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Roy et Duval, qui avaient acquis la forêt de Conches depuis 1825.

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Mais ce jugement a été infirmé par arrêt de la cour royale de Rouen, du 9 juil. 1828,« Attendu que la prescription avait été suspendue durant tout le temps pendant lequel la forêt de Conches avait été réunie au domaine de l'état, ou au moins pendant cinq ans, en vertu de la loi du 20 août 1792;

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Que dès lors, le point de départ de la prescription remontant à une époque antérieure à 1777, elle n'a pu être acquise, puisqu'en 1777 elle a été interrompue par les actes ou requêtes des habitants du Fidélaire, ainsi que plus tard par le dépôt qu'ils ont fait de leurs titres à la préfecture de l'Eure, en exécution de la loi de ventôse an 11;- Que d'ailleurs tous leurs droits ont été publiquement reconnus par la sentence du conseil de la maîtrise, quoique l'on allègue que cette sentence n'a pas été rendue contradictoirement avec le duc de Bouillon;Qu'enfin il est constant, en fait, que les habitants du Fidelaire ont joui du droit de ramage, et que peu importe dès lors qu'il y ait eu ou non des procès-verbaux de délivrance.

Pourvoi de la part des sieurs Roy et Duval pour fausse application des art. 1 et 4 du tit. 20 de l'ordonnance de 1669, et de l'art. 2 du tit. 3 de la loi du 20 août 1792, et pour violation de l'art. 607 de la Coutume de Normandie.

A l'appui du pourvoi on a dit : Le droit de ramage est une servitude. D'après l'art. 607 de la Coutume de Normandie les servitudes s'éteignaient par le non-usage pendant quarante ans. Depuis bien plus de quarante ans, depuis un temps immémorial, les habitants du Fidélaire n'ont pas exercé leur droit: car, d'après les anciennes ordonnances, et d'après la jurisprudence de la cour de cassation (Voy. ce Journal, t. 2 de 1829,

328.), l'usage d'une forêt appartenant même à un particulier était assujetti à des demandes en délivrance. Or il n'y a pas de procès-verbaux pour les constater. Dès lors, s'il y a eu exer cice matériel du droit de ramage, ce n'est plus qu'un délit, qui ne peut constituer une continuité d'usage. En vain on oppose que la prescription a été suspendue pendant cinq ans par la loi du 20 août 1792: car cette loi ne s'applique qu'aux arrérages de rentes; la cour de Rouen l'a elle-même reconnu plus tard. La prescription n'a pas non plus été suspendue pendant l'intervalle écoulé depuis l'an 12 jusqu'en 1816, puisque l'échange n'a pas été déclaré nul, il a seulement été révoqué

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par mesure politique; pendant tout ce temps, l'état n'a fait que continuer l'ancien propriétaire. Au surplus, la prescription était déjà acquise à cette époque : car ce n'est pas sérieusement qu'on peut voir une interruption de prescription dans le dépôt que la commune du Fidelaire a fait de ses titres au secrétariat de la préfecture de l'Eure en exécution de la loi de ventôse an 11, ni dans la sentence de la maîtrise de 1787, ni dans le commencement de procédure de 1777, puisque cette sentence et ce commencement de procédure ont eu lieu sans qu'il y ait eu des parties en cause; cela ne s'est point passé contradictoirement avec le duc de Bouillon ni avec ses mandataires spéciaux.

Dans l'intérêt des habitants du Fidelaire on a développé de nouveau les motifs de l'arrêt ci-dessus analysés, et l'on a prétendu en outre que l'arrêt attaqué échappait à la censure de la cour de cassation, parce qu'il était basé sur les circonstances particulières de la cause."

Mais, le 21 mars 1832, ARRÊT de la cour de cassation, seetion civile, M. Portalis premier président, M. Ruperou rapporteur, MM. Lacoste et Jacquemin avocats, par lequel

LA COUR, Sur les conclusions de M. Joubert, premier avocatgénéral; Vu l'art. 607 de la coutume de Normandie; les art. 691, 706, 707, 2221, 2222 et 2261 du C. civ.; Attendu que le droit de ramage constitue une servitude discontinue; que cette servitude doit se fonder sur un titre et se conserver par l'usage; Qu'aux termes de l'art. 607 de la coutume de Normandie, la liberté se peut acquérir par la possession de quarante ans continue contre le titre de servitudē; Attendu que, dans la cause, la commune du Fidélaire réclamait un droit de ramage sur la forêt de Conches, en s'appuyant sur un jugement des commissaires pour l'évaluation du 5 août 1655, et sur un arrêt du parlement du 2 août 1687, qui lui servaient de titre; - Que les propriétaires de la forêt lui opposaient la prescription immémoriale, et, en tous cas, quadragénaire: Que l'arrêt attaqué a déclaré que la prescription quadragénaire invoquée par les demandeurs; à partir du jour de la demande de la commune, n'était point acquisé, parce qu'il résultait tant des actes de 1777 que du règlement de police de 1787 et du dépôt des titres fait par la commune en l'an 11 qu'elle avait été en possession de son droit de ramage dans ces deux dernières époques;

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Que toutefois les actes de 1777 et de 1787, qui n'émanent point du. duc de Bouillon ni de ses représentants, et qui n'ont point eu lieu contradictoirement avec lui ou avec ses fondés de pouvoirs, ne sont pas récognitifs des titres de 1655 et 1687, en ce sens qu'ils n'émanent pas de personne capable pour stipuler une reconnaissance utile, puisqu'ils n'émanent ni du duc de Bouillon ni de ses mandataires spéciaux, mais d'une juridiction qui rendait la justice en son nom comme seigneur: Que le dépôt des titres de la commune, conformément à la loi du 28 vent. an 11, n'était que l'exécution d'une formalité ordonnéè à ceux

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qui se prétendraient fondés en droit d'usage dans les forêts nationales, et qui n'avait pour objet que de faire connaître à l'administration, pour qu'elle en appréciât la valeur, les titres ou les actes possessoires surlesquels ils appuieraient leurs prétentions; - Qu'alors même qu'il serait possible de considérer l'exécution de cette formalité comme interruptive de la prescription, aux termes des art. 2244 et 2249 du C. civ., elle ne saurait être considérée comme la reconnaissance, mentionnée en l'art. 2248, que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, et qu'elle n'aurait pu avoir l'effet de cona server dans la forêt de Conches, momentanément réunie au domaine de l'état, des droits de ramage dont la prescription, d'après l'art. 607 de la contume de Normandie et l'art. 2261 du C. civ., conforme aux anciens principes, aurait été acquise au propriétaire de la forêt, à partir du moment où les quarante ans de non-usage avaient été accomplis;

» Attendu, en fait, que les conclusions que le comte Roy et le sieur Duval ont prises en première instance et en appel, contiennent littéralement la dénégation et la méconnaissance positive des faits de possession et de délivrance allégués par la commune, et desquels la cour royale a déclaré qu'ils ne passaient pas de méconnaissance formelle; de tout quoi il résulle que l'arrêt attaqué qui, sans avoir égard à la possession immémoriale alléguée, a décidé que la prescription quadragénaire n'était pas acquise, en se fondant sur les actes susmentionnés, a violé l'art. 607 de la coutume de Normandie, les art. 2221, 2222 et 2261 du C. civ., relatifs au jour où la prescription est acquise et à la renonciation à cette prescription, et les dispositions du même code sur l'interruption de la prescription; Par ces motifs, CASSE..

DEUXIÈME ARRÊT.

La prescription qui court contre les usagers d'une forêt n'est-elle pas interrompue en leur faveur par la délivrance d'arbres attestée dans des registres dûment cotés et paraphes, par le paiement également attesté des redevances auxquelles les usagers étaient soumis pour. l'exercice de leur droit de ramage, et par une réclamation former devant l'administration durant le séquestre apposé sur la forêt, en vertu des lois sur l'émigration? (Rés. aff.) (1).

Si les titres d'un usager dans une forêt et les arrêts de règlement tui donnent le droit de prendre du bois pour chauffage et clôture......, tel qu'il est déclaré par la charte normande, c'est à savoir le saule, marsaule, épine, etc., l'arrêt qui accorde le droit de prendre en sus le tremble, le coudre, la bruyère, le houx, ne viole-t-il pas et les anciennes lois et ordonnances, et lu chose jugee? (Rés. aff.)

ROY ET DUVAL, C. LA COMMUNE DE SAINTE-MARTHE.

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Le même jour la cour de cassation a eu à statuer sur le pourvoi des mêmessieurs Roy et Duval formé contre un arrêt de la

(1) Voy. l'arrêt qui précède et celui qui suit.

cour royale de Rouen, à peu près dans les mêmes circonstan ces que le précédent. Il est inutile de signaler la différence qui peut se trouver entre les deux causes: nos lecteurs la saisiront facilement d'après les termes des deux questions ci-dessus. Nous nous bornerons à rapporter la décision de la cour suprême.

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Ainsi, le 21 mars 1852, ARRÊT de la cour de cassation, section civile, M. Portalis premier président, M. Ruperou rap porteur, MM. Lacoste et Jacquemin avocats, par lequel:

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LA COUR, Sur les conclusions de M. Joubert, premier avocat général; Attendu que la cour royale de Rouen, usant de la faculté qu'elle avait d'apprécier les actes et les faits, a déclaré qu'il résultait 1° des délivrances d'arbres faites en 1789 dans les forêts sujettes au droit de ramage à divers usagers de Sainte Marthe, 2° du paiement de la redevance annuelle fixée par l'arrêt du 2 août 1687 pour la jouissance des droits d'usage énumérés audit arrêt, 3o des autres actes et faits énoncés dans les conclusions' de la commune, qu'il y avait eu, au profit de cette dernière, interruption naturelle de la prescription, et de plus recon naissance de son droit, qui couvrait la prescription acquise;

» Attendu qu'en prononçant ainsi, l'arrêt attaqué a jugé en fait et n'a violé aucune loi;

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Mais, vu l'art. 9 de la charte de Normandie de 1315, portant : Quod de cætero de nemoribus mortuis, videlicet gallice des saulx, marsaux, espine, puisne, seur, aulne, genest, geneure et ronces •; L'art. 45 de l'ordonnance de mars 1515, ainsi conçu: « Comme toujours ont . été mis différences entre les coustumiers, entendue la signification des » paroles de mort-bois à bois-mort, en prenant bois-mort pour celui qui » est sec, soit abattu ou en estant, ou entendant le mort-bois de certain bois vert en estant; et afin que plus rien soit débattu, l'on déclare » qu'ainsi doit-il être entendu que dit est; est le mort-bois tel et non » autre, comme il est dit et déclaré en la charte normande, qui en fut faite par le roy Louys, l'an 1315, sur l'interprétation et nomination dudit mort-bois, et ainsi sera interprété et prins ès-cas qui s'en offrent set offriroat, spécialement au pays normand.'» ;— L'art. 5 du tit. 23 de l'ordonnance de 1669, portant: Les possesseurs de bois sujets à »tiers et dangers pourront prendre par leurs mains, pour leur usage, du bois des neuf espèces contenues en l'art. 9 de la charte normande du roi Louis X, de l'année 1315, qui sont saulx, marscaux, épines, puis » nes, seur, aulnes, genièvre et ronces. » ; — -L'arrêt du parlement de Rouen. du 2 août 1687, où on lit:.... Et donnant règlement pour l'avenir, » déclare que les droits d'usage et de ramage consistent en bois sec en » estant et en gisant, le bois vert en gisant, rompu, brisé et séparé du » tronc, même le mort-bois, tel qu'il est déclaré en la charte de Nor»mandie, c'est à savoir, le saulę, marsaule, épine, puine, seur, aulne, »genêt, genièvre et ronces.»; Attendu que les titres de la commune de Sainte-Marthe ayant été légalement et définitivement fixés par Fordonnance de 1655 et le règlement de 1687, elle n'a droit, conformé ment à ces titres, qu'au pâturage, panage, chauffage et clôture, lesdits droits consistant en bois sec en étant et en gisant, le bois vert en gisant, rompo, brisé et séparé du trone, même le mort-bois, tel qu'il est dé

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claré par la charte normande, c'est à savoir, le saule, marsaule, épine, paine, sear, aulne, genêt, genièvre et ronces; Que le tremble, le coudre, la bruyère, le houx, n'y sont point compris; que tous autres bois en sont exclus; et qu'en y comprenant le tremble, le coudre, la #bruyère, le houx et autres bois détaillés dans les titres, l'arrét attaqué a expressémeut violé l'art. 9 de la charte pormande, l'art. 45 de l'ordonnance de mars 1515, l'art. 5, tit. 23 de l'ordonnance de 1669, le règlement du 2 août 1687 et l'autorité de la chose jugée par l'ordonnance de 1655; Altendu dans la fixation de la somme de 6,000 fr. de dommages-intérêts adjugés à la commune de Sainte-Marthe, l'arrêt attaqué a eu égard à la privation du tremble, du coudre, de la. bruyère, du houx et d'autres bois qu'il lui a indûment accordés;-Par aces motits, CASSE, etc. »

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TROISIÈME ARRÊT.

L'obligation pour les usagers d'une forêt de demander la délivrance du bois auquel ils ont droit est-elle tellement d'ordre public qu'une cour royale ne puisse pas les autoriser, en cas de refus de délivrance, a cxercer leurs droits dans tels cantons défensables de la forêt qu'ils jugeront convenables? (Rés. nég.) C. forest., art. 79.

LA PRINCESSE DE ROHAN, C. LA COMMUNE D'AULNAY. Le même jour, la princesse de Rohan, héritière du duc de Bouillon, s'était aussi pourvue en cassation contre un arrêt de fa cour royale de Rouen, du 6 janv. 1829, qui avait reconnu le's droits tant de ramage que de pâturagé et panage des habitants de la commune d'Aulnay dans la forêt d'Evreux. La cause présentait à peu près les mêmes circonstances que les deux précédentes; mais la cour royale de Rouen, en condamnant la dame de Rohan à délivrer aux usagers le bois auquel ils avaient droit, autorisa ces derniers, en cas de refus de délivrance, à exercer leurs droits dans tels cantons defensables de la forêt qu'ils jugeraient convenables. En conséquence, à l'appui du pourvoi, la princesse de Rohan, indépendamment du moyen invoqué par les sieurs Roy et Duval contre les communes du Fidélaire et de Sainte-Marthe, a soutenu qu'il n'était en la puissance d'aucun tribunal d'affranchir les usages d'une forêt de la nécessité légale d'une demande en délivrance. Cette demaude, exigée par les anciennes ordonnances et par le nouveau code forestier (art. 79), est d'ordre public, et s'applique aux usagers dans les forêts des particuliers comme dans celles de l'état. Ainsi, dans le cas prévu du refus de délivrance, l'arrêt attaqué eût dû faire l'application de l'art. 1142 du C. civ., et

(1) Voy. les deux arrêts qui précèdeut.

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