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dule. » Et elle exprima ses propres impressions avec l'éloquence communicative, abondante des grandes émotions.

Marthe resta étonnée. Jusque-là, en effet, son cœur avait été rempli par les douces affections de famille qui l'entouraient; elle n'avait pas encore soupçonné la passion; les soins de son grandpère avaient jalousement préservé sa pureté d'âme, à travers un système d'instruction sérieuse et complète. Marthe n'avait jamais lu de romans, et ce n'était que dans les tragédies classiques qu'elle avait entendu parler de belles flammes, de feux d'amour, de tourments du cœur.

Elle s'était imaginé de bonne foi que la passion ne s'exhalait qu'en alexandrins sonores, entre princes et princesses, d'un premier à un cinquième acte inclusivement. L'idée qu'elle inspirerait et ressentirait un jour de pareilles souffrances ne lui était jamais venue, ni ce soupçon que la passion pût s'exprimer autrement qu'en poésie et comme exercice littéraire. De là cette légèreté rieuse avec laquelle Marthe avait répondu la veille aux questions de son grandpère qui eussent pu déconcerter une jeune fille moins pure. De là également la clairvoyance malicieuse avec laquelle Marthe avait saisi les petits ridicules des hommes qui avaient demandé sa main. Libre d'esprit, le cœur non effleuré du moindre trouble, elle s'était jouée en enfant des réels regrets de quelques-uns, de la déception des autres. Elle n'avait compris du mariage que l'obligation de quitter son grand-père, d'être soumise et dévouée à un inconnu, et aucun de ceux qu'on lui avait présentés ne lui avait inspiré de faire un aussi grand sacrifice à un nouveau devoir.

Mais l'effusion de Fanchette éclairait pour Marthe tout un côté de l'existence qui était resté voilé devant elle jusque-là.

- Grand Dieu! s'écria-t-elle naïvement lorsque sa sœur de lait eut raconté les douleurs des séparations annuelles, ses longs et silencieux ennuis à Besançon et ses angoises récentes, comme je suis favorisée de n'avoir point passé par de telles épreuves! Miss Wilson, sont-elles inévitables, croyez-vous? Doit-on traverser cette crise comme l'on a la rougeole et la coqueluche dans son enfance?

Malgré son sérieux, miss Wilson ne put s'empêcher de rire de la mine soucieuse de son élève.

— Cette maladie est plus ou moins maligne, répondit-elle, suivant le traitement, et aussi la raison du patient. J'espère que Fanchette m'acceptera pour médecin, et ne vous inquiétera plus de ses accès, ma chère Marthe. D'ailleurs, ce mal ne se gagne pas, et à votre âge, peut-être est-il salutaire d'en voir un exemple: cela vous fera réfléchir sur bien des choses que vous avez trop prises en riant.

-Oh! je tremblerai désormais de la frayeur de me voir avec

une figure comme celle-ci, reprit Marthe en essuyant avec son mouchoir les joues baignées de larmes de Fanchette. Voyons, calme-toi, et tâche de rester avec nous; nous sommes tes amis, et te consolerons.

Merci, Mademoiselle, mais je suis toute consolée. Maintenant que je sais ce qui doit arriver, j'aurai du courage.

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Elle se figure dit Marthe à miss Wilson, qu'en dépit de tout le monde, le dénoùment sera à son gré. Je le voudrais, Fanchette, mais le moyen?

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Le moyen, je ne le connais pas, répondit Fanchette d'une conviction profonde, mais je suis sûre d'épouser Philibert. Le sort ne peut mentir.

Le sort?

Fanchette hésita à s'expliquer; mais elle s'était trop avancée, et devant des instances réitérées, elle dut faire taire les scrupules qui lui venaient tardivement.

- Vous allez vous moquer de moi, dit-elle; mais jamais le charme que j'ai fait n'a trompé personne. Il y a bien des exemples, je vous

assure.

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Attends! s'écria Marthe en riant. Tu faisais quelque sortilége quand je t'ai vue marcher à rebours, en écrevisse, tout le long de l'avenue. Ah? miss Wilson, vous avez bien perdu votre temps à donner des leçons à cette petite superstitieuse. Est-ce que vraiment... pardon, Fanchette... elle embrassa sa sœur de lait - est-ce que je deviendrai jamais aussi bête que toi?... Que je me moquerai de moi-même.

Fanchette ne fut pas humiliée par cette exclamation enjouée; le baiser surpayait le reproche; elle reprit, sans toutefois oser lever les yeux sur miss Wilson.

Vous savez qu'il y a bien des manières de consulter le sort sur le mari qu'on doit avoir. Par les rêves, par le souper de la Chandeleur...; mais il y en a une qui, entre toutes, est certaine, c'est le charme des neuf pois verts. Quand on défait des pois, on cherche une cosse qui en contienne neuf, et alors, tous les matins en se levant, après avoir fait sa prière, on s'en va à reculons jusqu'à la porte d'entrée de sa maison; on jette un pois par-dessus son épaule, et on rentre en courant sans regarder derrière soi. Puis, le neuvième jour, après avoir jeté le dernier pois et la cosse, on se retourne vers la rue, et l'on y aperçoit l'homme qui, bon gré, mal gré, doit être votre mari.

-Et aujourd'hui était donc le neuvième jour? demanda Marthe, puisque je t'ai trouvée la tête hors du portail et... mais quelqu'un passait en effet. Etait-ce donc?...

- Oui, Mademoiselle, c'était Philibert Treuil, s'écria Fanchette avec un accent de triomphe; et pourtant j'obéis à mon père, je ne lui parle plus. Il ne savait pas que je faisais un charme... Les hommes ne croient point à ces choses-là. S'il passait, c'est par hasard, ce qui veut dire parce que le sort le voulait ainsi. Vous avez vu qu'il ne s'est pas arrêté pour me parler, c'est un honnête garçon qui respecte les défenses de mon père.

Eclairée par tout ce que sa sœur de lait venait de lui conter des pénibles scènes qui s'étaient passées à la ferme depuis deux jours, Marthe comprit tout ce que Fanchette aurait à souffrir d'une espérance illusoire, et elle s'ingénia à la lui arracher; mais voyant que la foi de la jeune fille dans ce qu'elle appelait son charme était inébranlable, elle finit par lui dire :

- Je veux te prouver que ta magie blanche ne signifie rien du tout. Trouve-moi une cosse de pois à neuf grains, je ferai ton sortilège pour mon compte, et comme il n'y a pas de mari pour moi dans Gigny..., si mon dernier pois tombe sur le nez de quelque vieille mendiante, ou entre les deux oreilles d'un âne occupé à brouter les bas-côtés de la route, tu verras bien que ton charme est un leurre.

- Il y a des pois à l'office, je vous trouverai celui qu'il vous faut, bien que les pois à neuf grains soient assez rares, dit Fanchette contente de contrôler son épreuve par une tentative analogue. Vous verrez par vous-même ce qu'il en est. Il n'y a personne pour vous à Gigny, Mademoiselle, cela est sûr; mais il passe bien des étrangers sur la route...

- C'est cela... le prince Charmant de M. de la Prévière, répliqua Marthe qui pensa pour la première fois de la journée à l'hôte des Taillois et en sentit diminuée la belle humeur où la mettait l'idée de se mêler d'un petit sortilége. Au moins, gardons notre secret, continua-t-elle, car on se moquerait de nous, et grand-père serait capable de mettre en sentinelle le neuvième jour un nouvel épouseur. Si la force du charme allait m'obliger à le prendre contre mon gré!

S. BLANDY.

La fin prochainement..

L'INFLUENCE FRANÇAISE

PAR LES CONGREGATIONS RELIGIEUSES A L'ÉTRANGER

La lutte dix-huit fois séculaire des passions humaines contre le catholicisme vient de prendre chez nous des proportions nouvelles aux applaudissements des ennemis de la France. Commencée dans les clubs et dans la presse radicale, elle a bientôt envahi les conseils municipaux de nos grandes villes, pour s'élever de là jusqu'à la tribune de nos assemblées législatives. Une partie de nos représentants aurait voulu, du premier coup, mettre l'Eglise hors la loi. D'autres, plus habiles, ont concentré leurs efforts sur les congrégations religieuses, comme, dans un siége bien mené, on attaque d'abord les ouvrages avancés de la place. Ils ont proposé de faire périr de faim les congrégations en leur refusant tout droit de propriété, et, en même temps, de rendre leur recrutement impossible au moyen de certaines modifications à la loi de la conscription. Enfin le plus adroit, M. Guichard, un de ces modérés qui ont toujours si bien fait chez nous les affaires du parti révolutionnaire, s'est contenté de les dénoncer au pays comme un danger public. A sa demande, la Chambre des députés a décidé, le 27 novembre dernier, que le gouvernement ferait dresser un état complet du nombre des congrégations qui existent en France, de leur personnel et de leurs ressources.

Demandée dans un but purement hostile, cette enquête a été combattue par une partie des droites. Celui qui fait le bien ne craint pas la lumière, et le meilleur moyen de venger l'innocence calomniée est, selon nous, de lui ôter ses voiles. Nous aurions donc préféré que les conservateurs des deux assemblées se fussent associés à la gauche, en exigeant que l'enquête comprît avant tout les travaux des congrégations et les services de tout genre qu'elles rendent à la société.

Quelle que soit la teneur de cette enquête, elle aura un résultat certain celui de montrer d'abord que les congrégations sont des foyers d'instruction et de charité dont la France ne peut se passer;

ensuite d'établir que ces mêmes congrégations sont aujourd'hui la principale cause de notre influence à l'étranger. Nous allons essayer de montrer ce côté nouveau de la question. « Il n'y a là, dira-t-on, que prosélytisme religieux! » Sans doute, le prosélytisme religieux est la raison d'être des congrégations. Mais elles ne font nulle part un chrétien, sans donner en même temps un ami à la France. Nous verrons si le prosélytisme radical en fait autant.

Dans un intérêt purement patriotique, suivons donc nos congrégations à l'étranger, et spécialement dans le Levant. Faute de documents certains (et nous ne saurions en admettre d'autres), nous ne parlerons que d'un petit nombre. Mais toutes sont animées d'un même esprit et tendent au même but : l'intérêt religieux, doublé de l'intérêt national.

I

Malgré le cadre restreint que nous nous traçons, une question préalable s'impose ici : Pourquoi veut-on supprimer les congrégations?

En votant l'enquête, l'ancienne majorité a simplement obéi à une sommation de la presse radicale, depuis les Droits de l'homme et le Siècle qui ont donné le mouvement, jusqu'à la République française qui a craint de rester en arrière. Pour comprendre la portée d'une telle décision, il nous paraît nécessaire de résumer les allégations de nos radicaux contre les congrégations. Voici leurs principaux griefs:

Les congrégations font de la politique et combattent la République; Elles sont les ennemies de la liberté et de la société moderne; Elles se multiplient outre mesure et consomment sans produire; Elles reconnaissent un souverain étranger;

Elles font une concurrence ruineuse au travail libre.

Tout cela est bien vague; c'est, de plus, antilibéral et calomnieux. Apprécions ces griefs en peu de mots, puisque l'enquête officielle n'est pas appelée à le faire.

Sur le premier, il nous semble d'abord que le suffrage universel donne le droit et impose même le devoir à tout citoyen de s'occuper de politique. Les congréganistes seraient d'autant plus autorisés à user de ce droit, qu'ils sont toujours les premières victimes de nos révolutions. Et cependant, nous l'affirmons, si, comme citoyens, les congréganistes ont leurs opinions, comme corps, les congrégations s'interdisent absolument la politique qui divise, pour pratiquer la charité qui unit. Ainsi l'exigent et la mission et les règles de tout Institut religieux.

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