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arguments qu'elle demande à l'étranger avec si peu de scrupule patriotique, malgré la complicité qu'elle prête ainsi aux menaces qui pourraient troubler la sécurité de la France, notre pays est tranquille sur toutes ses frontières; et chaque jour qui s'écoule ajoute quelque chose à cette tranquillité, chaque jour nous la promet pour l'année entière. Notre neutralité continue de se garder avec une prudence habilement jalouse; nos relations sont amicales avec tous les peuples; hier, M. le duc Decazes et M. le vicomte de Meaux signaient un traité de commerce avec cette même Italie avec laquelle M. Gambetta se réjouirait de voir notre gouvernement se quereller. La France a donc plus que jamais l'espoir de demeurer paisible, pendant que ces orages de l'Orient envoient leurs noires nuées au ciel de l'Occident. Dieu aidant, et quoi que dise ou fasse la gauche, la sagesse des conservateurs, qui veulent si ardemment la paix intérieure, ne négligera aucun effort ni aucun sacrifice pour préserver jusqu'au bout la paix extérieure de la France.

Auguste BOUCHER.

L'un des gérants: JULES GERVAIS.

Paris. -E. DE SOYE et FILS, imprimeurs, place du Panthéon, S.

LE CONCORDAT DE 1801

ET M. DE TALLEYRAND

D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS'

Si l'on veut se rendre un compte exact de l'esprit du Concordat de 1801, des tendances qui ont présidé à sa négociation, des besoins pour la satisfaction desquels il a été rédigé, il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur l'état de la religion en France au début du Consulat.

Le temps est loin où, devant le cercueil de Condé, la voix de Bossuet se faisait entendre sous les voûtes de Notre-Dame, en face des drapeaux conquis par Luxembourg; cet autre temps aussi est passé où la comédienne Aubry demi-nue, sur l'autel de la métropole, encensée par un évêque en bonnet rouge et la pique à la main, recevait les adorations bachiques et philosophiques des sans-culottes et des tricoteuses.

Mais, pour être moins apparente, l'anarchie n'en était ni moins réelle ni moins profonde. Une désorganisation générale régnait partout; la plus scandaleuse indifférence était à l'ordre du jour; les lois de proscriptions envers l'Église catholique, qui ne répondaient plus aux mœurs de l'époque, tombaient en désuétude, et tandis que dans certaines parties de la France on détruisait encore officiellement les basiliques, dans d'autres, des temples, dus à l'initiative privée, s'élevaient spontanément et se remplissaient de fidèles. On envoyait encore les châsses d'or à la Monnaie, mais l'on publiait déjà de nouvelles éditions du bréviaire romain. Les églises appartenaient simultanément aux théophilanthropes qui les avaient décorées de

'Ces documents sont extraits en majeure partie des Archives des affaires étrangères. (Rome Années 1800 et 1801.) Nous nous sommes abstenu de reproduire les pièces publiées par M. d'Haussonville (l'Eglise Romaine et le Premier Empire), et par le P. Theiner dans son Histoire du Concordat.

N. SÉR. T. LXXII (CVIII DE LA COLLECT.). 2 LIV. 25 JUILLet 1877.

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leurs maximes ineptes, et aux constitutionnels qui laissaient flotter le drapeau rouge sur la chaire de la cathédrale. Les prêtres de La Révellière-Lepaux, et le clergé assermenté en avaient tour à tour la jouissance. Quant aux pasteurs légitimes, que l'on appelait les prêtres romains, ils possédaient seuls la confiance des catholiques, lesquels ne consentaient point à recevoir un curé constitutionnel, qui leur apportait le Saint-Viatique en uniforme de garde national. Les prêtres, soumis à la constitution civile du clergé, ne se souciaient pas d'ailleurs de faire une propagande active; ils avaient trop de peine à s'entendre entre eux, et ne laissaient pas de se méfier les uns des autres, depuis que, dans une réunion d'évêques de leur parti, on avait vu, à l'occasion d'un scrutin, cent treize suffrages exprimés sur soixante-sept votants.

Enfin l'on aura une idée précise des principes singuliers du gouvernement en matière de culte, en lisant la lettre suivante, écrite par le citoyen Portalis, au milieu même des négociations du Concordat:

LE CONSEILLER D'ÉTAT CHARGÉ DE TOUTES LES AFFAIRES CONCERNANT LES CULTES AU MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES.

Le 24 frimaire an X.

J'ai reçu, citoyen ministre, une pétition d'Isacarus Bethlemit, prélat du rit grec, qui expose que les services qu'il a rendus aux Français l'ayant obligé de quitter Rome, il a été dépouillé de ce qu'il possédait, et se trouve en France dans la plus grande détresse il demande à exercer dans les églises de Paris les fonctions de son ministère, et cette demande a pour but de se procurer par là des moyens de subsistance.

Dans un moment où l'exercice des cultes n'est soumis à aucun règlement, où la rivalité des prêtres donne souvent entre eux matière à des mécontentements, et à des réclamations, il serait sans doute imprudent de satisfaire les voeux du prélat Isacarus, et je pense que tout autre. moyen de lui procurer des ressources serait plus convenable; jusqu'à l'époque où les églises ayant des chefs connus il lui sera possible de s'entendre avec eux pour y exercer ses fonctions...

Signé PORTALIS.

Quelques mois plus tard, habillé de violet comme au quinzième siècle, siége en prince dans la vieille basilique ce personnage en autorité qui-dit: Nos très-chers frères, en parlant au peuple, et qui trône sous un dais, malgré la nuit du 4 août.

Lois du pays, droit du prince et droit des gens, propriétés,

monuments nationaux, coutumes civiles, appellations populaires, tout a disparu, tout a croulé sous nos pieds, tout a changé sous nos yeux, hormis la succession de l'épiscopat.

Ce rétablissement du pontife, cette reconnaissance officielle de l'Église, c'est l'œuvre du Concordat.

I

M. d'Haussonville croit que Talleyrand ne prit point de part aux négociations du Concordat: l'ancien évêque d'Autun y joua au contraire un rôle prépondérant. Cet éminent diplomate fit même tous ses efforts pour faire échouer l'œuvre de pacification; durant six mois il fit surgir des difficultés de toute nature; il n'épargna rien ou presque rien pour compromettre le succès des négociations, et, s'il partit pour les eaux avant la signature du traité, c'est qu'il se sentit impuissant à en suspendre la marche et à en retarder la conclusion.

Le premier consul vit dans le Concordat un bien politique; ce traité s'offrit à M. de Talleyrand comme un mal nécessaire. Les négociations qui durèrent neuf mois furent suivies en partie double, d'un côté, par l'abbé Bernier et Mgr Spina à Paris, de l'autre, par le ministre des relations extérieures Talleyrand et le cardinal Consalvi à Rome, sous le couvert du plénipotentiaire français auprès du Pape, M. Cacault. Napoléon voulait sincèrement le succès, mais il tenait à ce que l'on fit vite, et selon ses ordres. Bernier cherchait à retirer de cette grave affaire un chapeau de cardinal et, si possible était, l'archevêché de Paris ou son équivalent; Spina, pressé par Bernier, qui lui-même subissait l'influence de Talleyrand et de Bonaparte, ne savait comment accorder les exigences du cabinet de Paris avec les procédés solennels, circonspects et même un peu lents de sa cour. A Rome, le cardinal Consalvi, secrétaire d'Etat de Sa Sainteté, avait un intérêt majeur à conclure. Le Concordat qui donnait la paix religieuse à la France, affermissait dans les mains du Pape les Etats qu'on venait de lui rendre; il faisait présager un traité analogue pour l'Italie. Consalvi craignait toutefois de paraître trop faible envers cette République française, dont le défunt pape et le Sacré-Collége avaient eu tant à se plaindre. Notre ministre M. Cacault, placé entre les deux parties contractantes, faisait de son mieux pour qu'on se hâtât à Rome, pour qu'on prît patience à Paris. Son concours fut aussi précieux au chef de l'Eglise qu'à notre pays; il s'employa avec la meilleure foi du monde, non sans habileté et fit preuve d'un vrai tempérament diplomatique. D'ail

leurs, il y allait pour M. Cacault de sa réputation et de son avenir. Malgré les entraves que son chef hiérarchique apportait à la négociation et les malentendus qu'il suscitait, notre représentant à Rome était trop fin pour n'avoir pas su deviner la volonté du premier consul et pour n'ignorer pas que celui-ci ne pardonnait pas un échec.

Quant à Talleyrand, son rôle fut des plus équivoques; il avait ses raisons particulières pour manquer d'enthousiasme envers le culte catholique, il redoutait la rentrée en France de ses anciens confrères de l'épiscopat, témoins de son apostasie; il ne lui déplaisait point de prolonger la situation qui permettait à chacun de pêcher en eau trouble; bref, cet homme de la pacification, comme l'appelle Royer-Collard, s'ingénia, jusqu'au dernier jour de la discussion des articles, à faire naître la discorde.

Le 1er frimaire an IX, un rapport annoté de la main de Talleyrand, et signé de lui, fut adressé au premier consul par le département des relations extérieures.

Le ministre, « considérant la religion romaine dans ses rapports avec le gouvernement de la République » s'exprimait ainsi :

Le gouvernement vient d'accorder à la religion romaine un assez grand degré de tolérance, elle en jouit, ce me semble, d'une manière assez calme; mais cette disposition tient plus à l'espoir qu'elle a d'une tolérance plus étendue, qu'au sentiment direct de celle dont il lui est permis de jouir.

Il s'agit maintenant d'examiner qu'elle doit être l'étendue de la tolérance que les partisans de la religion romaine ont le droit d'attendre de la justice éclairée du gouvernement pour l'exercice de leur culte.

La religion romaine n'a rien de local, de partiel, de national, elle est universelle dans ses perspectives, dans les bases de son institution, dans la marche générale de son organisation intérieure. Cette considération qui, dans les temps où l'esprit humain était asservi et où les nations étaient plongées dans la barbarie, avait fait prendre aux chefs de cette religion un essor assez marqué vers la domination universelle, est précisément le motif qui doit prévenir l'établissement de toute espèce de domination de sa part, dans les lieux où elle est pratiquée; car comme elle prétend à un certain caractère d'uniformité et d'invariabilité, il faut qu'elle domine partout ou qu'elle ne domine nulle part.

On voit quel était l'esprit qui présidait au traité que l'on allait discuter; on peut aussi penser combien, chez un homme jaloux de son autorité autant que le premier consul, cette esquisse d'une

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