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donnée dans une première distribution amiable du prix d'autres biens, mais que ce jugement prononçait par des motifs de droit et de fait tirés du fond; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la veuve Rogeau, exerçant les droits de Delaunay et Filliot, a conclu devant la cour royale d'Amiens à la confirmation du jugement; qu'ainsi cette cour n'a pas eu de motifs spéciaux à donner pour écarter une fin de non recevoir qui n'était pas présentée devant elle, et qu'on n'induit aujourd'hui que d'une énonciation accessoire d'une requête dans laquelle cette énonciation se trouverait même en contradiction avec les conclusions; REJETTE. » J. A. L.

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COUR DE CASSATION.

Est-ce à l'époux qui réclame le prélèvement, sur la masse, du pria d'un de ses propres aliéné qu'est imposée la charge de faire la preuve que ce prix a été versé dans la communauté? (Rés. aff.) C. civ., art. 1433 et 1315.,

DOUHET PRADAT, C. LECAMUS ROCHETTE.

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Le 19 janv. 1801, le sieur Lecamus Rochette et la dame Marie Maillant se marièrent sous le régime de la communauté. La dame Maillant décéda le 12 fév. 1808, laissant pour héritiers deux enfants, un fils et une fille, sous la tutelle de son mari. Par la mort de son frère, la fille de la dame Maillant, MarieAgathe Lecamus, recueillit tous les droits de sa mère. Après le convol du sieur Lecamus à de secondes noces, en 1824, des débats s'élevèrent sur le compte de tutelle entre lui et sa fille, la dame Marie-Agathe Lecamus, devenue épouse du sieur Douhet Pradat.

La question actuelle s'éleva à propos d'une somme de 6,000 f., dont le sieur Lecamus prétendit récompense sur l'actif de la communauté, comme étant le prix de ses propres aliénés par un acte du 17 mess. an 13 (6 juill. 1805). L'acte de vente, consenti par le sieur Lecamus et ses deux frères, da domaine du Bois-l'Abbé, indivis entre eux, portait un prix de 18,000 f., dont 6,000 f. payables à chacun d'eux.

Le sieur Dumont, acquéreur, paya aux deux frères du sieur Lecamus une somme de 7,000 f., et s'obligea à leur rembour-: ser le surplus de leur quote-part les 20 brum. des années 14, 15 et 16 de la république. Les 6,000 f. revenant au sieur Lecamus ne devaient être acquittés que le 21 brum. an 16 ( 12 nov. 1807). Il paraît que ces paiements n'ont pas été exactement faits, car les frères du sieur Lecamus n'ont été payés que long-temps après le dernier terme. M. Lecamus ne rapportait

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pas de preuve de la recette prétendue qu'il voulait mettre à la charge de la communauté, et le silence de l'inventaire des meubles de la communauté, fait le 23 mars 1808, semblait dénoncer le défaut de paiement pendant le mariage.

Aussi, le 29 août 1826, le tribunal de première instance de La Châtre repoussa la prétention du sieur Lecamus par les motifs suivants :

« Considérant que la communauté ne doit tenir compte aux époux que des sommes dont elle a profité; Considérant que, s'il est bien établi que le sieur Lecamus s'est constitué en dot, lors de son contrat de mariage, le tiers du domaine du Boisl'Abbé, et que ce domaine ait été vendu pendant son mariage, il n'est démontré pas le que prix provenant de cette vente ait été versé dans la caisse de la communauté ; que c'est au sieur Lecamus, qui réclame cette somme contre la communauté, qui, suivant lui, en avait bénéficié, à faire cette preuve, et que, tant qu'elle ne sera pas faite, sa demande doit être repoussée; Considérant, au contraire, qu'il s'élève de fortes présomptions pour établir que cette somme n'a pas été payée pendant la communauté; que ces présomptions résultent de ce qu'aux termes de l'acte du 7 mess. an 13, le sieur Lecamus avait droit d'exiger le paiement de la somme à lui due le 12 nov. 1807, et que c'est le 12 fév. 1808, c'est-à-dire trois mois après l'époque de l'exigibilité, que la femme Lecamus est décédée; que le court intervalle qui s'est écoulé depuis l'échéance de la créance du sieur Lecamus jusqu'au décès de sa femme autorise à penser que cette somme ne fut pas acquittée par le sieur Dumont, surtout quand on sait qu'à cette même époque le sieur Dumont avait peu de ressources en argent, puisqu'il résulte d'un jugement rendu le 24 mars 1813, par le tribunal de Saint-Amand, qu'il fut condamné à payer un billet de 2,330 f. qu'il avait souscrit lui-même en 1806, et exigible depuis le mois de sept. 1807; que cette présomption se confirme aussi par le vu de la grosse exécutoire du titre du sieur Lecamus ; qu'en effet on y remarque que la formule royale y a été apposée en 1816, d'où l'on est porté à

époque qu'il en a poursuivi l'exéc. Conclure que c'est à cette

contre son débiteur; que par conséquent la prétention du sieur Lecamus doit être rejetée faute de justification. »

Sur l'appel interjeté par le sieur Lecamus, la cour d'appel de Bourges rendit une décision toute contraire,

• Considérant, dit-elle dans son arrêt du 27 av. 1829, que l'appelant a vendu pendant la communauté sa part dans le bien du Bois-l'Abbé, qu'il s'était constitué en dot; que le contrat de vente prouve que le prix était exigible avant le décès de la dame Lecamus ; que c'est vainement que l'intimé allègue plusieurs faits comme faisant présumer que le prix n'a pas été payé à l'échéance stipulée; qu'il faudrait de sa part la preuve complète de l'inexécution du contrat, ce qui n'existe pas dans ce moment; qu'ainsi Lecamus doit être admis à prélever sur la communauté la valeur de sa part dans le bièr, sauf à l'intimé à prouver, de telle manière qu'il avisera, que le prix ou partie du prix n'a pas été versé dans la caisse de la communauté ;

« A l'égard du quantum de ces prélèvements, considérant que l'appelant n'avait qu'un tiers dans le bien, et que le contrat porte le prix de la totalité à 18,000 f., dont 6,000 f. reviennent à Lecamus; qu'ainsi le prélèvement doit être de 6,000 f., sans avoir égard à l'allégation que le prix a été déguisé ou diminué à cause du droit de l'enregistrement.

Les sieur et dame Douhet Pradat ont formé contre cet arrêt une demande en cassation, pour violation de l'art. 1315 du C. civ., qui pose en principe que c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation à la prouver, et de l'art. 1433 du même Code. On disait pour les demandeurs en cassation : C'est toujours au demandeur qu'incombe le fardeau de la preu ve (1), qui ne doit reposer sur le défendeur que relativement aux faits qu'il allègue pour sa défense; et c'est encore une application de la règle, plutôt qu'une exception, nam reus in exeptione actor est (2). Mais si le défendeur borne sa défense à la dénégation du fait sur lequel la demande est fondée, il n'est tenu à aucune preuve: Factum negantis nulla probatio. Cette doctrine du droit romain et des jurisconsultes, reproduite par l'art. 1315 du C. civ., a été entièrement méconnue par la cour d'appel de Bourges, En effet, que prétendait le sieur Lecamus? Que, la somme de 6,000 f., prix de ses propres, étant ombée dans la communauté, il lui était dû récompense pour cette somme : or l'art. 1435, qui formait la base de sa précention, lui imposait nécessairement la preuve non seulement

(1) L. 2, De probationib., D., 22, 3. (2) L. 1, De exception., D., 44, 1.

du fait de la vente, mais encore du versement du prix dans la communauté. La cour d'appel de Bourges, au contraire, a érigé en thèse que le seul événement de l'exigibilité d'une créance pendant la durée de la communauté établit, par une présomption de plein droit, que la somme a été non seulement reçue en effet, mais versée en outre dans la masse commune. C'est là une violation évidente de l'art. 1433, dont les termes sont si formels. « S'il est vendu un immeuble appartenant à l'un des époux, porte cet article..., et que le prix en ait été vers dans la communauté, le tout sans remploi, il y a lieu au prélèvement de ce prix sur la communauté... » Ainsi le sieur Lecamus Rochette ne pouvait pas se contenter d'établir seulement, en sa qualité de demandeur, que la vente avait été faite, ce qui prouvait seulement la dette de l'acquéreur, mais il fallait encore justifier que le paiement avait été fait pendant la communauté, pour rendre cette communauté passible de la restitution de la somme dont elle aurait profité. La cour de Bourges, intervertissant les rôles des deux parties, a jugé que c'était à la défenderesse qu'il appartenait d'établir le fait de l'inexécution du contrat lors de l'échéance stipulée pour les paiements, comme si ce n'était pas au demandeur, qui revendiquait le bénéfice de son exécution, à faire preuve avant tout de cette exécution à l'époque où il était intéressé à la faire remonter.

On établissait, par l'énumération des présomptions graves, précises et concordantes, rappelées dans le jugement du tribunal de première instance, que c'était moins que jamais le cas de déroger au principe de droit qui impose au demandeur la charge de prouver sa demande.

Dans l'intérêt du sieur Lecamus Rochette on ne contestait pas le principe de l'art. 1315 du C. civ., mais on le regardait comme sans application possible à l'espèce. Cet article, disaiton, ne régit que le cas où une partie réclame contre son adversaire l'exécution de l'obligation contractée par celui-ci. Mais le sieur Lecamus Rochette ne réclamait pas l'exécution d'une obligation contractée par les sieur et dame Douhet Pradat; il ne faisait qu'alléguer un fait étranger à ses adversaires: ce n'était donc pas plutôt lui qu'eux qui devait prouver; d'ailleurs quand le sieur Lecamus a reçu la somme de 6,000 f.,

montant de l'immeuble propre aliéné par lui, il n'a pas été constaté que la somme provenant de ce paiement ait été versée dans la communauté, et la loi n'exigeait pas que cette consta

tation eût lieu: comment donc le sieur Lecamus Rochette pourrait-il être tenu aujourd'hui de prouver matériellement un fait pour lequel il n'existe entre ses mains point d'instrument de preuve', puisque la quittance qu'il a donnée est entre les mains de l'acquéreur. En un mot, le fait allégué n'étant pas une obligation contractée, mais au contraire étant la libération d'une obligation, et cette libération n'étant pas d'ailleurs relative à une convention entre les parties en cause, ce n'était pas le cas d'appliquer l'art. 1315. On doit dire, dans les causes de ce genre, que la décision sur le fait allégué est abandonnée à la prudence du juge, qui statue suivant la pature et la force des présomptions qui s'élèvent en faveur de l'une ou de l'autre des parties.

C'est ce qu'a fait la cour de Bourges. Devant elle les parties produisaient réciproquement les preuves par lesquelles elles prétendaient appuyer leurs allégations. Entre ces prétentions opposées, la cour d'appel, appréciant la circonstance d'exigibilité mise en avant par le sieur Lecamus Rochette, et y puisant un motif de conviction suffisant pour elle, a estimé qu'il était prouvé à ses yeux que le paiement avait été effectué.. Cette décision repose sur le degré de valeur attaché à la présomption produite par le sieur Lecamus Rochette, par conséquent sur un fait, et non sur un motif de droit : elle est donc entièrement à l'abri de la censure de la cour de cassation.

Il ne faut pas oublier cette considération, tirée de la nature de la causé: c'est que, le mari étant, d'après la loi, seul maître de l'administration de la communauté, et pouvant disposer de toutes les sommes qui y sont versées, sans consulter sa femme, Il ne reste jamais aucune trace des mouvements de fonds qui peuvent s'opérer dans la caisse commune. Or, s'il fallait, par cela seul qu'il ne peut administrer la preuve directe et matérielle d'une recette ou d'une dépense, repousser toute allégation de sa part, ce serait attribuer à l'allégation de la femme e pouvoir de servir de règle de décision sur toutes les contesations qui pourraient s'élever entre eux, il est donc de toute écessité que les juges soient maîtres de choisir entre les deux llégations, suivant les circonstances. La cour de Bourges, en uivant cette marche, s'est conformée à la plus stricte équité et à une bonne administration de la justice.

Du 14. août 1832, ARRÊT de la cour de cassation, chambre civile, M. le comte Portalis premier président, M. le conseiller

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