Page images
PDF
EPUB

ses hautes lumières spirituelles dans l'étude de sa vocation et put en mourant, en quelque sorte, entre ses bras, la compter d'avance pour une de ses filles.

Peu après, en effet, la duchesse de Montmorency devint sœur MarieFélicie et fit, par sa sainte vie, durant plus de trente ans, l'édification et l'admiration du couvent. Elle y mourut le 5 juin 1606, en grande réputation de sainteté, non-seulement auprès de ses compagnes, mais auprès des habitants du pays, sur lesquels s'étaient répandus ses bienfaits.

Cette vie, dont nous ne donnons pas même une esquisse, mais dont on entrevoit cependant tout l'attrait, n'avait pas été écrite jusqu'ici; mais les éléments en existaient dans des documents contemporains précieusement conservés au monastère de la Visitation de Moulins, d'où ils avaient été emportés et sauvés pendant l'orage révolutionnaire et auquel ils ont été restitués par les saintes filles qui les avaient soustraits, avec d'autres reliques, à une trop probable destruction. Ces documents sont des espèces de Mémoires rédigés par les religieuses, du vivant même de la duchesse de Montmorency, d'après ses récits ou ceux de ses plus intimes suivantes, dont quelques-unes avaient pris le voile avec elle. C'est sur ces Mémoires dont il a dû longtemps s'infuser l'esprit, car cet esprit respire dans toutes ses pages, que Mgr Fliche a composé l'ouvrage qu'il nous donne aujourd'hui. Avec un sentiment délicat de l'histoire et une modération parfaite, l'auteur de ce travail s'est effacé le plus qu'il a pu derrière les bonnes religieuses et s'est assimilé avec beaucoup d'art leur admirable langue, cette langue de la piété du dix-septième siècle, sobre sans aridité et suave sans fadeur, dont Me de Chantal avait donné l'exemple dans ses maisons et qui régna partout dans les livres de religion jusqu'à l'invasion de la roideur janséniste. Contemporains de ceux de la mère de Chaugy sur la sainte fondatrice de la Visitation, aujourd'hui classés parmi les monuments de notre littérature, ces Mémoires sur la duchesse de Montmorency sont de la même école, si l'on peut employer cette expression pour ce genre d'ouvrage. Cela se voit, même dans la réduction qu'en a fait Mgr Fliche.

Ici une question se présente au lieu de cet arrangement et de cette appropriation, une publication intégrale et textuelle de ces documents n'eût-elle pas été préférable? Pour décider à cet égard, il faudrait avoir les manuscrits sous les yeux. Nous soupçonnons, quant à nous, qu'ils avaient besoin d'être éloignés tout au moins. D'ailleurs, si le goût de ces reproductions existe, c'est dans le monde littéraire seulement. Or, ce n'est pas celui que Mgr Fliche avait directement en vue. Sans doute il entendait bien révéler aux hommes pui s'occupent d'histoire un monument qui ne sera pas consulté sans fruit par ceux qui voudront

1

bien connaître l'époque; mais prêtre catholique, il voulait offrir aux fidèles catholiques l'exemple authentique d'une de ces grandes vies chrétiennes qui sont toute une prédication. C'est là probablement ce qui a décidé la forme et les proportions de son livre. Aussi est-ce là cé dont le louent d'abord les prélats éminents auxquels il a dédié son travail, Mgr l'évêque de Poitiers et Mgr l'évêque d'Orléans, entre autres : «La lecture de ce livre, dit le premier, ne pourra qu'être profitable à la génération présente, en faisant revivre sous nos yeux tout ce que l'éducation des siècles chrétiens avait su mettre de grandeur dans les âmes et de force dans les caractères. >> « Il y a deux siècles, écrit le second, dans la belle lettre qui sert comme d'introduction à l'ouvrage, non-seulement la Visitation de Moulins, mais toute cette ville, la maison royale, la France entière, Rome et l'Italie étaient édifiées par l'éclat de cette pure vertu. Grâce à vous, mon cher ami, les mêmes grâces vont être offertes aux âmes de notre temps, à celles qui vivent dans le monde comme à celles qui en sont retirées... La forme que vous avez adoptée, dit Mgr Dupanloup dans un autre endroit de sa lettre, en touchant à la question que nous nous posions tout à l'heure, la forme que vous avez adoptée exclut, il est vrai, des vues d'ensemble et certaines considérations générales plus élevées sur le siècle où vécut la sainte femme que vous avez fait connaître ; mais elle permet à votre narration beaucoup plus de détails intimes, et met, en quelque sorte, le lecteur en communication journalière avec la vie et les sentiments de la grande âme que vous racontez. Vous laissez ordinairement parler les vieilles chroniques, avec leur style pieux et naïf; c'est un charme de plus. »

C'est ce que nous avons essayé de dire, et nous sommes heureux de nous trouver en conformité sur tous les points avec une autorité si haute.

P. DOUHAIRE.

QUINZAINE POLITIQUE

24 Septembre 1877.

On a beaucoup vanté le pouvoir que les idées exercent en France; on a volontiers représenté la France comme un peuple qui n'a de chevalerie que pour les principes, comme une race de philosophes qui se changent en preux ou en martyrs pour le triomphe d'une abstraction. Nous n'avons pas le loisir de demander aujourd'hui à l'histoire si tel est bien le génie de la France, c'est-à-dire si, dans sa marche impétueuse à travers les événements, elle suit les idées plutôt que les hommes. Au moins nous paraît-il juste et opportun d'affirmer, devant le spectacle de nos luttes présentes, que le gouvernement qu'on se plaît à nous dépeindre comme le plus propre à cette sorte d'idéalisme, comme le plus capable d'attacher la France aux principes, comme le mieux fait pour diminuer l'empire des grands hommes et soutenir toute une nation par la grandeur des idées, la République n'a nullement cette vertu parmi nous. Car il semblerait qu'en aucun temps la France n'ait plus prouvé qu'elle aime surtout à voir devant elle des bannières et des chefs. Est-ce dans la race on ne sait quel vif et constant besoin de personnifier les idées? Est-ce parce qu'après un siècle de fatigue et de ruine, où elle a épuisé l'un après l'autre l'autorité de tous les principes, la France, lasse et sceptique, en est venue à mettre sa foi dans les hommes plus que dans les idées? Est-ce parce que la République, qui livre tout, d'en haut jusqu'en bas, à la compétition des partis et à la dispute de l'élection, grandit fatalement les hommes qui aspirent à la gouverner et qui sont comme les prétendants de ses idées, prétendants dont elle peut élever chacun à la souveraineté ? Ce qui est sûr, c'est qu'en ce moment les hommes dominent bien les idées, dans la mêlée et dans le choc des masses qui vont se rencontrer, le 14 octobre, autour des urnes de la République. M. Thiers, que la mort emportait hier et dont l'ombre parle encore, dans son manifeste; M. Jules Grévy qui n'ose surgir et M. Gambetta qui n'ose tout entier paraître; le maréchal de Mac-Mahon qui reste et que nous voulons maintenir : voilà les noms qu'on s'oppose dans cette bataille. Or, à bien considérer les personnes, on a le droit de penser qu'aucun d'eux n'incarne en soi une doctrine nette et com

plète de gouvernement, mais qu'en chacun l'homme a plus de puissance que l'idée, aux yeux de la France.

On pouvait le dire de M. Thiers avec une certitude absolue. Car ce n'est pas la République qui donnait à M. Thiers sa valeur; c'est M. Thiers qui avait donné la sienne à la République. La France ne lui avait pas confié ses destinées en 1871, et elle ne les aurait pas mises une seconde fois entre ses mains, soit en 1877, soit en 1880, parce qu'elle avait vu rayonner au front de M. Thiers l'idée pure et lumineuse de la République : c'était simplement parce qu'elle apercevait en lui l'homme le plus apte, par la préparation de toute sa vie, à faire à notre pays et à se faire à lui-même une république nouvelle et particulière, qui ne fût ni celle dont l'histoire nous a laissé l'image, ni celle dont les théoriciens de la gauche ont conçu l'idéal. M. Thiers ne personnifiait pas le principe de la République, mais un genre de gouvernement républicain où sa personne avait la plus grande place et qu'il jugeait, avec une modestie dont les doctrinaires s'irritaient, la seule république praticable. Effacez le mot de <«< conservatrice, » qu'en guise d'attribut nécessaire, il avait imaginé de joindre à celui de république; anéantissez tous les mérites qu'il s'était acquis comme conservateur, pendant un demi-siècle, et que précisément M. Jules Grévy et M. Jules Simon ont oublié de célébrer sur sa tombe; supprimez tous les souvenirs, si peu républicains, qui le précédaient au pouvoir en 1871; ôtez à M. Thiers tout ce que l'homme, avec son expérience, avec son éloquence et son activité, avait de prestige personnel dans le gouvernement, quelle qu'en fût la Constitution; et jamais la France, à aucune date, n'aurait agréé la République avec M. Thiers. L'homme, au temps de sa présidence et depuis, avait beau être ou paraître plus ou moins républicain; aucune de ses doctrines n'était républicaine au fond; son éducation politique avait été toute monarchique; qu'il préconisât l'ordre ou la liberté, il n'avait rien que de conservateur, sinon dans ses moyens ou dans ses actes, du moins en ses principes: la France le sentait et le savait; et tout étonnée qu'elle pût être du mélange que le passé et le présent avaient opéré dans les idées de M. Thiers, cette personne si multiple et si variable la rassurait assez, par sa diversité même, pour qu'elle crût la République supportable avec lui. Voilà pourquoi la perte de M. Thiers est irréparable pour la gauche. La République avait été, trois ans, comme confondue avec la personnalité de M. Thiers: il l'avait absorbée en lui; il l'avait créée avec ses talents seuls et ses propres titres; et, malgré son association avec M. Gambetta, malgré sa vieillesse même, M. Thiers paraissait encore à la majorité de la nation l'homme qui pouvait le mieux, à défaut du maréchal de Mac-Mahon, gouverner la République en conservateur. Des

milliers de gens, peut-être des millions, se disaient en secret, à la pensée que le maréchal de Mac-Mahon pouvait disparaître soudain, soit frappé d'un coup de la mort, soit renversé par un coup de la gauche « Nous avons toujours M. Thiers! » Or il n'y a plus de recours : c'est M. Thiers que le coup de la mort a frappé, et la gauche peut-elle, sans lui, sans son art et surtout sans son nom, renverser le maréchal de Mac-Mahon?

:

:

M. Thiers à peine enseveli, un cri s'est échappé de toutes les lèvres : « Quel sera l'homme? Qui la République, si elle veut un autre président que le maréchal de Mac-Mahon, pourra-t-elle montrer à la France? » De toutes parts, en Europe comme chez nous, c'était la question. Et la gauche elle-même, bien qu'elle affectât d'être confiante au pouvoir miraculeux de l'idée républicaine, s'est hâtée de chercher cet homme, ce chef de ses partis, ce candidat de ses espérances mais ni ses Diogènes ni ses autres philosophes et sophistes ne l'ont encore trouvé dans Athènes, paraît-il. Les radicaux ont les premiers prononcé le nom de M. Jules Grévy il a eu l'honneur, sinon le bonheur, d'être désigné par M. Alfred Naquet comme le seul républicain qui put présider la République de manière à en abolir la présidence. D'autres, parmi eux, ont énuméré complaisamment les votes que M. Jules Grévy émettait, sous la République de 1848, en compagnie des doctrinaires les plus hardis ou les plus farouches de la Montagne : c'étaient des gages qui semblaient promettre au radicalisme la clémence de M. Jules Grévy. Leurs éloges le calomniaient, sans doute. Les républicains, il est vrai, s'unissaient promptement aux radicaux, pour patronner M. Jules Grévy : on assure que dans un conciliabule où, de tous les journalistes contemporains le plus tapageur, le plus spéculateur et le plus mobile, M. Emile de Girardin, avait apporté ses conseils et ses auspices si souvent néfastes, les républicains ont proclamé M. Jules Grévy successeur de M. Thiers; ce qui ne veut pas dire encore qu'il sera proclamé le successeur du maréchal de Mac-Mahon. Mais on raconte aussi que M. Jules Simon aurait souhaité pour lui-même le poste éminent d'où la mort a expulsé M. Thiers: or, qu'on s'en souvienne, M. Jules Simon excelle à saper le pouvoir dont il veut s'emparer, comme à dissoudre le pouvoir qu'il a conquis. Quant à M. Gambetta, on ne sait par quel respect tout spartiate des vieillards, il aurait préféré à M. Jules Grévy, qui est trop vert, les républicains les plus chargés d'ans et les plus proches du ciel, M. Crémieux, M. Senart, même M. Dufaure. Est-ce par un calcul habile de ces rivalités mystérieuses? Est-ce par l'incertitude de M. Jules Grévy? La place de M. Thiers est encore vide. Il semble que les 363 et M. Jules Grévy aient fini par décider qu'avant d'y installer

« PreviousContinue »