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N°. VI.

III. été de décrire, par toutes ces façons de parler, l'état du Jufte, comme juste, CLAS. & de donner aux fideles cette importante inftruction, que la justice chrétienne ne peut compâtir avec ces fortes de péchés, qui font que le S. Ef prit fort d'une ame, & que le diable s'en empare. C'eft pourquoi il ajoute, comme une chose inféparable du foin de fe conferver pur, & le malin efprit ne le touche point, pour nous marquer que le fidele évite par-là ce qui le feroit retomber fous la domination du malin efprit. Or comment pourroit-on parler ainfi de celui qui commettroit les plus grands crimes? Eft-ce fe bien garder foi-même, & se bien conferver pur, que de se faire à foi-même des plaies mortelles? Et eft - ce par autre chofe que par les crimes, que le diable se met en poffeffion des ames? Jefus Chrift nous avertit dans l'Evangile, que l'efprit impur étant forti d'un homme, il s'efforce d'y rentrer; que, pour cela, il prend avec foi fept autres efprits plus méchants que lui, qu'entrant dans cette maison, ils y habitent, qu'alors le dernier état de cet homme eft pire que le premier. Or quand croirons-nous que cela arrive, s'il est vrai, comme le prétendent les Calviniftes, que lorsqu'un homme a été une fois délivré de l'empire du démon par la grace de Jefus Christ, il peut enfuite fe laiffer vaincre à fes plus criminelles tentations, en s'abandonnant à l'efprit d'impureté, jufques à commettre des adulteres; ou à l'efprit de vengeance ou d'un faux honneur, jufques à répandre le sang de fon frere, fans donner aucune prise fur foi au démon, & fans même qu'on puiffe dire, que l'efprit malin l'ait touché? Sur quoi eft-ce donc que les Peres ont principalement fondé la néceffité d'une longue & laborieufe pénitence pour les péchés mortels commis après le Baptême ? N'eft-ce pas, Tertull.de comme dit Tertullien, fur Poutrage que nous faifons à Dieu, lorsqu'après Pœnit.c.s. avoir renoncé au diable, & l'avoir fait céder à Dieu, dont il eft l'ennemi nous redevenons fa joie & fon trophée, & faifons que cet efprit malin, ayant recouvré la proie qu'il avoit perdue, triomphe en quelque façon de Dieu même? Or tout cela feroit faux, & l'Eglife auroit pris une erreur contre la foi, pour le fondement d'un des plus importants points de fa discipline s'il falloit entendre S. Jean comme l'entendent les Calviniftes, & croire avec eux, que celui qui eft né de Dieu eft hors des atteintes du diable, & que le diable ne le touche point, bien loin qu'il puiffe jamais retomber fous fa puiffance, quelques péchés qu'il commette, idolâtrie, parjure, homici de; &, pour me fervir des paroles de S. Cyprien, qui donneront encore plus d'horreur de ce que ces nouveaux Docteurs veulent allier avec la puCyprian. reté de l'efprit de Dieu; Licet matrimonii expugnator alieni, vel lupanar Ep. 52. ad ingreffus ad cloacam & canofam voraginem vulgi fanctificatum corpus & Dei templum detestabili colluvione violaverit.

Antonia

num.

Mais, comme il n'y a rien de plus contraire à la piété que cette penfée,

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III.

ce qui feul en doit faire connoître la fauffeté; il faut néceffairement donner un autre fens aux paroles de S. Jean, & les entendre comme nous avons CLA S. déja dit, felon cette façon de parler très-ordinaire, qui fait dire d'une chofe N°. VL confidérée felon un certain état, qu'elle n'eft & ne peut être que d'une telle maniere, quoiqu'abfolument elle puiffe être autrement; parce qu'elle peut changer d'état.

CHAPITRE VII.

La même explication confirmée par toute la fuite du difcours de S. Jean & par d'autres paffages femblables de l'Ecriture de S. Augustin.

Tout

Out ce qu'on peut alléguer de plus fpécieux contre cette interprétation, c'est que S. Jean ne nous auroit pas découvert un grand mystere puifque ce feroit à peu près la même chofe, que s'il avoit dit, que la justice ne peut être injufte, ni la chasteté impudique.

Mais il faut n'avoir guere de connoiffance du but de l'Ecriture pour ne fe pas moquer d'une telle objection. Car le S. Efprit n'a pas eu pour fin de nous y entretenir de fpéculations fubtiles, fur-tout pour ce qui regarde la morale, mais de nous inltruire de ce qui eft plus important pour notre falut, en nous fortifiant contre les erreurs que l'amour propre nous pouvoit faire plus facilement recevoir. Or il n'y en a point de plus pernicieuse, & que la corruption de notre cœur nous portât plus facilement à embraffer, que celle des premiers hérétiques de l'Eglife, qui ont voulu perfuader aux Chrétiens, qu'ils pouvoient conferver la qualité d'enfants de Dieu, & le droit à fon héritage, s'abandonnant à toutes fortes de déréglements. Ce que dit S. Jean étant pris dans le fens des Catholiques détruit nettement cette impiété ; au lieu qu'il ne peut fervir, felon que les Calvinistes l'entendent, qu'à la confirmer, ou à la renouveller avec quelque déguisement de peu d'importance. Car y a-t-il grande différence, du moins pour ce qui eft de lâcher la bride aux pécheurs, de leur dire, que, quand ils fe laifferont aller à leurs paffions criminelles, Dieu ne s'en tiendra point offenfé; ou de leur avouer de parole, qu'il s'en tiendra offenté, mais que ce ne fera pas de telle forte qu'il ne les regarde toujours comme fes enfants bien-aimés, à qui le falut est assuré ?

C'est donc une fauffe fpiritualité, que de ne fe pas contenter d'avoir trouvé, dans la propofition de S. Jean, de quoi combattre une fi damnable héréfie, & de vouloir qu'il ne foit pas digne d'un Apôtre d'enfeigner cette vérité; au lieu que les Peres remarquent, que ç'a été le def

III. fein des quatre Apôtres qui ont écrit depuis S. Paul, & qu'ils ont pris un CLA S. foin particulier d'empêcher que les fideles ne fuffent féduits par les disciNo. VI. ples de Simon le Magicien qui tâchoient de leur perfuader, que la foi feule peut rendre agréable à Dieu, fans qu'il foit befoin d'y joindre de bonnes oper. cap. œuvres, & une pureté de vie digne de la fainteté du Chriftianifme.

Aug. de fide &

14.

Aulli est-il aisé de juger par toute la fuite de l'Epître de S. Jean, que ç'a été-là une de ses principales vues: car, dès le 1. ch. il dit: Que, pour avoir fociété avec Dieu, il faut que nous marchions dans la lumiere, comme il est lui-même dans la lumiere: par où il entend une vie pure, exempte de défordre, & éclatante de la lumiere des bonnes œuvres. Et dans le 2; que, ce qui nous peut affurer que nous connoissons Dieu véritablement eft l'obfervation de fes commandements: Que celui qui dit qu'il le connoit, & qui ne garde pas fes commandements, est un menteur, & que la vérité n'eft point en lui: Que fi quelqu'un garde fa parole, l'amour de Dieu eft vraiment parfait en lui: Que c'est par-là que nous connoissons que nous fommes en lui; & que celui qui dit, qu'il demeure en Jefus Chrift doit marcher comme Jefus Chrift a marché. Et dans le 3; après nous avoir fait confidérer quel amour le Pere nous a témoigné, de vouloir que nous Soyons appellés fes enfants; & nous avoir fortifiés par cette efpérance; Que lorfque Jefus Chrift fe montrera dans fa gloire nous ferons femblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est, il ajoute: Et quiconque a cette espérance en lui fe conferve pur, comme il est lui-même pur. Tout homme qui commet un péché, commet auffi une infraction de la loi; car le péché est une infraction de la loi. Par où il femble que S. Jean a voulu prévenir la pensée de ceux qui euffent pu regarder comme des péchés peu confidérables, les actions qui n'étoient point alors défendues par les loix humaines; comme plufieurs péchés d'impureté, en les avertissant qu'on ne les pouvoit commettre fans violer la loi de Dieu. Vous favez, ajoute-t-il encore, qu'il a paru dans le monde pour abolir nos péchés, & qu'il n'y a point en lui de péché. Quiconque demeure en lui ne peche point ; &quiconque peche ne l'a point vu, & ne l'a point connu. Mes petits enfants, que perfonne ne vous féduife. Celui qui fait les œuvres de juftice eft jufte, comme Jefus Christ est jufte. Celui qui commet le péché est enfant du diable, parce que le diable peche dès le commencement. Le fils de Dieu eft venu au monde pour détruire les œuvres du diable. Quiconque eft né de Dieu ne commet point de péché; parce que la femence de Dieu demeure en lui, & il ne peut pécher, parce qu'il est né de Dieu. C'est en cela que l'on connoit ceux qui font enfants de Dieu, & ceux qui font enfants du diable. Tout homme qui ne fait point les œuvres de Dieu n'eft point de Dieu, non plus que celui qui n'aime point fon frere.

Ces

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Ces deux derniers verfets nous apprennent, que le deffein de S. Jean, III. dans tout ce difcours, a été de détromper les Chrétiens de cette fauffe CLA.S. perfuafion, que les hérétiques de ce temps-là leur vouloient inspirer, qu'ils N°. VL puffent demeurer en Dieu, & être enfants de Dieu en commettant les pé

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chés qui rendent ceux qui les commettent enfants du diable. C'est comme fi on difoit, qu'un homme, qui eft fain de corps, & d'efprit, ne fauroit prendre ses meilleurs amis pour des ennemis qui le veulent égorger, ni s'imaginer qu'il a la tête de verre, ou qu'il eft Roi de tout le monde. Cela ne voudroit pas dire que celui qui auroit de femblables rêveries n'auroit jamais été que fou; ou qu'un homme fage ne pût jamais venir à avoir l'efprit renversé, jufqu'à s'y mettre ces rêveries; mais cela voudroit dire feulement, que, tant qu'un homme n'a point perdu l'efprit, il n'est point capable de ces folies, & que, s'il s'y laifoit aller, ce feroit un figne manifefte qu'il l'auroit perdu. S. Jean a cru qu'il étoit important de nous marquer qu'il en eft de même de la fanté de l'ame, qui confifte dans la charité, par laquelle nous fommes enfants de Dieu: que, tant qu'on la conferve, on ne tombe point dans les déréglements qui fuppofent que l'amour de Dieu n'eft point dominant dans le coeur, tels que font les péchés, qua non committit, comme dit S. Auguftin, omnis bona fidei Aug.Serm. ime & bona Spei Christianus. Ce qui fait dire encore à ce Pere: Ubi charitas 20 de eft, opera illa mala à regno Dei feparantia effe non poffunt. Qu'ainfi il re Apoft. s'y faut pas tromper. Nemo vos feducat. Que ce n'est point par les dif- Hom. 50. cours, mais par les œuvrés, que l'on difcerne les enfants de Dieu des enfants du diable. Que ceux qui pechent en violant ouvertement la loi de Dieu où la charité, foit en profanant le nom de Dieu, foit en faifant injure au prochain, foit en corrompant en foi-même le Temple du S. Efprit, ne peuvent plus être regardés en cet état comme des enfants de Dieu, quoiqu'ils le fuffent auparavant; parce que le propre des enfants de Dieu eft de faire les oeuvres de juftice, & non ces fortes de péchés, qui font les oeuvres du diable.

Verb.

a c. 3.

Voilà tout ce que S. Jean nous enfeigne; & cela eft tellement lié avec la fuite de fon difcours, que les Calviniftes font obligés de retomber euxmêmes dans ce fens, quand on leur montre que leur interprétation eft contraire au deffein qu'a l'Apôtre en cet endroit-là, qui eft, de détourner les Chrétiens du péché. Car les Remontrants leur ayant objecté, que, dans le fens qu'ils donnent aux paroles de S. Jean, c'eft comme s'ils lui faifoient dire: (a) Ne peccate, quia non potestis peccare: Gardez-vous bien

cumque peccata, quamlibet fceleratè ac fla-
gitiofè à Filiis Dei committantur, illis impu
tari non poffunt pro peccatis.

(a) Amefius contra Remonftr. p. 364. Senfum abfurdum facere dicunt (Ne peccate quia non poteftis peccare) illud etiam incommodum fecum trahentem, quod quæEcrits contre les Proteftants. Tom. XIII.

Oo

III.

de pécher, parce que vous ne pouvez pécher; & qu'il s'enfuivroit de-là, CLAS. que tous les péchés que commettroient les enfants de Dieu, quelque N. VI. enormes & quelque atroces qu'ils puffent être, ne leur pourroient être imputés pour péchés: ils font fi embarraffés de cet argument, qu'ils n'y peuvent répondre (ans fe rapprocher de l'interprétation des Catholiques, & ruiner leurs propres maximes (b), Ils corrompent, difent-ils, notre explication Selon laquelle Apôtre fait cette exhortation aux Chrétiens: Prenez garde, mes freres, de ne vous adonner pas au péché: Que fi quelqu'un le fait, que néanmoins il fe croie né de Dieu, il fe trompe miférablement; car celui qui eft né de Dieu, n'a pas accoutumé de faire cela, & il ne peut pas même arriver qu'il le faffe.

༣ (༩

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On voit par-là, que, lorsqu'on les presse, ils font contraints d'avouer que le deflein de S. Jean eft de détourner les fideles du péché, en prenant pour motif de l'exhortation qu'il leur fait, l'incompatibilité du péché avec la grace de la régénération, Mais cette exhortation, conçue en ces termes, n'eft qu'une illufion dans leurs principes.

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Cár 1. croyant, comme ils font que nul n'est enfant de Dieu qui ne foit affuré de l'être éternellement, fans pouvoir jamais perdre cette qualité pa par aucun péché, c'eft leur, youloir faire peur d'une chofe qu'ils favent être impoffible, que de leur faire appréhender de commettre des péchés Y qui les obligeroient de croire qu'ils ne font pas enfants de Dieu. C'eft comme me fi l'on difait à un homme; prenez garde de ne pas faire d'actions brutales; car fi vous en faites, & que vous croyiez avoir une ame raifonnable & immortelle, vous vous tromperez,

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Et en fecond lieu, ils fe moquent de nous, ou d'eux-mêmes, quand ils difent, que c'est une marque certaine qu'on n'est pas, e enfant de Dieu quand on s'adonne au péché. Si quis peccatis indulgeat & natum fe tamen ex Deo putet, feipfum planè decipit, Cela eft fi faux dans leur doctrine, qu'il faut renverfer cette propofition pour l'y rendre véritable; puifque tout Calvinifte qui s'eft une fois perfuadé qu'il eft vraiment fidele, (comme ceux qu'ils prennent pour de vrais Chrétiens, fe le doivent tous perfuader dans quelques péchés que la tentation l'emporte enfuite, il fe doit dire à foi-même, pour ne pas entrer en défiance de fon falut; Quoique je m'adonne maintenant au péché, mes paffions m'y entraínant avec force etfi peccatis indulgeám, je me tromperois moi-même, fi je croyois pour cela n'être pas enfant de Dieu. Et, en effet, n'eft-ce point s'adonner au péché, & faire ce que fignifie en latin peccatis indulgere, que de mener

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(b) Ibid. Sed 1o, pervertunt noftram exhortationem. Cavete, fratres, ne peccatis indulgeatis. Quod fi quis faciat, & natum fe tamen ex Deo putet, feipfum plané decipit Qui enim natus eft ex Deo non ita facere folet, nec quidem fieri poteft ut fic faciat..

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