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AE 25 053 1873

v.5

Les lecteurs sont prévenus que tous les mots espacés dans le texte courant (par exemple Transsubstantiation, Immortalité, César) sont l'objet d'articles spéciaux dans le Dictionnaire, et constituent dès lors autant de renvois à consulter.

DICTIONNAIRE

DE

LA CONVERSATION

ET DE LA LECTURE.

CENTLIVRE (SUSANNAH), auteur dramatique célèbre en Angleterre.

Par une belle matinée d'automne, un jeune homme, monté sur un petit bidet, trottinait le long du grand chemin de Cambridge: c'était un étudiant de l'université, qui retournait à ses études après avoir passé ses vacances chez ses parents. Devant lui marchait une jeune fille, simplement vêtue, un petit chapeau de paille sur la tête, un panier au bras. Sa jolie tournure, sa démarche leste, donnèrent au jeune étudiant la curiosité d'apercevoir son visage, et il❘ mit son cheval au galop. La voyageuse, retournant la tête, montra une figure expressive, et se rangea tranquillement sur le bord de la route pour le laisser passer. Piqué de produire si peu d'effet, l'étudiant ralentit son allure, et s'approchant au pas de la jeune fille, il la regarda fixement; mais à ce regard du don Juan en herbe répondit sur-le-champ un autre regard, dédaigneusement moqueur, de la jeune fille. Un peu déconcerté de l'aventure, il piqua brusquement des deux, et galopa de nouveau jusqu'à un endroit de la route où la pluie avait formé une mare boueuse assez profonde et assez large pour qu'un piéton eût peine à la traverser. Là il attendit avec une joie maligne la sémillante voyageuse, pour jouir de son embarras. La pauvre enfant, arrivée sur le bord de la mare, s'arrêta, cherchant de l'œil un endroit guéable; n'en trouvant pas, elle se tourna vers le témoin de son anxiété, et lui jeta un regard de reproche. A ce regard, le jeune homme se sentit désarmé; il eut honte de sa malice, et, s'adressant à la jeune fille du ton le plus poli, il Jui offrit de sa prendre en croupe. Elle remit son panier à l'étudiant, et, s'aidant de la main qu'il lui tendait, elle s'élança légèrement derrière lui; il traversa la mare lentement et avec précaution, puis, pressant un peu le pas : « Maintenant, dit-il en riant à sa compagne, vous êtes en mon pouvoir, et il ne tiendrait qu'à moi de vous emmener où je Foudrais ? Essayez, dit-elle, mettez votre cheval au galop, et vous verrez si je ne saute pas à terre. » Le ton résolu qui accompagnait cette menace disait assez que celle qui la faisait était capable de l'exécuter. « Rassurez-vous, reprit le jeune homme, je n'ai nulle envie de vous contraindre; mais puisque nous allons du même côté, pourquoi ne ferions-nous pas route ensemble? - Cela ne se peut pas. Pourquoi? - Il est déjà tard, et je n'ai pas encore déjeûné ; il faut que je m'arrête. Qu'à cela ne tienne, je ne suis pas pressé, j'attendrai. » — Elle ne répondit pas, et lui, se hátant d'interpréter ce silence comme un consentement, après l'avoir aidée DICT. DE LA CONVERS.

T. V.

à descendre, la suivit jusque auprès de la haie, où elle s'assit. Là, tandis qu'elle tirait du panier ses petites provisions, lui, debout devant elle, la regardait faire. Tout à coup elle re leva la tête. « J'ai partagé votre monture, dit-elle en riant, voulez-vous partager mon déjeûner? » Il se hâta d'accepter, non qu'il eût faim, mais c'était un moyen d'avancer la connaissance. Après avoir attaché son cheval aux branches de la haie, il s'assit près de la jeune fille et prit sa part du frugal repas. L'entretien ne tarda pas à s'animer, et l'intimité alla grand train.

Le jeune homme se nommait Anthony Hammond; la jeune fille, Susanne Freemann; elle était née en 1667, à Holbeach, dans le comté de Lincoln; son père y possédait un bien considérable; mais, dissident zélé, il avait été obligé, à la restauration de Charles II, de se réfugier en Irlande, et tous ses biens avaient été confisqués. Sa mère, au moment de la mettre au monde, était restée seule dans un état de pauvreté, sinon de misère. Trois ans après, son père mourut. Elle n'en avait pas douze quand elle perdit sa mère. Dès son enfance, elle avait montré une disposition particulière pour la poésie, et composait à sept ans une chanson qui a mérité d'être conservée. Les mauvais traitements qu'elle reçut de ceux à qui son éducation fut confiée l'avaient engagée à s'enfuir, à quinze ans, et à se rendre à Londres, sans savoir ce qu'elle y deviendrait. Ce fut dans ces circonstances que, voyageant seule, à pied, elle rencontra le jeune Anthony Hammond, qui devait être un jour le père de l'auteur des Elégies d'Amour. Frappé de la jeunesse et de la beauté de Susanne, il lui offrit ses secours et lui proposa de l'accompagner à Cambridge, en prenant des habits d'homme. Elle voulait étudier, elle aussi, et, dans ce but, elle échangea son nom contre celui de Georges FREEMANN, qui était celui de son père.

Arrivés à Cambridge, Hammond conduisit sa jolie capture chez un baigneur, fit accommoder ses cheveux à l'unisson du costume qu'elle allait prendre, et lui prêta des habits qu'on arrangea facilement à sa taille, ce qui fit de l'éveillée petite fille le plus gentil et le plus drôle petit garçon du monde. Hammond, selon sa promesse, la présenta comme un jeune parent qui était venu passer quelque temps avec lui, pour voir l'université et se fortifier dans ses études. Susanne joua si bien son rôle qu'on n'eut d'abord ancun soupçon de la ruse, et son camarade, à sa grande joie, l'installa sans obstacle dans sa chambre. La liaison qui s'ensuivit est facile à supposer. Susanne cependant ne perdait pas de vue son

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projet : elle commença à étudier avec zèle; sans cesse elle persécutait Anthony pour lui donner des leçons dont il s'amusa quelque temps, et se fatigua ensuite. Mais l'opiniâtre Susanne ne se rebutait pas; outre les livres anglais de la bibliothèque d'Hammond, qu'elle lut avidement, elle étudiait le latin et le français, et, douée d'une prodigieuse mémoire, d'une intelligence peu commune, d'une persévérance infatigable, elle fit des progrès si rapides qu'elle étonna son maître et ne tarda pas à le surpasser. D'un autre côté, grâce à son déguisement, que personne ne soupçonnait, elle se trouva initiée à toutes les folies de la vie de garçon par les jeunes étudiants, qui la traitaient en camarade.

Ce train de choses durait depuis quelques mois. Hammond cependant devenait triste : tout était prétexte à son humeur. Tantôt il reprochait à Susanne cette rage d'étude dont elle était possédée, lui demandant avec une colère ironi. que si elle comptait se faire recevoir docteur à l'université; quant à lui, il avait les femmes savantes en borreur. Tantôt il se fâchait de sa familiarité avec les étudiants, du plaisir la licence de leurs entretiens. qu'elle paraisait prendre

Enfin la brouille éclata. Susanne se vanta d'avoir appris en
six mois ce qu'Anthony avait mis dix ans à savoir. Anthony
déclara à Susanne qu'elle ne pouvait rester davantage avec
lui, son long séjour à Cambridge commençant, disait-il, à
donner des soupçons. Il l'engagea à se rendre à Londres,
où il promettait d'aller bientôt la rejoindre. Là-dessus, il lui
donna une lettre de recommandation pour une dame de sa
connaissance, qui louait des chambres garnies, lui remit une
assez forte somme d'argent, le petit paquet qui contenait
ses habits de femme et l'accompagna jusqu'à la voiture qui
J'y serai au plus tard le
devait la conduire à Londres.
ter septembre, dit Anthony. - Je vous y attendrai jusqu'au 15,
répondit Susanne, et si alors vous n'êtes pas venu, nous
serons libres tons deux. Au revoir! dit Antony. - Au re-
voir! répéta Susanne; et pourtant je ne puis m'empêcher de
Elle
penser que c'est un adieu que nous nous disons là. »>
avait raison: on ignore quels motifs empêchèrent l'étudiant
de tenir sa promesse; mais elle ne le revit plus.

Son fâcheux début dans la vie ne l'empêcha pas d'épou
ser, à l'âge de seize ans, un neveu de sir Stephen Fox, qui
mourut au bout d'un an de mariage. L'esprit et les agré-
ments personnels de la jeune veuve ne tardèrent pas à lui
procurer un autre mari, nommé Carrol. Celui-ci, officier dans
l'armée, fut tué en duel dix-huit mois environ après l'avoir
épousée, et la laissa veuve pour la seconde fois. Il paralt
qu'elle avait un sincère attachement pour ce M. Carrol, et
que sa perte la plongea dans une profonde affliction. C'est
à cette époque qu'elle devint auteur dramatique, et qu'elle
y fut probablement contrainte, en partie, par les difficultés
de sa position. Ses premiers ouvrages furent publiés sous le
nom de Carrol. Elle s'essaya d'abord dans la tragédie par
une pièce intitulée L'Époux Parjure (The Parjured Hus-
band), qui fut représentée, avec un médiocre succès, à
Drury-Lane, en 1700, et publiée in-4° la même armée.
En 1703 elle fit paraître Le Duel d'un Beau, ou le Sol-
dat des dames (The Beau's Duel, or a Soldier for the
ladies), comédie, et Les Ruses de l'Amour (Love's Con-
trivances), qui n'est qu'une traduction de Molière. L'année
suivante elle donna une autre comédie : L'Héritière esca-
motée, ou le Docteur de Salamanque dupé ( The stolen
Heiress, or the Salamanca Doctor out-witted). En 1705,
sa pièce du Joueur ( The Gamester ) fut représentée à
Lincoln's Inn-Fields avec un très-grand succès, et elle a été
depuis reprise à Drury-Lane. Le plan est emprunté à la
comédie française de Destouches Le Dissipateur. Le pro-
logue fut écrit par Rowe.

Le penchant de Susanne pour la scène était si vif, qu'elle voulut s'y distinguer non-seulement comme auteur, mais comme actrice. Il est probable toutefois qu'elle n'eut pas un grand talent de comédienne, puisqu'elle ne se mon

tra sur aucun théâtre de la capitale. Cependant, en 1706,
elle joua à Windsor, où se trouvait la cour, le rôle d'A-
lexandre le Grand dans Les Reines Rivales, de Lee, et y
fit une si puissante impression sur le cœur d'un certain Jo-
seph Centlivre, premier maître-d'hôtel de la reine Anne,
qu'il l'épousa et vécut heureux avec elle.

Dans le cours de cette même année elle publia deux
comédies: La Table de Bassette (The Basset Table), et
L'Amour par aventure (Love at aventure). La dernière
fut représentée par la maison du duc de Grafton au nouveau
théâtre de Bath. Enfin, en 1708, son drame le plus célèbre,
The Busy Body (l'affairé, le brouillon, l'officieux mala-
droit), fut joué sur le théâtre de Drury-Lane. Il fut d'a-
bord si mal reçu des acteurs que longtemps aucun d'eux
ne voulut y accepter un rôle, et qu'on ne put en obtenir la
représentation que vers la fin de la saison. Wilks montra
un tel mépris pour le sien qu'il le jeta sur la scène pendant
une répétition, en déclarant « qu'il n'y avait pas de parterre
capable d'avaler une pareille drogue ». Cependant la pièce
fut accueillie avec de grands applaudissements par le pu-
blic, et elle est restée au répertoire. En 1711 l'auteur donna
ob-
également à Drury-Lane Marplot, ou la Suite de L'Affairé.
Cette comédie, quoique très-inférieure à la première,
tint également du succès; et le duc de Portland, auquel elle
était dédiée, fit à mistriss Centlivre un présent de quarante
guinées. Sa comédie : Un Coup hardi pour une femme
(A bold Stroke for a wife) fut représentée à Lincoln's Inn-
Fields, en 1717 : elle se fit aider dans cet ouvrage par Mott-
ley, qui écrivit une ou deux scènes. La pièce eut beaucoup
de vogue; on la joue encore assez souvent. Mistriss Cent-
livre a écrit plusieurs autres ouvrages dramatiques, entre
autres, The Wonder! a woman keeps a secret (La mer-
veille! une femme garde un secret), jouée en 1714. Son
compatriote d'Hèle tira de cette pièce le joli opéra de L'4-
mant jaloux, dont Grétry composa la musique.

Susanne Centlivre vécut dans l'intimité de la plupart des hommes distingués de son temps, dans celle, entre autres, de Steele, Rowe, Sewell, Farquhar, Budgell; mais, par malheur, elle encourut la colère de Pope en écrivant une ballade contre sa traduction d'Homère. Le poëte, irrité, s'en vengea en la faisant figurer dans sa Dunciade; cependant, aux dernières éditions il en effaça les traits les plus injurieux. Susanne mourut à Spring-Garden, Charing-Cross, le 1er décembre 1723.

Sa beauté était remarquable, son caractère porté à la bienveillance et capable d'amitié, sa conversation animée et attachante; on voit par ses ouvrages qu'elle entendait le français, le hollandais, l'espagnol, et qu'elle avait même quelque connaissance du latin. En 1761 ses œuvres dramatiques furent recueillies et publiées en 3 vol. in-12. Elle avait aussi composé un recueil de vers sur différents sujets, et des Lettres spirituelles, politiques, et morales, qui furent réunies et publiées par Boyer.

Les drames de Susanne Centlivre se distinguent plus par une intrigue amusante et bien nouée que par l'étude approfondie des mœurs et des caractères; le personnage de Marplot (The Busy Body), mélange de curiosité, de vanité officieuse et de maladresse sans méchanceté, est finement et spirituellement touché, mais ce n'est qu'une esquisse. Une fois pourtant elle s'éleva jusqu'à la vraie comédie dans la peinture du quaker Prim et de sa femme, de A bold Stroke for a wife. Ce n'est plus ici le type banal de ses personnages de comédie; il semble que quelque chose de plus que le talent ait guidé sa plume; ce ne sont point des créations, ce sont des portraits. En vain elle emprunte à Molière ce mouvement: Prenez-moi ce mou· choir, etc., son Tartufe à elle est si complet, qu'il ne vient pas à l'esprit qu'elle ait pu avoir d'autre modèle que la nature. Avec quelle haine vigoureuse, avec quelle impitoyable sagacité, ne poursuit-elle pas sous le masque religieux le vice sensuel et grossier. Il y a dans cette pièce des scènes

supérieures encore sous le rapport du talent dramatique, mais leur cynisme les rend impossibles à citer; chose singulière chez une femme, mais qui fait la critique du temps où elle vivait plus que la sienne, La licence qu'on reproche justement à Susanne Centlivre ne tient en effet ni au choix des sujets, qui n'ont rien d'immoral, ni à l'indézence des situations, qui n'approchent pas de celles de certains drames modernes, mais seulement à l'inconcevable grossièreté du langage, qui semble révéler une égale grossièreté de mœurs dans la société qui n'en était point choquée. Amable TASTU.

CENTON. Ce mot, signifiant habit fait de divers morceaux d'étoffe, vient du latin cento, dérivé du grec xévτpwv, qui est fait de xevτéw, je pique, à cause de la multitude de points d'aiguille qu'il fallait pour coudre tous ces morceaux. C'était le nom général par lequel les anciens désignaient toute étoffe, tout habillement faits de morceaux de diverses couleurs. Les soldats romains, dans les guerres de siége, se servaient de centons mouillés en guise de cuirasses, pour se préserver du feu et des traits de l'ennemi, comme depuis on s'est servi des gabions et des sacs à laine. On couvrait aussi les machines de guerre, les constructions mobiles, les galeries, et en général toutes les pièces d'approche et de siége, de peaux de bêtes fraîchement écorchées, que les au

Eneid., I. VI, v. 255. Ibid., l. 11, v. 694. Ibid., 1. v, v. 526. Ibid., I. VIII, v. 330. Georg., l. I, v. 416. Eneid., I. VII, v. 98. Ibid., I. XI, v. 333. Ibid, l. 111, v. 464. Ibid., l. IX, v. 639. Georg., l. 1, v. 418.

Eneid., I. VI, v. 16.

Įteurs appellent également centons. Il y avait dans les légions romaines des officiers, nommés centonaires, chargés d'en prendre soin.

Ce qui précède autoriserait à faire remonter aux temps les plus anciens le vêtement d'arlequin. Il en est déjà fait mention dans Apulée sous le nom de mimi centunculus (guenille de mime).

En passant du sens propre au figuré, le mot centon a été appliqué à une espèce de poëme composé en entier de vers ou de passages pris à droite et à gauche, soit dans un seul ouvrage, soit dans plusieurs, empruntés à un seul ou à divers auteurs. Ausone a donné des règles pour la composition des centons. Il n'est pas permis, suivant lui, de prendre au même auteur deux vers de suite, ni d'en prendre moins de la moitié. Virgile et Homère sont les deux poëtes qui ont été mis le plus fréquemment à contribution pour ces jeux d'esprit. Ausone, joignant l'exemple au précepte, avait faft de divers morceaux empruntés ainsi à Virgile un épithalame fort libre. Plus tard, sous le règne d'Honorius (an 379), Proba Falconia, femme du proconsul Adelfius; plus tard encore, Étienne de Pleurre, chanoine régulier de Saint-Victor de Paris, ont écrit la vie de Jésus-Christ en centons pris dans le même poëte. En voici un exemple, tiré de l'Adoration des mages: et seq.).

ADORATIO MAGORUM (Matth. c. II, v. 1,

Ecce autem, primi sub lumine solis et ortus,
Stella, facem ducens, multa cum luce cucurrit,
Signavitque viam [cœli in regione serena
Tum reges [credo quia sit divinitas illis
Ingenium, aut rerum fato prudentia major,
Externi veniunt, quæ cuique est copia, læti
Munera portantes, [molles sua thura Sabæi,
Dona dehinc auro gravia, [ myrrhaque madentes
Agnovere Deum, [ regem regumque parentem.
Mutavere vias, [perfectis ordine votis:
Insuetum per iter, [spatia in sua quisque recessit.

Les frères Capilupi ont fait aussi plusieurs poëmes latins en centons, et nous pourrions en citer une infinité d'autres, si cela en valait la peine.

On a donné, par extension, le nom de centon à un ouvrage composé de morceaux dérobés : les Politiques de Lipse ne sont que des centons, où il n'a guère ajouté que les conjonctions et les particules.

En musique, le centon est un opéra composé d'airs de plusieurs mattres. Les Italiens disent centone ou pasticcio. Dans le plain-chant, c'est un morceau de traits recueillis et arrangés pour la mélodie qu'on a en vue. De là le verbe centoniser, qui n'est pas de l'invention des symphonistes modernes. Saint Grégoire en effet est le premier qui ait centonisé en recueillant des chants épars pour en former son Antiphonier.

CENTRALE (République). Voyez Guatemala et CENTRO-AMÉRICAINS.

CENTRALES (Forces). On appelle ainsi, en physique, les forces ou puissances par lesquelles un corps mù tend vers un centre de mouvement ou s'en éloigne : ce qui partage ces forces en force centripète et force centrifuge. La théorie des forces centrales forme une partie considérable de la philosophie naturelle de Newton; elle a surtout occupé les mathématiciens, à cause de ses nombreuses applications dans la théorie de la pesanteur et autres branches des sciences physiques et mathématiques. Dans cette théorie on suppose que la matière est également indifférente au mouvement et au repos; qu'un corps en repos ne se meut jamais de lui-même; qu'un mobile ne change jamais de lui-même la vitesse ou la direction qu'il a reçue; enfin que tout corps mis en mouvement continuerait indéBaiment à suivre sa direction rectiligne, si quelque force

Eneid., I. VIII, v. 528. Georg., l. 1, v. 415.

Eneid., I. v, v. 100. Georg., l. 1, v. 37. Eneid, I. XII, v. 100. Ibid., I. VI, v. 765, Ibid., I. III, v. 548. Ibid., I. XII. v. 129.

ou résistance extérieure ne l'affectait point ou n'agissait point sur lui. Il suit de là que si un corps à l'état de repos tend toujours à se mouvoir, ou bien que si la vitesse d'un mouvement rectiligne est sans cesse accélérée ou retardée, ou encore que si la direction d'un mouvement est sans cesse changée, et qu'une ligne courbe se trouve ainsi décrite, on en conclut que ces diverses circonstances proviennent de l'influence de quelque force agissant incessamment; force qui peut être mesurée, dans le premier cas, par la pression du corps à l'état de repos contre l'obstacle qui l'empêche de se mouvoir, et, dans le second cas, par la vitesse gagnée ou perdue, et enfin, dans le troisième cas, par la courbure de la courbe décrite, en tenant compte du temps dans lequel les effets sont produits et d'autres circonstances encore, suivant les lois de la mécanique. Or, la force ou puissance de la pesanteur produit des effets de chacun de ces genres, que nous pouvons constamment observer près de la surface de la terre: car la même force qui rend des corps pesants lorsqu'ils sont à l'état de repos, accélère leur mouvement lorsqu'ils descendent perpendiculairement, et fait décrire une ligne courbe à ce mouvement, quand ils sont projetés dans une direction oblique à celle de leur pesanteur. C'est ce qui fait que les propriétés des forces centrales jouent un si grand rôle dans la théorie des mouvements planétaires. Le célèbre mathématicien hollandais Huygens est le premier qui se soit occupé des lois des forces centrales, et qui les ait découvertes; mais il se borna au seul cas où le corps en mouvement décrit une circonférence de cercle. Plus tard, d'autres savants démontrèrent les propositions d'Huygens, et Newton étendit la théorie des forces centrales à toutes les courbes possibles. Il démontra cette proposition fondamentale : Les aires décrites par le rayon mené d'un

centre immobile à un corps en révolution', dans un même plan immobile, sont proportionnelles au temps pendant lequel elles sont parcourues. De plus, il prouva que ce théorème de Kepler ne peut s'appliquer, quand un corps a une tendance, par sa gravité, vers un autre que ce seul et même point, comme la lune et tous les satellites nous en offrent l'exemple. Newton posa alors cette loi : Un corps sollicité par deux forces tendant constamment vers deux points fixes décrira, par les lignes tirées de ces deux points fixes, des solides égaux dans des temps égaux, autour de la ligne joignant ces deux points.

Pour démontrer les lois des forces centrales, le marquis de L'Hôpital commence par enseigner la manière de les comparer avec la pesanteur; mais, si on veut se contenter de les comparer entre elles, on peut raisonner d'après ce théorème que les forces centrales de deux corps sont entre elles comme les produits de leurs masses multipliées par les carrés de leurs vitesses, divisés par les rayons ou par les diamètres des cercles qu'ils décrivent. On demontre, d'après Newton, cette proposition, sans calcul, de la manière suivante La circonférence de tout cercle pouvant être regardée comme un polygone régulier, composé d'une infinité de côtés, il est évident que deux corps qui se meuvent dans des circonférences de cette espèce, semblables entre elles, frappent les angles des polygones avec des forces qui sont comme les produits de leurs masses par leurs vitesses. Or, dans un même temps ils rencontrent d'autant plus d'angles que leur mouvement est plus accéléré et que le cercle est d'un rayon plus petit donc le nombre des chocs dans un même temps est comme la vitesse divisée par le rayon; donc le produit du nombre des chocs par un seul choc, c'est-àdire par la force centrale, sera comme le produit de la masse multipliée par le carré de la vitesse, divisé par le rayon; donc si deux corps M, m, décrivent les circonférences C, c, de deux cercles, avec des vitesses V, v, pendant des temps T, t, et que les forces centrales de ces corps soient F,f, et les rayons des cercles qu'ils décrivent R, r, on aura cette proportion : MX V2 in X va

de plus, on a

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De là on tire un grand nombre de conclusions, telles que celle-ci Les forces centrales de deux corps de poids égaux, qui se meuvent dans des circonférences de cercies inégaux dans des temps égaux, sont entre elles comme les diamètres de ces cercles; etc.

CENTRALISATION. Un gouvernement est centralisé lorsque l'autorité supérieure n'y laisse rien à la décision de ses subordonnés, et se réserve même plusieurs détails de l'administration. Indépendamment des distances, de l'embarras et des pertes de temps qu'entraînent la correspondance et la multitude d'agents intermédiaires, cette manière de compliquer la machine, de la surcharger de rouages dont elle eût pu se passer, ne peut être économique ni conforme aux vœux et aux intérêts des gouvernés; elle leur fait sentir plus fréquemment l'action de l'autorité, impose plus d'obligations, rétrécit l'espace laissé aux mouvements spontanés. Tandis que les sujets demandent avec instance que l'autorité suprême se borne à la moindre somme de gouvernement, le pouvoir s'attache à tout réglementer, à étendre son action sur tout et partout. Il parvient ainsi, disent ses partisans, à établir dans la marchie des affaires une régularité que l'on n'eût jamais obtenue par d'autres moyens; mais afin d'apprécier cet avantage et de pouvoir

juger s'il n'est pas acheté à trop haut prix, citons quelques résultats de la centralisation administrative en France.

La commune de Méréville (Seine-et-Oise) ayant à faire des dépenses assez considérables pour son église paroissiale, sacrifia pour cet édifice la jouissance d'une belle promenade, dont les arbres furent abattus et vendus. Le prix de cette vente fut déposé, conformément aux ordonnances, dans la caisse des consignations, et n'en sortit point; il fallut que les habitants pourvussent par d'autres moyens à l'achèvement de leur église. Dans un autre département (celui de l'Oise), le toit de l'église de Bailleval était endommagé, et un devis très en règle portait les dépenses à une soixantaine de francs; mais il fallait que le préfet autorisat cette dépense : les papiers relatifs à cette affaire séjournèrent deux ans dans les cartons de la préfecture; la dégradation à réparer fit des progrès, et lorsque l'autorisation arriva, la dépense dut être portée à plus de quatre cents francs, et un nouveau devis fut nécessaire, ainsi qu'une nouvelle autorisation, qui heureusement ne se fit pas attendre aussi longtemps. Dans le même arrondissement, la petite commune de Moneville avait le plus urgent besoin d'un pont sur un ruisseau; un entrepreneur se chargeait de le construire, et la dépense s'élevait à la somme de quinze francs. Cette estimation parut sans doute suspecte au préfet ou à ses bureaux; car un expert fut envoyé sur les lieux, aux frais des habitants, et chargé de faire un rapport circonstancié. Il trouva le pont construit, car les cultivateurs ne pouvaient s'en passer; la dépense n'avait pas excédé la somme convenue, mais les frais d'expertise furent beaucoup plus considérables.

Ces faits recueillis autour de la capitale, et presque sous les yeux de l'autorité suprême, peuvent donner une idée assez juste des inconvénients qu'entraîne la centralisation, même lorsqu'elle est réduite à l'étendue d'un département : mais les abus les plus graves sont ceux qui proviennent de la concentration à Paris, dans les bureaux ministériels, d'une multitude d'affaires pour lesquelles on ne peut envoyer au loin des indications locales que l'on serait même fort embarrassé de rédiger d'une manière intelligible. Non-seulement l'autorité qui se charge exclusivement de ces sortes d'affaires ne peut être assez éclairée pour les traiter convenablement, ni assez promptement avertie pour ne pas exposer à de fâcheux retards des intérêts et des besoins pour lesquels il fallait une prompte décision; mais elle se prive encore elle-même, ainsi que les administrés, de la garantie qu'elle eût trouvée dans la responsabilité de ses subordonnés. Comme tous les actes émanent d'elle, c'est à elle aussi que les reproches sont légitimement adressés; mais comme ils ne sont ordinairement suivis d'aucun résultat, parce que nulle autorité ne peut venir à leur appui, toute responsabilité devient illusoire, et la source des abus ne peut être tarie. C'est ce que M. Ganilh a fait voir très-clairement dans son ouvrage intitulé: De la science des finances et du ministère de M. de Villèle. « La centralité, dit-il, est un moyen de couvrir les abus, de les sanctionner, de les légitimer. Comme ils dérivent, soit par erreur, soit par surprise, soit par prévention ou préjugé, du pouvoir suprême, de qui tout émane, il n'existe point de contrôle qui puisse les dévoiler, point d'autorité qui puisse les réprimer. Ses agents, ses subordonnés, qui seuls pourraient l'éclairer, se taisent par prudence, et trop souvent ils approuvent ce qu'ils devraient blåmer. Que de vertu il leur faudrait pour faire céder l'intérêt de leur place ou de leur avancement au sentiment de leur devoir! Quand l'action administrative part du degré supérieur pour descendre par échelons jusqu'aux administrés, tout redressement devient impossible; car on ne peut l'attendre que d'un pouvoir supérieur. »

La centralisation administrative est un fléau dont le gouvernement impérial affligea la France, et dont la restauration n'eut garde de la délivrer Napoléon l'introduisit pour

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