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clarer l'illégalité des réglements. Ainsi, une ordonnance du 14 décembre 1821 prohibait les entreprises ayant pour objet le remplacement des jeunes gens à l'armée, et un tribunal correctionnel avait jugé que les infractions aux dispositions de cette ordonnance étaient passibles de l'application des peines de police portées par l'art. 606 du Code du 3 brumaire an iv. La Cour de cassation a prononcé l'annulation de ce jugement : « attendu que les art. 3, tit. XI de la loi du 16–24 août 1790 et l'art. 606 du C. du 3 brumaire an IV sont uniquement relatifs aux peines qui doivent être prononcées pour la répression des contraventions de police municipale, et qu'ils ne sont nullement applicables aux infractions qui peuvent être commises aux ordonnances du roi, par lesquelles il est statué sur des objets qui ne se rapportent pas à cette police 1, » Cet arrêt est un corollaire exact du principe de la jurisprudence. Si le pouvoir exécutif usurpe les fonctions de l'autorité municipale, il ne peut du moins les exercer que dans les limites mêmes qui ont été fixées à cette autorité, il ne peut les appliquer qu'aux objets délégués à la police municipale.

Mais s'il se renferme dans le cercle de ces objets, si la matière du réglement est municipale, l'illégalité cesse de l'entacher. Un arrêt récent vient de donner un remarquable exemple de cette doctrine.

La loi du 30 jullet 1850, sur la police des théâtres, porte: « Art. 1. Jusqu'à ce qu'une loi générale, qui devra être présentée dans le délai d'une année, ait définitivement statué sur la police des théâtres, aucun ouvrage dramatique ne pourra être représenté sans une autorisation préalable..... 2. Toute contravention est punie par les tribunaux correctionnels d'une amende de 100 à 1000 fr. » Cette loi temporaire, à la durée de laquelle le législateur assignait le terme d'une année, fut prorogée par une seconde loi du 30 juillet 1851, portant: «la loi du 30 juillet 1850, sur la police des théâtres, est prorogée jusqu'au 31 décembre 1852. » A ce dernier terme, à

Cass, 27 janv. 1826, rapp. M. Brière. J. P., t. XX, p. 108.

la date du 30 décembre 1852, est intervenu un décret impérial ainsi conçu: « Les ouvrages dramatiques continueront à être soumis avant leur représentation à l'autorisation de notre ministre de l'intérieur à Paris et des préfets dans les départements. » Ce décret a donné lieu à une première question: l'amende portée par l'art. 2 de la loi du 30 juillet 1850 est-elle encore applicable? La Cour de cassation a dû répondre négativement : « attendu que l'amende déterminée par les lois des 30 juillet 1850 et 30 juillet 1851 ne pouvait avoir survécu à la durée et à l'effet même de ces lois 1. >>>

Mais alors s'est élevée une deuxième question, celle de savoir si les infractions à ce décret pouvaient être punies par l'application des peines de police, et cette question a reçu une solution affirmative : « attendu que la loi du 16-24 août 1790, par son art. 3, confie à la surveillance et à l'autorité des corps municipaux le maintien du bon ordre dans les spectacles, dans les lieux publics et partout où il se fait de grands rassemblements d'hommes; que la même loi, dans son art. 4, remet, par une délégation expresse, aux officiers municipaux le droit de permettre et d'autoriser les spectaclés publics; que dans cette double attribution se trouve renfermé, pour l'administration municipale, le droit de régler la police intérieure et extérieure des théâtres, et celui de prononcer sur leur ouverture et leur établissement; qu'il en résulte également un droit de surveillance et d'examen sur les ouvrages offerts à la scène, puisqu'on ne comprendrait pas que l'autorité qui peut retirer l'autorisation donnée à l'existence même du théâtre et le faire fermer, demeurât impuissante pour écarter une représentation qui lui paraîtrait dangereuse; que si, par des lois et des réglements postérieurs, notamment par la loi du 13--19 janvier 1791, par le décret du 8 juin 1806, par les lois des 30 juillet 1850, 30 juillet 1851 et par le décret du 30 décembre 1852, tout ce qui concerne les mesures de police relatives à la censure théâtrale, a été, à

'Cass, 17 avril 1856, rapp. M. Bresson, Bull. 1. 152.

raison de sa gravité et de son importance pour l'ordre public, retiré à l'autorité des maires; la loi du 16-24 août 1790 est restée en vigueur pour déterminer les objets sur lesquels pouvait s'exercer le droit de faire des réglements de police en cette matière et pour autoriser les pouvoirs publics à soumettre les représentations théâtrales à une surveillance et à une autorisation préalables, nécessaires au maintien du bon ordre et de la tranquilité publique; que le chef de l'État, chargé de pourvoir à la sûreté générale, a incontestablement le droit de faire des réglements dans le but et dans les limites déterminées par les lois; que le décret du 30 décembre 1852, qui régit toute l'étendue de l'empire, a le caractère d'un réglement général de police qui trouve sa sanction dans les dispositions de l'art. 471, no 15 C. p. 1. »

L'argumentation de cet arrêt, que nous avons dû rapporter tout entière pour qu'on put la bien saisir, est l'application la plus nette et la plus précise de la théorie que nous avons déjà constatée. C'est parce que la police des théâtres est une attribution municipale, c'est parce que la loi a donné aux maires le pouvoir de faire des réglements de police sur cet objet que les préfets et le pouvoir exécutif ont le même pouvoir ce que peuvent faire ceux-là, ceux-ci le peuvent nécessairement et par cela seul qu'ils sont leurs supérieurs hiérarchiques.

Nous ne répéterons pas que le pouvoir de faire des réglements de police est une délégation du pouvoir législatif, et que, lorsque cette délégation a été faite à l'autorité municipale, elle ne l'a nullement été à l'autorité administrative. Cette extension d'une délégation essentiellement limitative rencontre ici un obstacle particulier. La police des théâtres, en ce qui concerne la censure théâtrale, a été retirée à l'autorité municipale: les décrets du 21 frimaire an iv et du 8 juin 1806 l'ont formellement attribuée à l'autorité administrative. Or, si le droit du pouvoir exécutif de faire des ré

• Même arrêt,

glements de police sur cette matière n'est autre chose, comme le prétend cet arrêt, que le droit des maires eux mêmes, comment peut-il l'exercer quand ces derniers en sont dépouillés et ne l'exercent plus ? Si le pouvoir municipal a cessé d'exister, comment le pouvoir administratif, qui n'est ici que la continuation et l'application dans une sphère plus élevée du pouvoir municipal, pourra-t-il exister encore? L'arrêt répond que l'art. 4 de la loi du 16-24 août 1790, qui donnait ce droit de police aux maires et qui a été implicitement abrogé quant à l'exercice de ce droit, continue de vivre sous un autre rapport, en ce qu'il détermine les objets sur lesquels pouvait s'exercer le droit de faire des réglements de police; de sorte qu'abrogé vis-à-vis des maires, il continue de servir de base aux réglements du pouvoir exécutif sur la même matière. Mais cette argumentation un peu subtile trouve une difficulté. Si le pouvoir exécutif avait une délégation spéciale quoique restreinte aux objets de police municipale, on concevrait que la censure des représentations théâtrales, quoique rayée du catalogue de la loi du 15-24 août 1790, à l'encontre des maires, pût continuer de figurer dans les matières de police à l'encontre du pouvoir exécutif. Mais ne perdons pas de vue que, dans le système de la jurisprudence, le droit que le pouvoir exécutif exerce en cette matière c'est le droit municipal, c'est le droit des maires; il peut faire les réglements de police que ceux-ci ont le droit de faire; il ne peut faire ceux qui seraient en dehors de l'attribution municipale; voilà la théorie de tous les arrêts. Comment donc lui attribuer, au nom du pouvoir municipal, un droit que le pouvoir municipal n'a plus? Comment considérer comme un réglement de police un décret rendu sur une matière qui a cessé d'être une matière de police?

Nous ne prétendons pas, au reste, contester le droit du pouvoir exécutif et la légalité du décret du 30 décembre 1852; nous ne contestons ici que les motifs dont la jurisprudence a étayé cette légalité. Il n'eût pas été bien difficile peut-être d'établir que le pouvoir exécutif, en cette matière

comme en la matière des subsistances, était réellement investi, non point de la délégation de police attribuée à l'autorité municipale, mais d'une délégation spéciale, que déjà, à l'égard de plusieurs objets analogues, nous avons vu la loi donner au pouvoir exécutif. Il est très vrai que l'art. 4 du tit. XI de la loi du 16-24 août 1790 avait attribué aux officiers municipaux le droit de permettre et d'autoriser les spectacles publics. Mais quand il s'est agi de l'autorisation des pièces elles-mêmes, de la censure dramatique, pour prendre une expression plus claire, le législateur commença à faire un pas en arrière. L'art. 6 de la loi du 13-19 janvier 1791 porte: « Les entrepreneurs ou les membres des différents théâtres seront, à raison de leur état, sous l'inspection des municipalités; ils ne recevront des ordres que des officiers municipaux qui ne pourront arrêter ni défendre la représentation d'une pièce, sauf la responsabilité des auteurs et comédiens, et qui ne pourront rien enjoindre aux comédiens que conformément aux lois et réglements de police; réglements sur lesquels le comité de constitution dressera incessamment un projet d'instruction. Provisoirement les anciens réglements seront exécutés. » On peut remarquer déjà que cette loi, tout en laissant aux officiers municipaux le maintien du bon ordre dans les spectacles, limite expressément son droit à cette attribution de police: la censure des pièces leur est interdite, ils ne peuvent agir à cet égard qu'en se conformant aux lois et aux règlements de police, et ces réglements seront faits d'après une instruction ultérieure du comité de constitution. N'est-il pas évident que le législateur se réserve de placer le droit de réglementation de cette matière dans d'autres mains que celles de l'autorité municipale? Le décret du 21 frimaire an XIV ne fit que réaliser cette pensée : « Les commissaires généraux de police, porte ce décret, sont chargés de la police des théâtres, seulement en ce qui concerne les ouvrages qui y sont représentés. Les maires sont chargés, sous tous les autres rapports, de la police des théâtres et du maintien de l'ordre et de la sûreté. » Le décret

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