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la mort. Il en va de même dans ce grand mouvement vital de l'humanité où des nations, où des races sont en jeu.

Pour que la religion chrétienne se combine avec le monde moderne, il faut d'abord qu'elle se sépare du monde ancien; or si les combinaisons sont d'ordinaire accompagnées de joie, d'un dégagement de lumière, de chaleur et d'électricité magnétique, les désagrégations sont accompagnées de tristesse. Voilà pourquoi, à l'heure présente, il y a tant d'angoisses.

La désagrégation s'accomplit; l'agonie parle; et c'est la destruction qui règne.

Le catholicisme est comme une âme chevillée dans le vieux corps social décrépit. Le vieillard veut vivre. Il se sent atteint du froid de la tombe; mais il ne veut pas être glacé. Ses yeux sont vitreux; mais il ne veut pas que la lumière l'abandonne. Il en demande à grands cris; et au lieu de se tourner vers le soleil qui se lève, il appuie sa tête contre la couche où il va expirer.

Il vient une heure où ce qui a eu vie doit la rendre.

Ne nous attristons point, nous; que les morts s'agitent et qu'ils se lamentent c'est leur affaire. Nous savons assez que l'Esprit divin qui a été l'âme de la société ancienne va s'incarner dans la société nouvelle, comme dans une organisation plus jeune, et étonner le monde par des prodiges d'une vitalité plus haute.

Heureux celui qui a déjà accompli sa métamorphose et qui ne tient pas par la moindre fibre à ce qui doit être détruit!

Et maintenant que les hommes s'agitent. La lutte sera terrible. Une sorte d'armistice s'imposera; et les solutions vont devenir pres

santes.

Une main providentielle contient les partis. On dirait que pendant qu'ils se heurtent, une trêve est signée dans une région plus haute qu'eux, afin de résoudre là les questions qui ne se résolvent que là, et de coordonner les grandes forces en conflit.

La tradition a les lumières du passé : il faut les garder. L'avenir a des clartés nouvelles : il faut les conquérir. Les hommes d'autorité ont des prudences et des ressources: pourquoi les dédaigner? Les hommes de liberté ont des initiatives et des hardiesses: il serait insensé de les répudier. Les aristocraties ont des garanties : est-il prudent de les détruire? Les démocraties ont des mouvements de masse il n'en faut méconnaître ni le poids ni la grandeur.

La science va nous rendre maîtres de la nature : est-ce que l'homme peut renoncer à cette maîtrise? La philosophie nous fera connaître le fond de notre humanité; cette connaissance n'est-elle pas notre premier devoir, notre premier besoin? La religion nous ouvre le ciel

LA TRÊVE

avec ses perspectives et ses espérances : qui donc se refuserait à entrer dans ce céleste domaine?

L'Etat représente toutes les puissances de la terre, l'Eglise toutes les influences divines : quelle folie de vouloir les séparer aujourd'hui, pour les mettre aux prises demain, et tôt ou tard les détruire! On le voit, aucune de ces forces multiples n'est à rejeter; mais toutes sont à coordonner.

Ce ne sera point l'œuvre des sectaires conservant en eux l'idée étroite de parti: ce sera l'œuvre sainte des hommes: des hommes assez grands pour dominer tous les partis, assez clairvoyants pour prendre conscience de l'heure où nous sommes, assez résolus pour accomplir le travail qui s'impose, assez religieux pour ne pas oublier l'éternelle destinée ouverte aux fils de l'Evangile, à ceux que le Christ, dans son amour, a rachetés.

H. DIDON,

de l'Ordre de Saint-Dominique.

SAINT PAULIN DE NOLE

Si nous pouvions nous placer sur un sommet assez élevé pour dominer l'histoire et voir se dérouler à nos pieds les âges du monde, l'humanité nous apparaîtrait, ce semble, comme une immense forèt, et chaque siècle comme une sorte de taillis touffu des épaisseurs duquel s'élanceraient, plus ou moins nombreuses et plus ou moins robustes par endroits, des tiges hardies, des espèces supérieures, des arbres de haute futaie, la parure et l'honneur de l'ensemble.

On dirait, en effet, que lorsque, du sein de son Eternité, Dieu organisa le temps, et que, dans sa prescience, il vit passer devant lui les périodes et les siècles, il se plut à ouvrir sur eux sa main et, pour ainsi dire, à saupoudrer d'essences plus rares la masse compacte des générations. On dirait qu'en créant les sociétés et les peuples, il jeta au travers de ces foules humaines une semence d'intelligences, de cœurs et de volontés de haute venue, d'esprits et d'âmes destinés à dépasser le niveau commun, et qu'il les répandit avec une merveilleuse profusion sur certaines époques et sur certains groupes.

Et, s'il en fut ainsi, le grain privilégié tombait lorsque passa le quatrième siècle de notre ère. Le monde nouveau, qui germait alors au milieu des corruptions et des ruines, reçut, comme une rosée, l'abou dance des hommes d'inspiration, de génie et de sainteté.

Ce fut le salut et la dignité de cet âge « plus calamiteux encore que le nôtre 2 » où l'Empire parut ne s'être fait chrétien que pour devenir arien et s'écrouler sous les coups de la barbarie. Age étrange qui vit Julien entre Constantin et Théodose, et la résurrection oflicielle de l'hellénisme entre le labarum et la pénitence publique d'un

empereur.

Ce qu'il entendit de disputes, commit de crimes, supporta d'infamies, ce siècle dans lequel le paganisme livra ses dernières luttes, et l'hérésie ses premières et triomphantes batailles; ce qu'il compta

Histoire de saint Paulin de Nole, par M. l'abbé F. Lagrange, vicaire général d'Orléans.

2 Lettre de Mgr l'Evêque d'Orléans à M. l'abbé Lagrange, du 22 juin 1877.

d'apostasies et fit éclater de scandales, épouvanta le monde. Mais s'il eut à rougir de ses empereurs, de ses eunuques, de ses rhéteurs et de ses soldats; s'il dut même se voiler la face devant une partie de ses prêtres vainement baptisés dans la persécution, une auréole pure et brillante lui reste, et il est marqué d'un signe incomparable par la plume de ses docteurs et les vertus de ses saints.

Au-dessus de la forêt où s'agitent des masses encore païennes ou déjà ariennes au-dessus d'Antioche et de Bordeaux, de Trèves et d'Alexandrie, de Lutèce et de Milan, de Constantinople et de Rome; au-dessus des Perses vainqueurs, des Romains déshonorés, des GalloRomains endormis dans le bien-être; au-dessus des hordes qui s'abattent sur Rome et s'établissent dans les provinces, c'est-à-dire, au-dessus de la civilisation menaçante des Visigoths, de l'avidité des Ostrogoths, des entreprises des Quades, des Vandales et des Francs campés aux frontières, au-dessus des Alains, des Pictes, des Isaures, des Burgondes, des Alamans et des Hérules qui débordent, des Goths qui remplissent l'Empire quand ils ne le gouvernent pas, des Suèves prêts à se jouer de ses destinées, des Huns qui le convoitent et bientôt le saccagent; au-dessus de Procope et d'Eugène, d'Eutrope et de Rufin, d'Athanaric et de Vitimer, d'Hormidas et de Sapor, d'Hermanaric et d'Arbogaste, de Stilicon et d'Alaric, se montrent de grandes figures et se dressent de hautes tailles d'évêques et de moines. Plus haut que les dépravations et les malheurs, les effondrements et les épouvantes; plus haut que les peuples envahis, les villes affolées, les consuls impuissants, les aruspices délaissés, les rhéteurs puérils, les patriciens sans mœurs, les sénateurs sans prestige, les légions mercenaires, les généraux vendus et les empereurs d'un jour; plus haut que le siècle tout entier s'élèvent les têtes de ces hommes de grande venue qui se nommaient Athanase, Grégoire de Naziance, Hilaire, Martin, Paul, Pacôme, Antoine, Hilarion, Basile, Grégoire de Nysse, Ephrem, Epiphane, Jérôme, Ambroise, Augustin, Chrysostome, etc.

Ils croissaient comme les palmiers de Cadès, comme les cyprès de Sion, comme les rosiers de Jéricho; ils poussaient droits et forts comme le cèdre du Liban, comme le bel olivier des champs, comme le peuplier planté aux bords des eaux. Ils se multipliaient comme les troupeaux de Jacob, et il faut emprunter à l'Ecriture ses images et sa langue pour parler d'une telle germination de saints. Dieu mesurait aux besoins de l'Eglise et du monde la sève qu'il versait avec cette abondance.

Nous n'avons, en effet, nommé que les grands athlètes, les Pères de l'Eglise, les noms sans égaux, les peupliers, les cyprès et les cèdres; mais à côté de ceux-là, et toujours dominant le fourré des

peuples, combien d'oliviers, de rosiers, de tiges moins hardies peutêtre, mais d'une riche et ferme venue!

C'étaient Pierre de Sébaste, Jacques de Nisibe, Cyrille et Maxime de Jérusalem, Paul, Isaac, Nectaire et Evangre de Constantinople, Césaire de Naziance, Chromace d'Aquilée, Nersès d'Arménie, Aurèle de Carthage, Alexandre et Isidore d'Alexandrie, Basile d'Ancyre, Eusèbe de Verceil, Séverin de Cologne, Paulin de Trèves, Servais de Tongres, Eusèbe de Samosate, Amphiloque d'Icone, Obtat de Milève, Mélèce, Eustache, Lucien et Flavien d'Antioche, Exupère de Toulouse, Amand de Bordeaux, Maximin de Poitiers, Victrice de Rouen, Léonce de Fréjus, Paphnuce, Spiridion, Lactance, SulpiceSévère, on ne saurait les nommer tous et Paulin de Nole.

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C'étaient d'illustres femmes comme Hélène, Paule, Asella, Eustochium, Fabiola, Marcelline, Mélanie, Marcelle, Macrine, Nonna, Monique, Flaccille, Ursule, etc.

Tel passait sous les yeux de Dieu et sous les regards de l'histoire le siècle qui vit se partager et s'éteindre la puissance romaine. Tel se montrait, défendu et vivifié par les vertus, les luttes et les écrits de ses saints, le siècle d'Arius et de Julien l'apostat : « non perdu dans la perdition,» aurait dit Milton, « marqué d'un signe infaillible de régénération,» aurait écrit Bossuet.

Tel il se montre encore à qui l'évoque et l'interroge, et nous n'apprendrons à personne combien cet âge, qui portait dans ses flancs tout un avenir, s'est emparé de l'attention de notre siècle anxieux, divisé, coupable comme lui, comme lui sur les confins d'un passé qui s'écroule, et peut-être comme lui gros d'un avenir inconnu.

MM. Villemain, de Broglie, Génin, Nourrisson, les deux Thierry et d'autres nous ont donné de larges études, des monographies pleines d'intérêt, d'érudition et de vie; nous devons à MM. Poujoulat, Martin (d'Agde), Colombet, etc., etc., des biographies étendues; le seul clergé d'Orléans, chez lequel l'hagiographie a reçu une impulsion si puissante, nous a déjà fait vivre au quatrième siècle, dans l'intime société de sainte Monique, de saint Ambroise et de sainte Paule, aujourd'hui l'histoire de saint Paulin vient s'ajouter à cette liste.

Ce n'est point un rapprochement de noms qui de sainte Paule a conduit à saint Paulin l'auteur éminent et sérieux qu'attire surtout ce siècle, et qui certes est à l'abri de toute supposition puérile. Mais M. l'abbé Lagrange il faut le lui pardonner a le goût, la passion peut-être des nobles cœurs et des grands caractères; il se connaît en amitiés fortes et hautes, et, après avoir fait revivre l'érudite et vaillante amie de saint Jérôme, il est arrivé, par une pente naturelle, à étudier pour sa consolation, à révéler pour la nôtre, l'àme

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