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équivalente au dommage; en matière de voirie, par exemple, le dommage est évidemment dans l'existence de travaux ou de constructions au mépris des réglements; la réparation ne peut donc être que la démolition de ces constructions ou de ces travaux. Ainsi, toutes les fois que la contravention laisse subsister après elle quelque résultat matériel qui la perpétue, les dommages-intérêts consistent à en obtenir la destruction, à remettre les choses dans l'état où elles étaient avant sa perpétration. Nous reviendrons sur ce point au chapitre des jugements.

Nous ne parlons point ici des questions civiles qui se présentent incidemment à la poursuite des contraventions et qui se rattachent à cette poursuite: ces questions préjudicielles, que la loi a formellement réservées, dans certains cas, au jugement des tribunaux civils, feront l'objet du 7o chapitre.

III. Les limites de cette compétence ainsi fixées, il reste à rechercher les conditions de son application.

Les tribunaux de police ne peuvent s'occuper des intérêts civils qui se rattachent aux contraventions dont ils sont saisis qu'accessoirement à l'action publique et en même temps qu'ils prononcent sur celle-ci. C'est ce qui résulte, d'une part, de l'art. 3, et d'une autre part, des art. 159, 161 et 172 du C. d'inst. cr. L'action civile n'est portée devant le tribunal de police que parce qu'elle est l'accessoire de l'action publique; sa compétence ne s'étend à celle-là que parce qu'elle est intimement liée à l'autre ; c'est par le même jugement qu'il doit statuer sur l'une et sur l'autre.

Il suit de là, d'abord, que si le juge statue sur l'action publique isolément, il n'a plus de compétence pour reprendre ultérieurement l'action civile résultant du même fait. Ce point qui résulte clairement des textes qui viennent d'être cités, a été jugé par un arrêt portant, « qu'aux termes de l'art. 161, les tribunaux de police doivent statuer sur les demandes en restitution et dommages-intérêts par le même jugement qui statue sur la contravention; que, par un juge

ment qui a acquis l'autorité de la chose jugée, le tribunal de police a condamné le prévenu à 1 fr. d'amende pour con-travention à des réglements relatifs à un cours d'eau; qu'il n'a point été statué par ce jugement sur les dommagesintérêts contre le prévenu; que dès lors il n'existait plus qu'une action civile qui devait être portée devant les tribunaux ordinaires; que le juge de police, n'ayant pas statué sur cette action civile par le jugement même qui prononçait une peine de police, était désormais incompétent pour en connaître; que le tribunal correctionnel devant lequel était porté un appel contre le jugement du tribunal de police était done incompétent aussi pour statuer sur les dommages-intérêts, et qu'en ordonnant une enquête et une nouvelle expertise à cet égard, il a méconnu les règles de sa compétence et formellement violé l'art. 161. »

Il en résulte encore que si le fait, quoique qualifié contravention, n'est passible d'aucune peine, le juge de police est incompétent pour connaître de l'action en réparation du dommage. Cette seconde conséquence a été consacrée dans plusieurs espèces. L'art. 12 de la loi du 22 germinal an XII oblige les maitres et patrons à se faire remettre leurs livrets par les ouvriers qu'ils emploient, mais ne prononce aucune peine en cas d'inexécution. Il suit de fà qu'un arrêté de police ne pouvant suppléer à l'omission de la loi à cet égard, le tribunal de police, en déclarant un tel arrêté illégal, doit en même temps se reconnaitre incompétent pour statuer sur l'action civile. Il a été jugé dans ce sens « que la contravention à un arrêté municipal, sur un fait prévu par une loi, ne peut pas entraîner une peine que cette loi ne prononce pas; que l'inexécution de l'obligation imposée à ceux qui emploient des ouvriers de se faire remettre leurs livrets constitue une infraction à l'art. 12 de la loi du 22 germinal an XII; mais que l'action qui en résulte est purement civile et se résout en dommages-intérêts; et qu'en le

1 Cass, 22 août 1845, rapp. M. de Crouseilles. Bull, n. 267.

jugeant ainsi le tribunal de police, loin de violer la loi, s'y est au contraire conformé '. » Dans une autre espèce, le fait incriminé consistait dans une plantation d'arbres sur un terrain communal: il a encore été jugé: « que ce fait ne peut donner lieu qu'à une action civile devant la juridiction ordinaire; que le tribunal était donc incompétent pour en connaître; qu'il suit de là qu'en supercédant à statuer sur la prévention, jusqu'à ce que l'exception préjudicielle opposée à la poursuite par le prévenu aura été résolue, le jugement dénoncé a commis un excès de pouvoir et une violation expresse des règles de sa compétence. » Enfin, dans une 3e espèce, il s'agissait d'infractions aux dispositions du cahier des charges d'un traité passé entre une municipalité et une compagnie pour l'éclairage d'une ville. La Cour de cassation a dù juger encore « que les conséquences légales des dispositions insérées au cahier des charges et acceptées par la compagnie ne peuvent être appréciées que par les tribunaux civils; qu'en effet, une stipulation de cette nature ne rentre pas dans l'exercice du pouvoir réglementaire de police confié par les lois du 16-24 août 1790 et 19-22 juillet 1791 å l'autorité municipale ; qu'elle ne peut donc trouver une sanction dans l'art. 471, n. 15 du C. pénal 3. »

Enfin il résulte de la même règle, à plus forte raison, que si le fait qui motive la poursuite n'a ni les caractères, ni la qualification d'une contravention, le tribunal de police ne peut statuer. La Cour de cassation a jugé en conséquence, « que le tribunal de police ne pouvait pas être saisi par le plaignant Matelain d'une demande en condamnation contre Lécrivain, en paiement d'une somme de 1 fr. pour complément de la place occupée par ce dernier dans la voituremessagerie dont Matelain était conducteur, puisque cette demande, purement civile, ne pouvait rentrer à aucun titre

1 Cass. 22 fév. 1840, rapp. M. Ricard. Bull. n. 68.

2 Cass. 26 mars 1847, rapp. M. Rives. Bull. n. 66.

Cass. 24 janv. 1852, rapp. M. Aug. Moreau. Bull, n. 38. Voy. aussi cass. 2 mars 1844, rapp.{M. Rives, n. 77.

dans les pouvoirs du juge de police; qu'en prononçant, nonobstant cette condamnation, contre Lécrivain, le jugement attaqué a commis un excès de pouvoir et violé les règles de la compétence 1..

S 486.

V. en

1. Compétence an tribunal de police pour apprécier les actes de l'autorité administrative; II. Distinction des contraventions de grande et de petite voirie. III. Droits du juge de police: IV. en matière de dégradations sur les chemins publics; matière de contraventions commises par les entrepreneurs de travaux publics; — VI. en ce qui touche les baux administratifs ;VII, règles générales en cette matière.

I. Nous avons déjà vu que l'assemblée constituante avait posé le principe de la séparation de l'ordre judiciaire et do l'ordre administratif *.

Ce principe a été établi par plusieurs textes. L'art. 7, sect. III, de la loi du 22 décembre 1789 porte: «Elles (les administrations de département et de district) ne pourront être troublées dans l'exercice de leurs fonctions administratives par aucun acte du pouvoir judiciaire. » L'art. 13, tit. II de la loi du 16-24 août 1790 dispose en termes plus généraux :

Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs. » La constitution du 3-14 septembre 1791 (tit. III, ch. V, art. 3) répète: a les tribunaux ne peuvent entreprendre sur les fonctions administratives. » La loi du 16 fructidor an III déclare de nouveau que « défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration de quelque espèce

'Cass. 7 déc. 1854, rapp. M. Nouguier. Bull. n. 336.

2 Voy. t. III, p. 265.

qu'ils soient. » Les art. 127 et suiv. du C. pén. apportent une sanction à cette prohibition.

Il résulte de ces textes une règle générale, c'est que les tribunaux ne peuvent connaître des actes administratifs, c'est qu'ils ne peuvent les apprécier ni les modifier, arrêter ni suspendre leur exécution: ces actes sont placés en dehors de leurs attributious, en dehors de leur compétence; il ne leur appartient pas de les soumettre à leur critique, à leur censure. Toutefois, tout en maintenant à cette règle toute sa force, il ne faut pas en exagérer les conséquences: ce que la loi interdit, c'est l'empiétement du pouvoir judiciaire, c'est l'entreprise sur les fonctions administratives, c'est toute espèce d'acte qui apporte quelque entrave à l'indépendance de l'administration. Mais il ne faut pas inférer de là que les juges ne puissent examiner les actes, non pour les critiquer, mais pour reconnaitre leur caractère et leur portée; non pour contester leurs dispositions, mais pour vérifier le droit par lequel ils existent, pour constater leur légalité.

Cette distinction, qui n'est que la conséquence rigoureuse des attributions du pouvoir judiciaire, a été plusieurs fois consacrée par la jurisprudence. Un arrêt de la chambre des requêtes l'a posée dans les termes les plus nets en déclarant : « que s'il importe à l'ordre public de maintenir le princípe fondamental du droit actuel sur la distinction entre les fonctions judiciaires et les fonctions administratives, il n'est pas moins essentiel, dans l'intérêt de ce même ordre public, que les lois qui ont établi cette distinction soient sainement entendues; qu'à cet égard la législation se compose de l'art. 13, tit. II de la loi du 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III; que la seule conséquence qui résulte de ces lois est que les cours et tribunaux sont dans la double impuissance d'exercer les fonctions administratives et de soumettre les actes de l'administration à leur censure, en les infirmant, les modifiant, arrêtant ou suspendant leur exécution; mais que, si un acte administratif attribue à quelqu'un la propriété d'un objet, les cours et tribunaux, juges exclusifs de toutes

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