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domaine utile qu'il a acquis par son bail, n'est pas difficile à résoudre.

Il est d'abord certain que l'emphyteote ne peut jamais prescrire le domaine direct du bailleur: c'était la décision expresse de la loi 7, §. 6, C. de præscriptione trigenta annorum ; et elle était fondée sur un principe auquel l'art. 2236 du Code civil a conservé toute sa force, c'est-à-dire, sur le principe que ceux qui possèdent pour autrui,ne prescrivent jamais, par quelque laps de temps que ce soit. En effet, c'est au nom du bailleur que l'emphytéote possède le fonds dans lequel réside le domaine direct que le bailleur s'est réservé ; c'est donc au nom du bailleur que l'emphyteote possède le domaine direct lui-même ; ou plutôt, il ne le possède pas à proprement parler; il n'en est que le dépositaire, comme le fermier n'est, à l'égard de la propriété, que le dépositaire, que le gardien des droits de celui dont il tient son bail; il est donc impossible qu'il le prescrive jamais.

Ensuite, quel est le caractère de la redevance à laquelle l'emphyteote s'est obligé envers son bailleur ? Le même, absolument le même celui du fermage auquel le fermier que s'oblige envers le propriétaire : elle est récognitive du domaine direct du bailleur à emphytéose, comme le fermage est récognitif de la propriété du bailleur à ferme; le fonds de l'une ne peut donc pas plus être prescrit que le fonds de l'autre; il ne pourrait l'être que par une interversion qui, dans la personne de l'emphy. téote, changerait la qualité de possesseur à titre onéreux en celle de possesseur à titre gratuit; et il est de principe, il résulte d'ailleurs clairement de l'art. 2231 du Code civil, que l'interversion de titre ne se présume jamais.

Aussi toutes les cours souveraines s'accor

́daient-elles, dans l'ancienne jurisprudence, sur l'imprescriptibilité de la redevance emphyteotique; et si quelques unes en exceptaient le cas de la possession immémoriale, c'est-à-dire, un cas qui ne peut plus se présenter relativement à l'emphytéose temporaire dont la durée ne peut jamais excéder 99 ans(1), c'était par l'application qu'elles faisaient à ce cas de la maxime du droit romain qui attribuait à la possession immémoriale tous les effets d'un titre proprement dit (2).

VI. Reste à savoir si l'emphyteote tempo

(1) V. Ibid, no 2.

(2) V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Prescription, sect. 3, §. 2; le président de Salvaing, de l'usage des fiefs, chap. 14, et Dunod, Traité des Prescriptions, partie 3, chap. 10.

raire ne peut pas du moins prescrire la redevance emphyteotique contre un tiers à qui son bailleur l'a cédée.

Il ne le peut certainement pas, si la cession de la rente emphyteotique est faite purement et simplement, parcequ'alors elle emporte de plein droit la cession du domaine direct, et que par conséquent elle met à tous égards, le cessionnaire à la place du bailleur.

Mais il en serait autrement si le bailleur, en cédant sa rente emphyteotique, se réservait le domaine direct en reconnaissance duquel il l'a originairement stipulée, ou si, en cédant son domaine direct, il se réservait sa rente emphytéotique. Dans ces deux cas, en effet, la redevance ne serait plus emphyteotique que de elle n'aurait plus le caractère de prestation récognitive du domaine direct; elle ne serait plus qu'une rente foncière ordinaire et par conséquent rien ne pourrait en empêcher la Prescription. V. l'article Emphyteose, §. 6, no 4, et les conclusions du 10 février 1806, rapportées dans le Répertoire de jurisprudence, au mot Cens, §. 2, no 3.

nom,

;

§. XI. Avant le Code de commerce, la Prescription établie par l'art.7 du tit. I de l'ordonnance de 1673, avait-elle lieu de marchand à marchand?

La veuve Rubrecq, marchande à Lille, demandait à Jodard, marchand du département de l'Oise, le paiement de diverses marchandises qu'elle lui avait fournies depuis plusieurs

années.

Jodard se défendait par la Prescription annale, et invoquait l'art. 7 du tit. 1 de l'ordonnance de 1673.

Jugement du tribunal de commerce de Lille, du 24 ventôse an 7, qui, sans avoir égard à l'exception opposée par Jodart, le condamneà payer. Appel au tribunal civil du département du Nord.

Le 19 thermidor an 7, jugement confirmatif. Jodard se pourvoit en cassation, et soutient le tribunal civil du Nord a violé l'art. 7 que du tit. I de l'ordonnance de 1673.

« La disposition de cet article (ai-je dit, en concluant sur cette affaire, à l'audience de la section des requêtes), la disposition de cet article, qui ne fait que renouveler celles de l'art. 68 de l'ordonnance de 1512 et de l'art. 123 de la coutume de Paris, paraît, au premier abord, fort singulière. Il semble que les actions qu'elle a pour objet, devraient durer trente ans comme les autres; mais l'habitude où l'on est presque universellement de payer ces sortes de choses sans en tirer quittance, et

la crainte que des artisans, ouvriers ou mar chands peu délicats ne se fissent payer deux fois le même objet, ont porté les lois à les obliger de se pourvoir dans des termes fort

courts.

» Aussi n'est-ce pas une Prescription proprement dite, mais une présomption de paiement qu'elles ont voulu introduire; et l'art. 10 du, tit. I de l'ordonnance de 1673 le prouve trèsclairement, par la faculté qu'elle donne au marchand à qui l'on oppose le laps de six mois ou d'un an, de déférer le serment à ceux qu'il poursuit.

» Mais, par la même raison, les dispositions dont il s'agit, ne peuvent avoir lieu que des marchands aux bourgeois; et cela résulte d'abord de ce que le motif qui les a dictées, ne reçoit aucune application aux fournitures faites de marchand à marchand; ensuite, de ce que les termes mêmes dans lesquels elles sont conçues, paraissent visiblement ne porter que sur les fournitures prises par les bourgeois

chez les marchands.

>> C'est aussi ce que décident expressément plusieurs coutumes qui ont été rédigées postérieurement à l'ordonnance de 1512, notamment l'art. 292 de celle de Bretagne, l'art. 201 de celle de Troyes, l'art. 148 de celle de Vitrysur-Marne et l'art. 120 de celle de Chaumont en Bassigny.

» C'est même ce qu'ont jugé, dans les coutumes de Normandie, de Paris et de Ponthieu, toutes trois absolument muettes à cet égard, un arrêt du parlement de Rouen, du 5 février 1666, rapporté par Basnage, art. 534 ; un autre du grand conseil, du 16 juillet 1672, inséré dans le Journal du Palais, à l'ordre de sa date; et un troisième du Parlement de Paris, du 25 janvier 1706, rapporté par Maillart, sur la coutume d'Artois, art. 73.

» Jousse, sur l'art. 7 du tit. I de l'ordonnance de 1673, dit pareillement que, dans les juridictions consulaires, on observe de ne point admettre cette Prescription entre marchands, artisans ou ouvriers, pour les affaires qu'ils ont les uns avec les autres, concernant leur commerce; et il cite à ce sujet le Traité du commerce de terre et de mer, tome 1, page 183.

» Enfin, dans l'espèce actuelle, le demandeur était d'autant moins fondé à se prévaloir de la Prescription dont il s'agit, que, d'une part, il s'était reconnu débiteur d'une somme de 1,000 francs par deux actes extrajudiciaires qu'il avait fait signifier à la veuve Rubrecq, les 25 frimaire et 23 prairial an 4; et que, de l'autre, la veuve Rubrecq produisait plusieurs lettres du demandeur lui-même, qui constataient une TOME XII.

partie des fournitures dont elle réclamait le prix; ce qui faisait naturellement rentrer la contestation dans le cas prévu par l'art. 9 du tit. I de l'ordonnance de 1673,suivant lequel il n'y a point de Prescription à opposer lorsque la dette est reconnue, soit par un arrêté de compte, soit par une cédule, obligation ou contrat ».

Sur ces raisons, arrêt du 5 frimaire an 9, au rapport de M. Minier, qui rejette la demande en cassation,

<< Attendu que l'art. 7 du tit. 1 de l'ordonnance de 1673 n'était point applicable à l'espèce;

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Premièrement, parceque la Prescription, dont il y est parlé, n'a été introduite par l'ordonnance, qu'en faveur des particuliers, et ne peut, d'après la jurisprudence, être invoquée par les négocians entre eux ;

>> Secondement, parceque le cit. Jodard s'était reconnu débiteur par les offres qu'il avait faites; ce qui le mettait dans l'impuissance d'invoquer la Prescription, en la supposant autorisée par la loi, toute exception pouvant être couverte, à cet égard, par l'aveu de la partie assignée ».

§. XII. 10 La reconnaissance du demandeur en garantie de n'avoir pas payé une de ces dettes que la loi présume acquittées, et déclarc prescrites après quelques jours, quelques mois ou quelques années de silence de la part du créancier, prive-t-elle le garant du bénéfice de la Prescription annale ?

20 Cette espèce de Prescription peutelle étre écartée par une présomption de non-paiement qui n'est pas établie par la loi?

30 La reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, inter rompt-elle la Prescription, encore qu'elle ait lieu dans un acte dans lequel le créancier ou propriétaire n'est point partie, ou même à son insçu?

Les deux premières questions sont traitées dans les conclusions du 3 ventôse an 10, rap. portées à l'article Garantie, §. 8 ; et il faut y joindre, sur la seconde, ce que j'ai dit dans le Répertoire de jurisprudence, au mot Prescription, sect. 2, §. 3, no 10, et §. 8, n° 10.

II. Sur la troisième question, Pothier, dans son Traité des obligations, no 632, n'hésitait pas, avant le Code civil, à se prononcer pour l'affirmative:

5

« Le temps de la Prescription (disait-il) s'interrompt par la reconnaissance que le débi

teur fait de la dette.

» Par quelque acte que le débiteur reconnaisse la dette, cet acte interrompt le temps de la Prescription, soit que cet acte soit passé avec le créancier, soit qu'il soit passé sans lui. Par exemple, si, dans l'inventaire des biens du débiteur, la dette est comprise parmi le passif, cet inventaire, quoiqu'il ne soit pas fait avec le créancier, est un acte récognitif de la dette, qu'interrompt le temps de la Prescription D.

Ĉ'était dans le même esprit que Dunod, dans son Traité des Prescriptions, partie 1, chap. 9, disait : « si le débiteur reconnaît la » dette par quelque acte que ce soit...., s'il » donne charge de la payer, quoiqu'en l'ab»sence du créancier...., ce sera une interrup>>>tion civile conventionnelle, qui interrom» pra le cours de la Prescription

D.

Et c'était d'après cette doctrine, qu'un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, du 17 juin 1806, avait jugé que les reconnaissances faites en 1786 et en 1789, par deux acqué reurs successifs d'un immeuble, des rentes dont il était grevé, avaient interrompu la Prescription de ces rentes en faveur du créancier qui cependant n'avait pas été partie dans les actes récognitifs, et avait seulement eu connaissance de l'un par la signification qui lui en avait été faite, mais sans l'accepter ni en termes exprès, ni implicitement (1).

Le Code civil a-t-il changé quelque chose a cette jurisprudence?

Non, puisqu'il dit en termes généraux, art. 2248, que « la Prescription est interrom» pue par la reconnaissance que le débiteur » ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait »; et qu'il n'exige pas pour cela la partie contre laquelle courait que la Prescription, ait été présente à l'acte récognitif.

D

Inutilement objecterait-on qu'aux termes de l'art. 1165 du même code, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, qu'elles ne nuisent point au tiers, et qu'elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'art. 121; qu'à la vérité, il est dit par l'art. 121, qu'on peut stipuler au profit d'un tiers, lorsque telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soi-même, ou d'une donation que l'on fait à un autre ; mais que le même article, en ajoutant que celui qui a fait cette stipulation, ne peut plus

(1) Décisions notables de la cour d'appel de Bruxelles, tome 9, page 97.

la révoquer si le tiers a déclaré vouloir en profiter, décide nettement que cette stipulation est toujours révocable de la part de celui qui l'a faite, tant qu'elle n'a pas été acceptée par le tiers; qu'il suit clairement de là que, si, en vendant un immeuble, je charge l'a cheteur de vous payer à mon acquit une somme que je vous dois depuis 29 ans, et que, par là, je reconnaisse vous la devoir en effet, cette reconnaissance ne vous confère, tant qu'elle n'est pas acceptée par vous, aucun droit indépendant de ma volonté, et que par conséquent si les 30 ans depuis lesquels j'ai contracté ma dette, viennent à s'écouler avant votre acceptation, je puis vous opposer la Prescription de votre créance, comme si je ne l'avais pas reconnue précédemment.

On aurait pu faire le même raisonnement sous l'ancienne jurisprudence; car alors, comme aujourd'hui, les conventions n'avaient d'effet qu'entre les parties contractantes ; et si, alors, comme aujourd'hui, ce principe n'empêchait pas que l'on ne pût stipuler pour un tiers, lorsque telle était la condition d'une stipulation que l'on faisait pour soi-même, il en résultait du moins, comme aujourd'hui, que, tant que le tiers n'avait pas accepté cette stipulation, celui qui l'avait faite, demeurait toujours maftre de la révoquer (1).

Cependaut alors on ne doutait pas que la Prescription d'une créance ne fût interrompue par la reconnaissance qu'en contenait, de la part du débiteur, un acte auquel le créancier n'avait pris aucune part.

Et pourquoi n'en doutait-on pas? Par une raison qui a encore aujourd'hui toute sa force : parcequ'autre chose est de former une convention, autre chose est de conserver à l'une des parties contractantes le droit qui en est résulté elle. Sans contredit une convention pour ne peut être formée que par le concours de deux parties, et elle ne peut, par suite, avoir d'effet obligatoire qu'entre les deux parties qui l'ont formée par leur consentement réciproque; mais une fois que cet effet obligatoire est acquis à l'une des parties par le concours de son consentement avec celui de l'autre, quel obstacle y a-t-il à ce qu'il soit conservé et confirmé sans ce concours et par le seul consentement de celle des parties sur laquelle pèse l'obligation? Aucun, puisque l'objet de ce consentement isolé n'est pas de former un nouveau contrat, puisqu'au moment où il intervient, existe déjà le concours des deux consentemens qui ont formé le contrat primitif, puisqu'il se

(1) V. les conclusions du 6 messidor an 12, rapportées à l'article Stipulation pour autrui.

reporte à ce concours, et qu'il ne fait qu'en consolider le résultat. Ainsi, de même que, comme je l'ai établi dans des conclusions du 4 thermidor an 9, et comme l'a jugé un arrêt de la cour de cassation, du même jour, rapportés à l'article Mineur, §. 3, pour que la ratification d'un contrat sujet à rescision en couvre les vices, il n'est pas nécessaire qu'elle intervienne en présence de la partie avec laquelle le contrat a été passé, de même aussi pour que la reconnaissance d'une dette dont la Prescription est commencée, empêche que la Prescription ne s'en achève, il n'est pas nécessaire que le créancier y soit présent et l'accepte.

C'est, au surplus, ce qu'a jugé formellement un arrêt rendu dans l'espèce suivante, par la cour supérieure de justice de Bruxelles.

Par acte du 24 février 1772, les sieurs et dame D.... se rendent cautions, envers la ville d'Anvers, d'une somme qui lui est due par un tiers.

Le 22 novembre 1790, le trésorier de cette ville, à défaut de paiement de cette somme, fait pratiquer une saisie-arrêt sur les loyers d'une maison appartenant aux sieur et dame D.....

Ceux-ci meurent insolvables, sans avoir fait lever la saisie-arrêt, ni en avoir fait cesser les causes ; et un curateur est établi à leur succession vacante.

En conséquence, la maison dont les loyers sont saisis depuis 1790, est vendue à l'enchère; et par acte du 1er brumaire an 13, c'està-dire, sous l'empire du Code civil, le curateur s'oblige envers l'acheteur à lui procurer, par le paiement de la dette cautionnée par les sieur et dame D...., la main-levée de la saisiearrêt.

Cette obligation reste sans effet, et plus de 30 ans s'écoulent jusqu'au moment où la ville d'Anvers se pourvoit contre le nouveau curateur nommé en remplacement de celui qui a souscrit l'acte récognitif du 1er brumaire an 13.

Ce nouveau curateur répond que la Prescription est acquise à la succession, et soutient que l'acte du 1er brumaire an 13 n'a pas pu l'interrompre, parceque la ville d'Anvers n'y est pas intervenue,

Mais par jugement du tribunal de première instance d'Anvers, cette exception est écartée, et le curateur est condamné, en sa qualité, au paiement de la somme réclamée par la ville.

Le curateur appelle de ce jugement; mais pár arrêt du 28 février 1828,

• Attendu que, d'après l'art. 2248 du Code civil, la Prescription est interrompue lorsque

le débiteur ou possesseur reconnaît le droit de celui contre qui il prescrit ;

» Que Guillaume-Mathieu G.., prédécesseur de l'appelant, s'était, par l'acte de mise en pos session du 1er brumaire an 13, mentionné au procès, obligé, en sa qualité de curateur à la masse D...., envers l'acheteur de la maison dont il s'agit, à faire lever l'engagement Loco CAUTIONIS avec cette ville ( d'Anvers ), en date du 24 février 1772, ainsi que l'arrêt VIÂ EXECUTIVA, fait à la requête de M. l'ancien trésorier de cette ville, en date du 22 novembre 1790; et que, vu que la levée de l'engagement LOCO CAUTIONIS, ainsi que de l'arrêt vi⭑ EXECUTIV, ne pouvait être obtenue qu'en payant, le curateur G.... a donc pris virtuellement sur lui, par l'acte précité du 1er brumaire an 13, époque à laquelle il ne pouvait encore être aucunement question de Prescription, l'obligation de payer à la ville d'Anvers ce qui lui restait dû à charge des époux D..... et a fait réellement ainsi une reconnaissance du droit de cette ville à cet arriéré; reconnaissance qui, aux termes de l'art. 2248 précité, constitue une interruption de Prescription relativement à ce droit; sans qu'on puisse objecter avec fondement, comme le fait l'appelant, que la reconnaissance d'un débiteur dans un acte dans lequel le créancier n'est point intervenu, ne pourrait avoir l'effet d'interrompre la Prescription; puisque ce même article, parlant en termes généraux, ne fournit aucune matière à la prétendue distinction sur laquelle est fondé le souténement de l'appelant ; dis que, d'un autre côté, il importe de remarquer que, dans l'espèce, les circonstances répugnent entièrement à toute idée de Prescription, vu que l'appelant, aussi bien que son prédécesseur G...., doivent uniquement leur nomination respective de curateur à la masse D...., à l'administration de la ville d'Anvers qui ne la leur a fait donner que dans le but de parvenir par ce moyen au paiement de ce qui lui restait dû à charge des époux D.....; de sorte que, dans cet état de choses, le moyen de Prescription pourrait bien être repoussé par l'exception de dol;

tan

» Par ces motifs, ouï M. l'avocat-général Deguchteneere, en son avis conforme, la cour met l'appel au néant.... (1) ».

§. XIII. Quelle Prescription les avoués pouvaient-ils, avant le Code civil, oppo ser aux demandes en restitution des pièces qui leur avaient été confiées ?

(1) Jurisprudence de la cour supérieure de justice de Bruxelles, année 1828, partic 2, page 82.

De droit commun, l'action en remise de piè ces confiées par un plaideur à son avoué, n'est prescriptible que par le laps de trente ans; car cette action est personnelle, et on la nomme en droit actio mandati directa.

Mais par la déclaration du 11 décembre 1597, ni les procureurs, ni leurs veuves et héritiers ne pouvaient être poursuivis et recherchés, soit directement, soit indirectement, pour la restitution des sacs et pièces dont ils se trouvaient chargés dans les cinq ans antérieurs à l'action intentée contre eux, lesquels cinq ans passés, l'action demeurerait nulle, éteinte et prescrite.

L'arrêt d'enregistrement de cette loi au parlement de Paris, du 15 mars 1603, portait qu'ils seraient pareillement déchargés, au bout de dix ans, des procès indécis et non jugés ; de ceux qui seraient jugés, au bout de cinq ans, et qu'après leur décès, leurs veuves et autres ayant-droit seraient déchargés au bout de cinq ans, tant des procès jugés que des procès encore indécis.

Il n'était parlé, dans cette déclaration et dans cet arrêt, que des procureurs au parlement de Paris.

Mais le grand conseil en avait rendu les dispositions communes à ses procureurs, par un arrêt du 28 janvier 1608 (que rapporte Brodeau sur Louet, lettre S, §. 21).

Et le parlement de Paris lui-même les avait étendues aux procureurs des juridictions inférieures de son ressort. Brodeau, lettre S, §. 21, en rapporte trois arrêts des 23 août 1613, 23 décembre 1620 et 3 juin 1621, rendus au profit des procureurs de Langres, de Sainte-Ménéhould et du Châtelet.

Au surplus, les procureurs n'avaient besoin de cette Prescription, que dans le cas où l'on pouvait leur opposer des récépissés signés de leur main; car, s'ils n'étaient chargés par aucune reconnaissance, on ne pouvait pas admettre la preuve par témoins pour les condamner à remettre des pièces qu'ils affirmaient ne pas avoir. Le parlement de Paris l'avait ainsi jugé par arrêt du 29 novembre 1583, rapporté dans le recueil de Brodeau, à l'endroit cité, et par un autre du 30 décembre 1602, qu'on trouve, avec le plaidoyer de M. l'avocat-général Servin, dans les @uvres de ce magistrat, tome 1, plaidoyer 12.

L'art. 102 de la coutume de Bretagne abrégeait le temps de la Prescription dont il s'agit. Suivant cette loi, les procureurs étaient tenus de donner aux parties des récépissés de toutes les pièces qui leur étaient confiées par leurs cliens; ceux-ci, de leur côté, devaient retirer ces pièces dans les trois ans ; ce temps écoulé,

le procureur ne pouvait plus être recherché à ce sujet, moyennant son affirmation; et néanmoins, si la partie, avant le serment prêté, offrait de prouver autrement que par le récépissé, le défaut de remise des pièces, elle devait être admise à cette preuve.

Cet article ne parlant pas des héritiers des procureurs, on a douté s'ils y étaient compris. Ce doute était ridicule, car il y a bien plus de raison pour décharger un héritier, que la personne même à qui ont été confiées des pièces qu'elle ne retrouve plus. Aussi lisons-nous dans le Commentaire de Poulin-Duparcq, sur la coutume de Bretagne, art. 102, no 5, que « le » jeudi 13 octobre 1672, il a été jugé (au parle» ment de Rennes) que la veuve et les héri» tiers du procureur ne pouvaient être pour» suivis trois ans après son décès, en vertu du récépissé qu'il avait baillé d'actes pris en >> communication ».

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Poulain-Duparcq, sur l'article cité, rapporte, d'après Devolant, quatre arrêts qui ont jugé comme celui de 1672, en faveur du second membre de cette alternative. Il y en a deux qu'il ne date point; les deux autres sont des 17 avril 1617 et 23 mars 1623.

Le même auteur, dans son Journal des au diences du parlement de Bretagne,en rapporte un autre du 15 mars 1715, qui juge de même, quoique, dans l'espèce sur laquelle il a été rendu, le procureur dont les héritiers étaient poursuivis pour la réintégration des sacs qu'il avait pris en communication, eût été partie en son nom dans l'instance, et qu'on inférât de là qu'il avait eu personnellement intérêt de soustraire les pièces de ses adversaires.

Y avait-il lieu à la Prescription de trois ans, dans la coutume de Bretagne, et de cinq ans, dans les tribunaux où l'on suivait la déclaration de 1597, lorsque le récépissé avait été donné après le jugement du procès dont il avait les pièces pour objet ?

On trouve dans Brodeau à l'endroit indiqué ci-dessus, un arrêt du parlement de Paris du 14 octobre 1614, en faveur de l'affirmative. Dans le fait, un procès avait été jugé le 15 juin 1597. En 1601, le procureur d'une des parties avait retiré les pièces de son client, et s'en était chargé sur le registre d'un huissier. Question de savoir si c'était le cas de la Prescription de cinq ans. L'arrêt jugea que oui.

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