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mème de ces réglements. Soit qu'ils émanent du pouvoir exécutif des préfets ou des maires, il est impossible de les considérer comme des actes administratifs dans le sens propre et ordinaire de cette expression. Rendus en vertu d'une délégation directe du pouvoir législatif, ils participent, ainsi que nous l'avons établi, de la nature de la loi; ils ont, sur les matières de police, tous les effets et toute la force des lois pénales.

Or, le pouvoir d'examiner les lois et de les interpréter appartient à l'autorité judiciaire; elle tient cette attribution de la loi constitutionnelle et de la nature des choses. L'application des lois, en effet, est le but de la justice; or, cette application exige nécessairement que le juge vérifie si les actes qu'on invoque devant lui sont des lois et quel est leur sens véritable. Le tribunal de police ne fait donc autre chose qu'exercer, à l'égard des réglements, le droit que tous les tribunaux exercent à l'égard des lois. Il en vérifie la légalité ; il en fait l'interprétation.

Ce principe a été reconnu par la jurisprudence dans une espèce où le réglement émanait du pouvoir exécutif. Une ordonnance du 2 mai 1841 avait établi un péage sur un pont suspendu; des difficultés s'étant éle ées sur la perception de ce péage, une poursuite fut exercée devant le tribunal de police qui sursit à statuer, sous prétexte qu'il ne pouvait interpréter un acte administratif; ce jugement a été cassé: « Attendu que l'ordonnance du 2 mai 1841 ne puise sa base légale que dans les art. 9, 10 et 11 de la loi du 14 floréal an x et dans les art. 124 de la loi du 25 mars 1817 et 7, § 3, de celle du 24 juillet 1848, qui déléguent au pouvoir exécutif le droit d'établir le tarif des taxes à percevoir au passage des ponts; qu'il suit de là que l'ordonnance, n'étant que le résultat de cette délégation du pouvoir législatif, partici– pait ainsi essentiellement de la nature des lois dont l'interprétation appartient aux tribunaux; que le jugement attaqué, en surséant à statuer sous le prétexte qu'une semblable. réclamation nécessitait l'interprétation d'un acte administra

tif, et en méconnaissant ainsi le véritable caractère de l'acte qu'il lui appartenait d'apprécier, a violé les règles de sa propre compétence'. »

Un autre motif, non moins puissant, mais qui concerne plus spécialement l'examen de la légalité, est que le tribunal de police n'a qu'une compétence restreinte aux objets de police et qu'il ne peut sans excès de pouvoir l'étendre sur d'autres objets, sur une matière qui sortirait du cercle de la police. Comment pourrait-il appliquer une peine à un fait qui ne serait pas une contravention de police? Ne serait-ce pas prononcer sur des matières qui ne rentreraient pas daus la limite de sa compétence? Ce motif a été plusieurs fois exprimé par la jurisprudence. Dans une première espèce, où il s'agissait d'un arrêté qui défendait tout acte de travail et de commerce les fêtes et dimanches, la Cour de cassation a déclaré : « que les tribunaux criminels, applicateurs de la loi seulement, ne peuvent puiser des condamnations que dans la loi; que si les tribunaux ne peuvent pas connaître des actes administratifs, ni mettre des entraves à leur exécution, ils ne peuvent aider cette exécution que par les moyens qui rentrent dans le cercle de leur autorité; qu'en matière de police municipale, et en cas d'infraction aux réglements faits par les administrateurs chargés de cette partie, les tribuuaux ne peuvent punir ces infractions qu'autant que ces régléments se rattachent à l'exécution d'une loi existante et portant une peine contre les contrevenants, ou qu'ils rentrent dans les objets confiés à l'autorité des administrations municipales par l'article 3, tit. II, de la loi du 16-24 août 1790. » Dans une autre espèce, dans laquelle il aurait été établi par un réglement une taxe de location dans un marché, la même Cour a déclaré encore que les tribunaux de police ne sont compétents pour prononcer des peines sur les contraventions aux

Cass. 8 fév. 1845, rapp. M. Jacquinot. Bull. n. 44.

* Cass. 2 août 1810, rapp. M. Rataud. J. P., t. VIII, p. 514. 2 juill. 1813, rapp. M. Aumont, t. XI, p. 516,

réglements de l'autorité municipale, en vertu de l'attribution qui leur a été conférée par les art. 1, 2 et 5, tit. XI, de la loi du 16-24 août 1790, que relativement à ceux de ces réglements qui ont été rendus sur des objets de police confiés à la vigilance de cette autorité par l'art. 3 du même titre, ou qui ont publié de nouveau les lois et réglements de police antérieurs à la loi du 19-22 juillet 1791, maintenus par l'art. 29 de cette loi, et qui ont rappelé les citoyens à leur observation; que, dans l'espèce, le tribunal de police était sans caractère pour prononcer des peines sur les contraventions qui étaient poursuivies devant lui'. »

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Or, si le tribunal de police ne peut sortir du cercle qui lui a été tracé par la loi, ne suit-il pas nécessairement qu'il a le droit et l'obligation d'examiner la matière de chaque réglement? Comment s'assurera-t-il de sa propre compétence sans examiner la légalité de l'acte qu'il est appelé à appliquer, sans vérifier si cet acte a été pris dans les limites des attributions du fonctionnaire qui l'a rendu? Tel est le motif général des arrêts qui ont reconnu le droit du juge de police d'examiner la légalité des réglements; ils se bornent, en effet, à déclarer, tantôt qu'il n'y a lieu, par les tribunaux de police, de réprimer les contraventions aux actes de l'autorité municipale que lorsque ces actes sont relatifs à des objets confiés à sa vigilance et sur lesquels elle est autorisée à agir par voie de réglement* »; tantôt « que l'autorité judiciaire a toujours le droit d'examiner si les dispositions réglementaires qu'elle est appelée à sanctionner par l'application d'une peine, ont été prises par l'autorité qui les a portées dans les limites de sa compétence * »; tantôt enfin, « que l'autorité judiciaire ne doit assurer, par l'application des peines de l'art. 471 du C. pén., que l'exécution des réglements légalement faits par

'Cass. 15 janvier 1820, rapp. M. Aumont. J. P., t. XV, p. 701.

2 Cass. 1er avril 1826, rapp. M. Gary. J. P., t. XX, 385.

* Cass. 48 janv. 1838, rapp. M. Mérilhou. Bull. n. 16; 4 janvier 1839, rapp. M. Vincens Saint-Laurent, u. 40.

l'autorité administrative; qu'elle est donc fondée à examiner si les réglements auxquels il aurait été contrevenu ont été pris dans le cercle des autorités municipales ou administratives '. »

Enfin, un troisième motif est pris du droit de défense qui appartient à tous les prévenus, quelle que soit la juridiction devant laquelle ils sont cités. Les réglements de police créent des charges et des devoirs; ils infligent des peines à ceux qui enfreignent leurs prescriptions; ceux-ci ont donc le droit de faire valoir toutes les exceptions qui peuvent effacer cette infraction; ils ont le droit de soutenir, ou que l'arrêté émane d'un officier incompétent, ou qu'il est contraire aux lois, ou qu'il n'est pas exécutoire, ou qu'il est faussement interprété dans l'application qui en est faite. Ce sont là des moyens qui appartiennent à la défense des prévenus et dont ils ne sauraient dans aucun cas être privés, puisque tout réglement illégal ou non exécutoire, ou étendu en dehors de ses termes, est sans force, et que, par conséquent, en face d'un tel acte, la contravention n'existe plus. La Cour de cassation a pleinement consacré cette règle en déclarant, « que les citoyens ont le droit de débattre la légalité des réglements ou des arrêtés de police, chaque fois qu'ils sont poursuivis pour avoir enfreint leurs dispositions. » Le juge de police, s'il n'examinait pas d'office, comme il en a le devoir, la légalité des réglements, serait donc provoqué à cet examen par les parties, et, par conséquent, son attribution acquiert encore une certitude nouvelle.

De ce qui précède on doit inférer « que les juges de police, quand on leur demande de punir une infraction aux réglements de police, ont le droit d'examiner si ces réglements sont dans la sphère des attributions de l'autorité dont ils sont émanés et sont conformes aux lois qui déterminent la nature, l'étendue et les limites de ses pouvoirs, et que ce

↑ Cass. 7 mai 1841, rapp. M. Vincens St-Laurent. Bull. n. 130.

2 Cass. 17 nov. 1849, rapp. M. Rives, Bull. n. 306.

n'est qu'alors qu'il est reconnu que cette autorité a agi légalement et sur des objets confiés à sa surveillance que ces juges ne peuvent refuser la sanction pénale qui leur est dc-. mandée au nom des lois 1. >>>

Le droit de vérifier la légalité des réglements comporte nécessairement le pouvoir d'examiner, 1o s'ils émanent d'une autorité compétente; 2° s'ils ont été pris dans le cercle des attributions de cette autorité; 3° s'ils dérogent ou sont contraires à quelque loi existante; 4° s'ils sont régulièrement exécutoires.

Le droit d'interprétation qui appartient au juge lui donne également le pouvoir de rechercher le vrai sens des dispositions de chaque réglement, sans toutefois qu'il puisse les restreindre ou les étendre, les blâmer ou les censurer.

Nous allons parcourir ces différents points.

III. Le juge de police doit, en premier lieu, vérifier si les réglements émanent d'une autorité compétente. En effet, si le fonctionnaire dont ils émanent n'avait pas de délégation pour les prendre, ils seraient sans force et ne seraient susceptibles d'aucune exécution.

C'est ainsi qu'il a été décidé que l'arrêté d'un ministre ou du directeur général d'une administration publique ne peut être assimilé à un réglement de police, parce que ces fonctionnaires, quelqu'élevés qu'ils soient, ne sont pas investis du pouvoir réglementaire'. C'est ainsi qu'il a encore été déclaré que les commissaires de police n'ont pas le droit de faire des réglements municipaux et que le tribunal de pòlice doit refuser la sanction pénale aux injonctions de cet officier qui auraient un caractère réglementaire. Ce tribunal doit donc rejeter les arrêtés qui auraient été pris par l'un de ces fonctionnaires; car ces actes, considérés comme réglements de police, ne sont pas obligatoires.

Cass. 9 août 1828, rapp. M, Gary. J. P., t. XXII, p. 188. * Cass. 12 mai 1848, rapp. M. de Boissieux. Bul', n. 147.

* Cass. 24 avril 1845, rapp. M. Mérilhou, Bull, n. 149.

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