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les questions qui dérivent du droit de propriété, doivent nécessairement prendre connaissance de cet acte pour y appliquer les principes de la législation commune, sous la seule condition de n'y point porter atteinte, ainsi que le déclare littéralement le décret du 30 thermidor an XII; qu'on ne peut, sans abuser des termes des lois précitées et méconnaître le décret du 30 thermidor an XII, soutenir qu'il y ait nécessité pour les juges de renvoyer la cause devant l'administration aussitôt que l'une des parties prétend trouver des doutes et matière à interprétation dans l'acte administratif invoqué par l'autre que ce serait en effet laisser à la discrétion d'un plaideur téméraire le droit de suspendre le cours de la justice, en élevant des doutes contre l'évidence el soutenant qu'il est nécessaire d'interprêter ce qui ne présenterait ni équivoque, ni obscurité ; qu'au contraire, et par la nature des choses et par celle de leurs devoirs, les cours et tribunaux doivent examiner si ou non l'acte produit devant eux attribue les droits réclamés; qu'ils doivent en cas de doute renvoyer à l'autorité administrative; que si, au contraire, l'acte leur paralt n'offrir ni équivoque, ni obscurité, ni doute sur le fait qu'il déclare ou sur la propriété qu'il attribue, ils doivent, sauf le cas de conflit légalement élevé, retenir la cause et la juger?. >>

C'est d'après cette distinction fondamentale qu'il a été décidé à diverses reprises, 1° « qu'à côté du principe constitutionnel qui défend aux tribunaux de s'immiscer dans les actes du pouvoir administratif, il en existe un autre qui leur ordonne aussi impérativement d'appliquer et d'exécuter ces actes lorsqu'ils émanent de ce pouvoir agissant dans le cercle de ses attributions; » 2° que l'interprétation d'un acte admi

Le jugement des contestations résultant de l'exercice des droits dans lesquels les émigrés rayés ont été restitués, appartient aux tribunaux, sous la seule sondition de ne porter aucune atteinte aux actes a Iministratifs. » Déc. 40 therm, an XII.

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Cass. ch. req. 13 mai 1824, rapp. M. Pardessus. J. P., t. XVIII, p. 705. Cass. 8 déc. 1833, ch. req., rapp. M. Lasagni. J. P. t. XXVII, p. 774.

nistratif ne peut appartenir qu'à l'autorité administrative'. Mais ces deux règles ne doivent être appliquées qu'avec de certaines restrictions.

La première soulève une difficulté. Il est clair que l'acte administratif ne peut être appliqué par l'autorité judiciaire qu'autant qu'il a été compétemment rendu, c'est-à-dire qu'il a été pris par un pouvoir agissant dans le cercle de ses attributions. S'ensuit-il que le tribunal ait le droit d'examiner la compétence de ce pouvoir et de déclarer l'irrégularité de l'acte? N'est-ce pas là s'immiscer dans les actes administratifs et faire ce que la loi défend? Ne doit-il pas se borner s'il reconnaît l'illégalité à surseoir jusqu'à ce qu'elle ait été appréciée par l'administration elle-même? Il nous semble qu'il faut distinguer entre l'interprétation d'un acte compétemment rendu et l'application d'un acte émané d'un pouvoir incompétent. Le juge ne peut interpréter un acte légal, car il n'exerce pas le pouvoir administratif; mais comment ne pourrait-il pas déclarer l'illégalité de l'acte qu'il est appelé à appliquer? Est-ce que l'obligation d'en faire l'application n'emporte pas le droit d'examiner s'il doit être appliqué? Dans une espèce où un officier de santé était poursuivi pour exercice illégal de la médecine dans un département où il n'avait pas été reçu, le prévenu, domicilié dans le Calvados, produisait une autorisation du préfet de ce département qui l'autorisait à se présenter devant le jury de Seine-et-Oise. Cette autorisation donnée en dehors de l'art. 37 de l'arrêté du 20 prairial an XI, était évidemment illégale; mais l'autorité judiciaire avait-elle le droit de le déclarer? La Cour de cassation a jugé, « que la juridiction correctionnelle était compétente pour apprécier l'exception résultant de l'autorisation administrative, puisque la loi n'a point délégué à l'autorité administrative le doit de déroger à la prohibition générale qu'elle a portée et qu'il n'y aurait lieu de surseoir au jugement de l'exception que dans le cas où l'interprétation

1 Cass. 4 août 1834, ch. civ., rapp. M. Vergès. J. P., t. XXVI, p. 836.

de l'acte pourrait autoriser cette dérogation. » Dans une autre espèce, au contraire, où les habitants d'une commune, poursuivis pour délit de chasse, excipaient d'un ordre du préfet prescrivant une battue aux loups, mais pris en dehors de J'arrêté du 19 pluviôse an v et des réglements sur la louveterie, la Cour de cassation a déclaré « que si la convocation adressée aux habitants a eu lieu en dehors des formes légales, l'obéissance de ces habitants n'aurait pu leur être imputée à délit qu'autant que le juge de répression serait entré dans l'examen d'un acte administratif dont il ne lui appartenait pas d'apprécier la valeur.» Mais il existe entre ces deux espèce cette différence que, dans la première, le préfet avait fait un acte tout à fait illégal en dehors de ses attributions et contraire à la loi, tandis que, dans la seconde, l'acte, pris dans le cercle des attributions du préfet, était seulement irrégulier dans sa forme par l'omission des conditions mises par les réglements à sa publication.

La seconde règle, celle qui défend l'interprétation des actes, admet des exceptions dans les cas suivants :

1° Lorsque l'acte administratif, fait en vertu d'une délégation du pouvoir législatif, participe de la nature des lois, car l'interprétation des lois appartient aux tribunaux 3.

2o Lorsque l'acte présente un sens clair et précis ; car « s'il est vrai, en règle générale, que lorsque les parties ne sont pas d'accord sur le sens et la portée d'un acte administratif dont l'exécution est confiée aux tribunaux, ceux-ci doivent surseoir à prononcer jusqu'à ce que l'autorité administrative l'ait expliqué, cette règle ne saurait recevoir d'application lorsqu'il s'agit de l'exécution d'un acte dont les dispositions sont claires et dont le sens et la portée ne présentent ni obscurité ni ambiguité *. »

*Cass. 24 avril 1856, à notre rapport. Bull. n. 158.

* Cass. 1er fév. 1850, rapp. M. Rocher. Bull. n. 2.

* Cass. 8 févr. 1845, rapp. M. Jacquinot. Dull. n. 41.

Cass. 30 mars 1831, ch. req., rapp. M. Menerville. J. P., t. XXIII, p. 1598; ch. crim. 17 déc. 1841, rapp. M. Romiguières. Bull. n. 362.

3 Lorsque l'acte est un contrat passé entre l'administration et des tiers; tels sont les baux et les adjudications. Plusieurs lois ou réglements ont, dans certaines matières, réservé l'interprétation de ces contrats à l'autorité administrative; ainsi, l'art. 136 du décret du 17 mai 1809, sur les octrois, l'arrêté du 8 floréal an XII et l'ord. du 24 mars 1819, sur les bacs et passages, l'arrêté du 3 floréal an VIII et l'ord. du 18 juin 1823, sur les eaux minérales, attribuent aux conseils de préfecture les contestations relatives aux baux des octrois, des bacs et des eaux minérales. D'autres lois, au contraire, défendent aux tribunaux l'interprétation de certains baux administratifs. Ainsi, l'art. 4 de la loi du 15 avril 1829, sur la pêche fluviale, porte que les contestations entre l'administration et les adjudicataires relatives à l'interprétation et à l'exécution des baux et adjudications seront portées devant les tribunaux. » Et l'art. 11 n° 5 de la loi du 3 mai 1844 défère également à l'examen des tribunaux « les clauses et conditions des cahiers des charges des fermiers de la chasse, soit dans les bois soumis au régime forestier, soit sur les propriétés dont la chasse est louée au profit des communes ou établissements publics. » De ces textes contraires que faut-il conclure? que, sauf les cas où la loi a formulé une réserve expresse, le droit d'interpréter les baux administratifs appartient à l'autorité judiciaire, parce que tel est le principe du droit commun, parce que les contrats ne changent pas de nature lorsque l'administration y figure comme partie, parce que la loi du 28 pluviose an VIII ne les a point attribués à l'autorité administrative. Il faut tenir avec plus de certitude encore que les bauxdes biens communaux qui tiennent à l'exercice des fonctions municipales relatives à la gestion des communes et qui participent plus du caractère des actes privés que de celui

Conf. Merlin, Quest. de droit, vo pouvoir judiciaire, § 9, n. 3; Henrion de Pansey, Pouvoir munic., p. 63; Cormenin, Quest. de droit adm., vo Baux admin., t. I, p. 401; Foucart, t. II, p. 519; Daviel, no 467 et 497; Mangin, Act. publ., no 179; Leseyllier, n. 1404.

des actes administratifs, rentrent dans les règles ordinaires du droit civil dont l'application appartient aux tribunaux '. Nous verrons plus loin si cette application ne forme pas, devant la juridiction de police, l'objet d'une question préjudicielle.

En résumé, les tribunaux ne peuvent, en règle générale, s'immiscer dans les actes du pouvoir administratif; ils ne peuvent ni leur porter atteinte, ni les restreindre, ni même, en cas de doute ou d'obscurité, les interpréter; mais ils peuvent et doivent rechercher 1° quel est leur véritable sens, quand ce sens ne soulève aucune question sérieuse; 2° s'ils émanent d'une autorité agissant dans le cercle de ses attributions; 3' s'il y a lieu d'en ordonner l'application ou l'exécution.

Cette distinction va nous servir à déterminer la compétence des tribunaux de police dans les principales hypothèses où ils se trouvent en présence d'actes administratifs.

II. La matière dans laquelle les rapports entre le tribunal de police et l'autorité administrative sont le plus fréquents est la matière de la voirie. Il est donc important de séparer avec soin, en premier lieu, les contraventions de grande. voirie, qui appartiennent à la juridiction administrative, et les contraventions de petite voirie, qui appartiennent à la juridiction de police.

La grande voirie comprend : 1° les grandes routes nationales et départementales; 2° les canaux et fleuves et r vières navigables, avec leurs chemins de halage et de francs bords; 3° les ports maritimes de commerce et travaux à la mer; 4o les chemins de fer auxquels les lois et régle

'Cass. 24 sept. 1825, rapp. M. Chantereyne. J. P., t. XIX, p. 896; 2 janv. 1817, rapp. M. Chasle, L. XIV, p. 2; 10 janv. 1806, rapp. M. Vermeil, t. V, p. 128; 6 août 1829, rapp. M. Messadier, t. XXII, p. 1338; 22 avril 1852, rapp. M. Rocher. Bull. n. 128; 13 mai 1854, rapp. M. Aug. Moreau, n. 159.

2 Loi 29 flor. an x; décr. 16 déc. 1811.

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