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Mais que de là même il suit que ces jugemens et ces interdictions conservent leur force et leurs effets jusqu'à la mesure des défenses permises par ce même article;

» Qu'en effet, ces interdictions et ces jugemens n'étant annulés par aucune loi, et n'étant que modifiés par le Code, on ne pourrait les priver de cette force et de ces effets, qu'en les mettant au néant; ce qu'on ne pourrait faire sans commettre un excès de pouvoir, en prononçant une nullité qu'aucune loi ne prononce, et en étendant la modification au-delà de ses bornes, sans violer l'art. 514 qui exige pour la levée de l'interdiction les mêmes formalités que pour la prononciation; et enfin sans priver arbitrairement les interdits d'un secours et d'une garantie que l'humanité réclame pour eux, que la loi leur accorde, et que ces jugemens leur assurent ;

» Qu'il n'y a, dans l'arrêt de la cour, du 20 mai 1806, rien qui ne soit conforme à ces principes; qu'il juge seulement que le Code ayant rendu aux interdits l'exercice des actions, c'est à eux qu'il appartient de les exercer personnellement avec l'assistance d'un conseil, et que les curateurs ne peuvent plus les exercer seuls, en leur nom,en leur absence et à leur insu; mais qu'avoir jugé ce défaut de qualité des curateurs, n'est pas avoir jugé le retour des interdits pour cause de prodigalité, à une capacité absolue ;

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» Attendu enfin, que de là il résulte qu'en jugeant que le sieur de Roisin n'a pas recouvré, par l'effet des nouvelles lois, la plénitude des droits dont il a été privé par la sentence d'interdiction provisoire du 30 août 1792, et que cette sentence n'a pas pris fin, l'arrêt n'a violé aucune loi, et s'est conformé aux règles de la matière ;

>> La cour rejette le pourvoi.... ».

V. Les observations que je fais sur cet arrêt, dans le Répertoire de jurisprudence, aux nots Effet rétroactif, sect. 3, §. 2, art. 10.

§.II.Autres questions sur cette matière. V. les article Interdiction et Tableau des interdits.

PROFESSION MONASTIQUE. V. les articles Mariage, §. 5, et Légitime, §. 9.

PROHIBITION, CLAUSE PROHIBITIVE. Y-a-il quelque différence, dans les lois, entre les dispositions qui prohibent certains actes, et celles qui disent simplement que ces ac· tes ne peuvent pas être faits, soit en général, soit dans des cas déterminés, soit par telles personnnes?

V. l'article Nullité, §. 1, no 2.

PROPRE. Quoique la distinction des Propres et des acquêts ait été abolie par la loi du 17 nivôse an 2, et que l'art. 742 du Code civil en ait maintenu l'abolition, elle ne laisse pas de donner encore lieu à des contestations jour nalières, dont l'objet est de déterminer quels sont, dans les successions ouvertes pendant qu'elle était en vigueur, les droits respectifs des héritiers des différentes espèces de biens.

C'est ce qui me détermine à ajouter ici quelques questions à celles que j'ai traitées, sur cette matière, dans le Répertoire de jurisprudence.

§. I. Avant la loi du 17 nivóse an 2, les biens que le défunt avait recueillis comme dernier appelé à une substitution fideicommissaire fondée par un parent collatéral, devaient-ils, dans la coutume du chef-lieu de Mons, se partager, dans sa succession, comme Propres, ou comme acquéts?

V. le plaidoyer et l'arrêt du 21 germinal an 9, rapportés à l'article Condition de manbournie, §. 1.

§. II. Lorsque, près d'être dépouillé d'un bien qui lui était Propre, un homme parvenait à s'y faire maintenir, soit par un nouveau titre, soit autrement, ce bien conservait-il dans ses mains son ancienne qualité, ou devenait-il acquét?

Cette question peut se présenter dans une foule de circonstances; et dans toutes elle semble devoir se résoudre de même, parceque, dans toutes, il est vrai de dire que le proprié taire auquel on laisse son bien, ne prend pas son titre dans la confirmation, mais conserve celui qu'il avait auparavant, et qu'il acquiert moins qu'il n'empêche un autre de le dépouiller.

Il est impossible d'attribuer un autre effet à la confirmation : dans la propriété, il n'y a ni plus ni moins; comment donc pourrait-on donner à un homme la propriété qui déjà est à lui? Il y a à la fois répugnance dans l'idée et contradiction dans les termes. Supposons qu'après avoir vendu mon domaine à quelqu'un,je le lui vend une seconde fois : si le premier acte n'est pas anéanti, ma seconde vente ne sera pas son titre; la première ne cessera pas de l'être, et ce qui serait un titre pour un autre, n'en deviendra pas un pour lui. On en induira bien une ratification, une confirmation de l'ancien traité, mais non pas une seconde translation de la propriété déjà transférée.

Les vérités mathématiques ne sont pas plus claires que celles-là. Entrons dans le détail des cas auxquels on doit les appliquer.

I. Un homme abandonne ses biens propres à ses créanciers ; il n'en perd pas la propriété; c'est un mandat pour vendre, et rien de plus. Les droits de mutation ne sont pas dus; la propriété reste au cédant (1). Les créanciers font vendre ; le débiteur se rend adjudicataire : par là, il n'acquiert point; il conserve la propriété qu'il n'a pas perdue; et en payant le prix de l'adjudication, il continue de posséder les biens au titre qu'il les possédait déjà, Propres s'ils étaient Propres; acquêts, s'ils étaient acquêts. Ainsi le décide Valin, sur la Coutume de la Rochelle, art. 3, no 122.

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II. Un tiers-détenteur est assigné en déclaration d'hypothèque. Il délaisse, se repent, et veut se ressaisir de ses biens; pour cela, il paie ; la propriété n'a pas été perdue par le délaissement; il n'a besoin d'aucun nouveau titre ; l'ancien subsiste et reprend son effet à l'instant où les créanciers sont satisfaits. Le délaissement par hypothèque, dit Loyseau, est un acte sujet à repentance.

III. De même, si, sur le délaissement, un curateur est nommé ; si, sur le curateur, une saisie réelle est poursuivie; si, sur la saisie réelle, l'ancien propriétaire obtient l'adjudication, ce n'est pas un second titre ; il n'est point dû de droits nouveaux ; il n'y a point d'interversion dans la nature du bien; le premier titre est confirmé : voilà tout.

IV.Un débiteur est saisi; l'argent lui manque; arrive le décret qui va l'exproprier: en ce moment, il trouve des ressources ines pérées, et se rend adjudicataire. Il est comme s'il n'avait pas été dépouillé, parcequ'il ne l'a pas été en effet,ni la saisie ni le bail judiciaire ne lui ont enlevé sa propriété ; l'adjudication seule aurait pu l'en priver, mais ce n'est qu'autant qu'elle eût été faite à un étranger. Faite à lui même, comment pourrait-elle la lui ôter? Elle ne peut, ni la lui donner, car il l'avait ; ni la lui ravir, car elle est faite à lui-même. Ainsi, l'adjudication la lui laisse telle qu'il la possédait ; et ce qui serait un titre de propriété pour un autre à qui elle celui à qui elle n'appartiendrait pas, n'est pour appartient, que la suppression d'un obstacle, remotio obstaculi. Elle ne donne rien, elle confirme; donner à quelqu'un ce qu'il a déjà, ce

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n'est pas donner, c'est confirmer : qui confirmat nihil dat.

Le parlement de Paris a rendu, le 5 septembre 1783, un arrêt qui pourrait paraître contraire à cette doctrine,et dont, par cette raison, il faut rapporter l'espèce.

Charles de Meaussé avait vu, en 1740, tous ses biens saisis réellement à la requête du sieur Lenormand, l'un de ses créanciers. Pendant que la saisie réelle se poursuivait, il a fait à ses enfans, le 12 avril 1743, une donation entrevifs en avancement d'hoirie de la terre de Pineau, située en Anjou, à la charge de payer une partie de ses dettes exprimées et déléguées dans l'acte.

Par arrêt de la cour des aides de Paris, des 28 mai et 18 juin 1743, cet acte a été homologué avec un très-grand nombre de créanciers.

Mais le sieur Lenormand s'est opposé à ce qu'il fût exécuté ; et après les formalités ordinaires, il a fait procéder à l'adjudication des biens saisis.

Le 22 août 1748, les enfans eux-mêmes se sont rendus adjudicataires des biens qui leur avaient été donnés en 1743.

La demoiselle de Meaussé, la dernière de ces enfans, étant morte le 31 janvier 1781, il s'est agi de régler sa succession.

Sa plus proche parente était la dame de Saint-Port, cousine germaine maternelle : elle réclamait les biens dont on vient de parler, comme ayant formé, dans les mains des enfans adjudicataires, de véritables acquêts, devenus Propres naissans, pour une partie seulement, dans celles de la dernière décédée, par la mort de ses frères.

Elle avait pour adversaire le comte de Coëtlogon, parent paternel à un degré plus éloigné, mais dans la ligne des biens qui étaient Propres anciens à Charles de Meaussé, lorsqu'il en avait fait donation à ses enfans. Il soutenait 1o que les biens donnés par un père à ses enfans, sont présumés donnés en avancement d'hoirie, et qu'ils sont possédés comme Propres paternels par les enfans, quoique ceux-ci soient chargés par le père donateur de payer des dettes spécialement exprimées, fussent-elles d'ailleurs égales à la valeur de la chose donnée; 2o que cette vérité est encore plus certaine, lorsque la donation est faite expressément par avancement d'hoirie; 30 la saisie réelle que antérieure des mêmes biens n'opère aucun obstacle à la validité et à l'effet de la donation, du moins entre le père et ses enfans ; 4o que la propriété des enfans ne peut être anéantie que par une adjudication faite à un étranger, et qu'elle est, au contraire, confirmée par celle qui est faite aux enfans eux-mêmes ; 5o que

l'adjudication faite aux enfans, n'est point un nouveau titre qui dénature la cause et les caractères de leur propriété; en sorte que, devenus adjudicataires, ils continuent de posséder comme Propres, les biens qu'ils possédaient comme tels en vertu de la donation.

Qu'a répondu à ce moyen la dame de SaintPort? Elle ne les a point combattus directement, mais elle a prétendu que l'acte de donation du 12 avril 1743 était nul; et elle a inféré de là que les enfans de Charles de Meaussé n'avaient possédé les biens litigieux que comme adjudi

cataires.

M. l'avocat-général d'Aguesseau a adopté cette défense; il a réduit la contestation au seul point de savoir si la donation était valable ou non. Il s'est déterminé pour la négative, 1o par le défaut d'acceptation de deux des enfans, 2o par le défaut d'insinuation. Il a conclu de cette double nullité, que les enfans de Charles de Meaussé n'avaient jamais été propriétaires en vertu de la donation du 12 avril 1743, mais que leur seul titre de propriété était l'adjudication du 5 décembre 1748, titre qui forme des acquêts.

En conséquence, l'arrêt cité a adjugé à la dame de Saint-Port les biens que lui disputait le comte de Coëtlogon.

Par là, cet arrêt a décidé que les biens avaient été rendus acquêts par l'adjudication, mais, comme l'on voit, il n'a porté aucune atteinte à nos principes.

V. L'héritier par bénéfice d'inventaire est héritier, et par conséquent propriétaire ; cependant, il doit payer au moins jusqu'à concurrence de l'émolument. Mais il ne paie pas: en conséquence, les créanciers saisissent, ils poursuivent, on adjuge, et c'est l'héritier qui se rend adjudicataire. Les biens lui appartenaient auparavant en sa qualité d'héritier, ils lui appartenaient comme Propres, puisqu'ils lui étaient échus par succession. L'adjudication ne lui donne rien de plus que ce qu'il avait,mais lui en assure la conservation; elle ne sert qu'à écarter toute propriété étrangère,confirmer l'ancienne, et fixer la valeur due aux créanciers. Le Propre ne doit donc pas être dénaturé par cette adju dication, et le bien qui était Propre à l'instant de l'adjudication,doit encore être Propre l'ins tant d'après.

Le croirait-on cependant? On cite des arrêts qu'il n'est pas possible de concilier avec ces conséquences.

Il y en a un du 13 juin 1662, connu sous le nom d'arrêt de la Meilleraie : il juge que les lodset ventes sont dus par l'héritier bénéficiaire, pour l'adjudication qui lui est faite; il juge

par conséquent qu'il y a mutation de propriété et interversion de titre, car jamais le seigneur n'eût pu réussir, si l'on eût considéré l'immeuble comme Propre, et l'héritier comme possédant à titre successif.

Il a été rendu un arrêt semblable le 26 mai

1696, en faveur de la maréchale de Créqui.

Le maréchal de Créqui était héritier béné– ficiaire de son aïeul; les biens de la succession furent décrétés, et il s'en rendit adjudicataire les biens qui lui avaient été adjugés, furent dépendant son mariage. Etant décédé le premier, laissés à la maréchale de Créqui, en paiement de ses reprises.

Les seigneurs dont ces immeubles relevaient, demandèrent à madame de Créqui les lods et ventes qui auraient été effectivement dus, si elle eût reçu en paiement des Propres de son mari. Elle soutint qu'il avait été acquéreur comme un étranger, qu'ainsi, les biens adjugés étaient des conquêts de communauté, et qu'à ce titre elle n'en devait point les lods et

ventes.

Frappés de cette défense, les seigneurs se retournerent: ils prétendirent que, si le maréchal de Créqui, en se rendant adjudicataire, avait fait des acquêts et non des Propres, s'il avait acquis comme un étranger, les droits étaient ouverts par l'adjudication, et qu'ains i, ils devaient être payés, ou par madame de Créqui, ou par la succession de son mari.

Cette affaire fut amplement discutée, et les seigneurs furent déboutés de l'une comme de

l'autre de leurs demandes.

Pourquoi le furent-ils ? La décision et les motifs de l'arrêt furent bien expliqués, devant les juges qui l'avaient rendu, par M. l'avocatgénéral de Lamoignon, portant la parole l'année d'après, dans une cause presque semblable, dépendante encore de la succession du maréchal de Créqui; voici ses propres expressions:

« On demanda des droits à madame la maréchale de Créqui, comme si ces terres étaient d'anciens Propres donnés à une veuve en paiement de ses conventions. Elle a fait voir que ces terres étaient UN ACQUÊT DE LA COMMUNAUTÉ, et par conséquent, qu'étant commune, elle ne devait aucuns droits pour ceux qui étaient tombés dans son lot. Ceux qui agissaient contre madame la maréchale de Créqui, ont mis ses enfans en cause, et ont soutenu que, si ces terres étaient acquises par M. le maréchal de Créqui, les droits en étaient dus, parcequ'ils n'avaient pas été payés. Le sieur marquis de Créqui et le sieur marquis de Blanchefort, son frère, ont soutenu que M. de Créqui, leur père, étant hériticr bénéficiaire de son aïeul, il avait pu

acquérir des terres de sa succession, sans être obligé de payer aucuns droits.

» Cette contestation a paru deux fois devant vous: toutes les deux fois vous avez renvoyé madame la maréchale de Créqui et ses enfans quittes des demandes qu'on avait formées con

tre eux. ».

L'arrêt a donc jugé deux choses : la première, que les terres adjugées à l'héritier bénéficiaire, étaient de simples acquêts: la seconde, qu'il n'était pas dû de droits au seigneur, parcequ'à son égard, il n'y avait pas de changement, et qu'il avait toujours le même vassal.

C'est ce que M.Lamoignon développe encore dans la suite de son plaidoyer: « Qu'importe » au seigneur que son vassal assure sa propriété » par des formalités de justice? Quel changement » cela produit-il par rapport au seigneur? » Cesse-t-il d'être le fils de son ancien vassal? » Un décret, une transaction, une adjudication en justice,tout cela change-t-il quelque chose » dans la relation qui est entre lui et le seigneur? » Revenons toujours aux principes: le titre du seigneur est son investiture; dès qu'il n'y a point de changement à ce titre, tous les autres » titres sont inutiles, et comme non-avenus à cet égard (1) ».

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On voit avec quel soin M. l'avocat-général de Lamoignon, en disant qu'il n'y a point de changement, spécifie que c'est par rapport au seigneur, dans la relation entre le seigneur et le vassal.

L'arrêt, ou plutôt les arrêts de 1696, puisque M. l'avocat-général de Lamoignon assure qu'il en existe deux, ont donc confirmé celui de 1662, sur la nature de l'acquisition et la qualité de l'immeuble adjugé, en même temps qu'ils s'en sont écartés sur un point défavorable; ils ont décidé que cet immeuble était un acquét dans la main de l'héritier adjudicataire, et un conquét dans la communauté, quoiqu'ils en aient affranchi l'acquisition des droits de lods et ventes.

Mais, je l'ai déjà dit, les principes résistent à cette décision ; aussi se trouve-t-elle combattue, et par des auteurs sans nombre, et par plusieurs arrêts très-précis.

Je ne répéterai pas toutes les autorités citées, sur ce point, dans le Répertoire de Jurisprudence, au mot Déshéritance; mais il y a un arrêt du 26 mars 1782 à y ajouter, et c'est ici sa place.

Dans l'espèce sur laquelle il a été rendu, et que je détaillerai dans le paragraphe suivant, il s'agissait de savoir si Armand- François de Bretagne, qui s'était rendu à la fois héritier bé

néficiaire de Claude II, son père, et adjudicataire de trois seigneuries considérables de la succession de celui-ci, avait possédé ces seigneuries comme Propres, ou comme acquêts. La contestation était entre le marquis de la Grange et la dame Joly de Fleury, héritiers des acquêts, d'une part, et le prince de Soubise, héritier des Propres, de l'autre.

Il était certain, dans le fait, que ces terres n'avaient été vendues qu'après quarante ans de saisie-réelle, après deux baux judiciaires, des criées; en un mot, par les adjudications les plus solennelles et les plus régulières.

Mais sur la question de droit, les parties étaient divisées; et comme, des trois terres, l'une était située dans le ressort du parlement de Paris, les deux autres dans celui du parlement de Rennes, il était indispensable de la traiter, et suivant le droit commun, et suivant les principes particuliers à la Bretagne.

La défense du prince de Soubise se réduisait, sur le droit commun, à ces raisons aussi simples que décisives :

Il y a deux manières de liquider une succession bénéficiaire, à l'amiable ou judiciaire~»

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» C'est la même chose, lorsque ces biens ont été décrétés et adjugés, et qu'il s'en est rendu adjudicataire. L'héritier alors est venu dire à la justice je n'ai pu convenir avec les créanciers du prix des biens, recevez les enchères, elles en fixeront la valeur si je la porte plus haut que tout autre, les biens me resteront; je tiendrai compte aux créanciers du montant de mon enchère, et tout sera terminé entre eux et moi.

» Pour qu'il y eût changement de propriété, il faudrait que l'héritier eût cessé d'être propriétaire au moins quelques instans; que la propriété eût été en d'autres mains,et qu'il l'eût reprise ensuite à un titre différent. Mais à quel moment assigner cette cessation de propriété ? Est-ce au moment de l'adjudication? Supposera-t-on que la justice a été propriétaire ? Ce serait une supposition absurde; la propriété des citoyens ne passe point dans les mains de la justice.

>> Mais si la propriété de l'héritierbénéficiaire n'a pas cessé un instant, il est donc propriétaire au même titre, avant et après l'adjudication : il possède donc toujours les biens comme héri(1) Recueil d'Augeard, à la date du 29 août 1697. tier, et avec la qualité de Propres ».

A cet argument, voici ce que répondaient le marquis de la Grange et la dame Joly de Fleury.

« Point de difficulté, lorsque l'héritier paie à l'amiable: quoiqu'il lui en coûte autant et plus que la valeur des biens, ces biens demeurent Propres. L'équité déciderait peut-être autrement; mais comme il n'a point d'autre titre de propriété que sa qualité d'héritier et la saisine héréditaire, ce titre forme nécessairement des Propres. Les sommes qu'il a déboursées, sont réputées un sacrifice qu'il a fait à la libération de l'hérédité, et qu'il aurait pu faire quand il ne s'y serait trouvé aucun bien.

» Mais lorsque l'immeuble de la succession est décrété et vendu ; lorsqu'il ne reste à l'héritier bénéficiaire, que parcequ'il se trouve le plus haut enchérisseur, et en vertu d'une adjudication forcée, peut-on dire qu'il n'y a rien de changé? Est-ce au même titre qu'il possède ?

» Si l'adjudication était faite à un étranger, le changement serait opéré et la succession dépouillée. Pourquoi le même effet n'aurait-il pas lieu, quand c'est l'héritier bénéficiaire qui est adjudicataire ?

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Premièrement, il n'y a nulle impossibilité que cela soit. L'héritier bénéficiaire n'est pas interdit de contracter pour un autre objet que pour la succession; il vend, il achète, il s'engage, sans que ces actes aient aucun rapport à l'hérédité. Ces contrats, ces engagemens ne regardent que son patrimoine particulier. Pourquoi les biens de la succession, lorsqu'ils sont exposés en vente par la justice, seraient-ils les seuls pour lesquels il ne pourrait pas contracter? Pourquoi ne pourrait-il pas les acquérir comme tout autre ? Rien assurément ne s'y oppose, ni dans l'équité naturelle, ni dans les principes du droit.

» Secondement, la réalité de ce changement qui est déjà prouvé possible, est démontrée par les effets.

» Avant l'adjudication, l'immeuble était frappé des hypothèques des créanciers héréditaires. Ces hypothèques subsistent- elles après l'adjudication? Non, sans doute. Cependant cette libération subite des hypothèques est la suite et la marque du changement de propriété opéré par la justice; elle en est l'effet ordinaire, et un des plus importans. Il n'est pas possible de supposer que l'héritier soit toujours propriétaire au même titre, que l'héritage ne soit pas sorti de la succession, et que néanmoins les créanciers de la succession n'aient plus d'hypothèque.

» Dans la plupart de nos coutumes, un héritier pur et simple qui se présente,exclud l'héri

tier bénéficiaire en ligne collatérale. Le délai ordinaire est d'une année, mais il peut être prorogé par différentes circonstances. Supposons que l'héritier pur et simple se présente après l'adjudication faite à l'héritier bénéficiaire : celui-ci lui rendra-t-il l'immeuble dont il s'est rendu adjudicataire, dont il a payé le prix ? Non assurément. Cependant il n'est plus héritier. Ce n'était donc pas comme héritier qu'il possédait cet immeuble.

» On pourrait faire plusieurs observations semblables. On pourrait remarquer que les créanciers personnels de l'héritier, qui n'avaient aucun droit sur l'immeuble avant l'adjudication, ou du moins qui n'en avaient qu'autant que tous les créanciers de la succession seraient payés, peuvent, après l'adjudication, se pourvoir sur cet immeuble, comme sur les autres biens de l'héritier; que les créanciers de la succession, au contraire, qui, avant l'adjudication, pouvaient exercer leurs poursuites sur cet immeuble, n'en ont plus le pouvoir eussitôt que l'adjudication est faite. On montrerait, en un mot, tous les caractères, tous les effets du changement de propriété, dans cette adjudication.

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» Pour soutenir le contraire, avec quelque apparence de fondement, il faut supposer que l'héritier bénéficiaire parle ainsi à la justice: «Si on poursuit le décret, je demande que ce qui sera sérieux à l'égard des autres, ne soit » que fictif par rapport à moi. Je demande que, quoique vous paraissiez, aux yeux de tout le » nonde, changer la propriété, quoique vous interposiez l'acte destiné à cet effet, cepen»dant la propriété ne soit pas changée, si cela » me regarde ; et quoiqu'elle ne soit pas changée, je demande que, contre les autres, l'effet » soit le même que si elle l'était ; que les hy» pothèques soient effacées ; que les créanciers » de la succession soient déchus de leurs droits; » que l'immeuble reste dans la succession, et que » néanmoins l'héritier pur et simple n'ait rien » à y demander, Je demande, en un mot, de » conserver mon ancien titre, et d'avoir tou »tes les apparences et tous les avantages d'un » titre nouveau ».

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