurs propres prévisions? La prépondérance de la Russie dans la mer Noire, enfin, seraitelle anéantie s'il fallait, au moment même de la conclusion de la paix, convenir encore d'un moyen d'y mettre un jour un terme?

Il serait superflu, monsieur, de pousser plus loin ce raisonnement, et je crois avoir démontré que, partant du principe de l'ouverture ou de la clôture des Dardanelles et du Bosphore, le Cabinet de SaintPétersbourg n'a pas tenu l'engagement qu'il avait pris en se faisant représenter aux conférences de Vienne. Pour confirmer ce jugement, je me contenterai de rappeler que M. le comte Buol, dans la dernière réunion, celle du 26 avril, a déclaré « que le projet russe, où il ne pouvait voir ni une solution ni même une base de solution, indiquait seulement les moyens de réagir contre la prépondérance navale de la Russie lorsqu'elle se serait déjà élevée aux proportions d'un danger intolérable, mais ne tendait nullement à la faire cesser d'une manière permanente et dans l'état ordinaire des choses. »

Les demandes des Puissances occidentales, conformes aux vœux de la Porte, adoptées et soutenues jusqu'au bout par les plénipotentiaires autrichiens, comme composant un système complet et efficace, ont été, au contraire, aussi modérées dans leur expression qu'elles étaient, dans le fond, légitimes. Nous n'avons rien demandé à la Russie qui coûtât à sa dignité, encore moins à son honneur. Nous l'avons invitée, uniquement mus par l'intérêt général de l'Europe, à fixer sur une base équitablement calculée, et acceptée également par la Porte, le

nombre des bâtiments qu'elle entretiendrait à l'avenir dans une mer où elle n'a à redouter aucune attaque et où sa marine de guerre, réduite à des proportions raisonnables, amplement suffisante pour les services réguliers auxquels elle aurait à pourvoir, se serait trouvée, en tous cas, pour le moins égale à la marine ottomane. Le Cabinet de Saint-Pétersbourg s'est refusé à cet accord, qui aurait rendu la paix au monde. Il a décliné l'autorité des exemples qu'on lui a cités; il a oublié que lui-même, dans son dernier traité de paix avec la Perse, a imposé à cette Puissance l'obligation de s'interdire la navigation de la mer Caspienne, exclusivement réservée aux flottilles de la Russie; il n'a pas voulu admettre ce que la France, l'Angleterre, les ÉtatsUnis et les Pays-Bas, sous des formes et à des époques diverses, ont accepté, soit pour terminer la guerre, soit pour consolider la paix, soit pour supprimer des germes de rivalité ou de conflit entre des États voisins.

Relaterai-je un détail que M. le comte de Nesselrode signale comme un oubli des convenances dues à la souveraineté de la Russie chez elle? Il nous reproche d'avoir voulu, contrairement au droit des gens, dénier au Cabinet de Saint-Pétersbourg la faculté de refuser ou de retirer l'exequatur aux consuls qui seraient installés dans les ports du littoral de l'Euxin. Jamais nous n'avons eu cette prétention. Nous avons demandé qu'aucune résidence ne fût frappée d'interdit; mais il était entendu que, selon les règles qui régissent la matière, un consul nommé pourrait toujours, pour des motifs plausibles et inhérents à sa personne et non au poste, ne pas recevoir l'agrément du Gouvernement russe.

J'ai terminé, monsieur, cet exposé, et il en résultera, je l'espère, pour tous les esprits impartiaux, la conviction que les Puissances occidentales ne sauraient être responsables de la continuation d'une guerre dont elles ont désiré arrêter les effets avec autant de sincérité et d'empressement qu'elles avaient essayé d'en prévenir l'explosion.

La France et l'Angleterre n'ont pas les sentiments qu'on leur prête, leur hostilité n'est pas, comme on. le dit, implacable. Elles n'ont jamais voulu imposer à la Russie une paix attentoire à son honneur et à sa dignité, mais la nécessité les a investies d'un rôle qu'avec l'aide de la divine Providence elles sauront remplir, et l'Europe, raffermie sur ses bases, leur saura gré d'avoir contenu dans de justes bornes une influence qui s'efforçait de dépasser partout le cercle de son action légitime.

Je vous autorise à donner lecture de cette dépêche à M..... et à vos collègues.

Recevez, etc.

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au comte Westmoreland, en date du 2 juin 1855 (15 ramazan 1271). Milord, je vous transmets la copie d'une dépêche du comte Buol au comte Colloredo, remise par ce dernier entre mes mains. J'ai dit au ministre autrichien qu'après une lecture attentive de ce document, j'exprimais mon regret que des propositions auxquelles il était impossible au Gouvernement de la Reine de souscrire eussent été renouvelées par le Gouvernement autrichien, mais que le comte Buol ne pouvait pas douter de la sincérité de notre regret après les nombreuses preuves qu'avait données le Gouvernement de la Reine de l'importance qu'il attache à la coopération de l'Autriche dans une cause qui l'intéresse plus directement qu'elle n'intéresse les Puissances occidentales, et dans laquelle le Gouvernement de la Reine ne pouvait pas penser que son appui fût retiré. J'ai dit au comte Colloredo que j'avais déjà discuté avec lui une des propositions transmises par le comte Buol, et que l'opinion du Gouvernement de la Reine vous avait été transmise dans ma dépêche du 8 mai et communiquée au comte Buol, et que l'autre proposition ayant été envoyée par Votre Seigneurie, je lui ferais la réponse qui allait vous être adressée.

Après avoir lu au comte Colloredo ma dépêche du 29 mai à Votre Seigneurie, j'ai dit que je voulais éviter toute discussion irritante, ce qui, d'après les dépêches du comte Buol, me paraissait devoir être inutile, mais qu'il y avait dans ces dépêches quelques déclarations au comte Colloredo et à M. de Hubner, sur lesquelles je prendrai la liberté de faire quelques remarques. Dans la dépêche à M. de Hubner, le comte Buol dit que l'Autriche donne un appui progressif de beaucoup de poids et de valeur à la Turquie en stipulant que, pour chaque nouveau navire que la Russie pourra construire, les alliés auront la permission de faire addition proportionnelle à leurs stations navales dans la mer Noire, et que, dans le cas où la Porte se croirait menacée, elle pourrait appeler à son aide les escadres alliées.

A ce sujet, j'ai pris la liberté de faire observer que l'on paraissait perdre de vue le véritable objet de la troisième base, et que, loin de faire cesser la prépondérance de la Russie, cette proposition tendrait à établir une prépondérance entre les Alliés et la Russie. Un tel état de choses ne serait pas la paix; ce serait une préparation incessante à la guerre et une source constante d'inquiétude pour l'Europe. La Porte, ai-je dit, ne demande à aucune autre Puissance la permission d'appeler ses alliés à son aide en cas de danger. Le Sultan pourra toujours le faire spontanément et de son plein gré; et si la proposition de l'Autriche était adoptée et s'il n'était apporté aucune limitation de puissance à

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