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Mais il ne suit pas de là que le juge de police doive rechercher la légalité du titre et de l'exercice de l'autorité dont le réglement émane; il lui suffit que cette autorité ait compétence pour prendre ce réglement, il lui suffit qu'il ait été pris, dans les limites des ses attributions, soit par le maire de la commune où son application est requise, soit par le préfet du département, soit par le pouvoir exécutif. Il n'a point à vérifier si le préfet avait été régulièrement installé dans ses fonctions, si le maire avait prêté serment ou n'exerçait point d'autres fonctions incompatibles; car il commettrait, par cette recherche et la décision qui en serait la suite, un trouble aux fonctions d'une autorité administrative, ce que la loi, ainsi qu'on l'a vu, lui interdit: tout ce qui lui importe d'ailleurs de constater, c'est la compétence de la fonction dont l'arrêté émane, c'est l'attribution dont cette fonction est investie. Un prévenu de contravention soutenait que le maire était sans caractère pour prendre aucun arrêté, parce qu'il était militaire en activité de service, et le tribunal de police avait écarté ce moyen en se fondant sur la régularité de l'élection de ce fonctionnaire comme membre du conseil municipal et comme maire; mais, sur le pourvoi, la Cour de cassation n'a point hésité à déclarer « qu'aux termes de l'art. 13, tit. II, de la loi du 19-24 août 1790, et de la loi du 16 fructidor an 3, il n'appartient point à l'autorité judiciaire d'apprécier la prétendue illégalité des actes qui sont émanés de l'autorité administrative agissant dans les limites de ses attributions'.

IV. Le juge de police doit vérifier, en second lieu, si l'arrêté a été pris dans le cercle des attributions de l'autorité dont il émane.

Il ne peut, en effet, appliquer la sanction de l'art. 471, n° 15, du C pén., qu'aux réglements soit de l'autorité administrative, soit de l'autorité municipale, qui sont légalement

Cass. 9 juin 1832, rapp. M. Rives. J. P., t. XXIV, p. 1154.

faits, c'est-à-dire, qui ont été faits en vertu d'une déléga– tion directe de la loi. Si cette délégation légale n'existe pas, si le réglement n'a pas été pris, soit dans les limites et en vertu des art. 3 et 4 du tit. XI de la loi du 16-24 août 1790, soit en vertu de quelque loi spéciale et dans le cercle tracé par cette loi, il manque de base et les infractions commises à ses dispositions ne sont passibles d'aucune peine.

Ou peut citer comme exemples d'arrêtés municipaux qui ont été pris en dehors du cercle tracé par les art. 3 et 4, tit. XI, de la loi du 16-24 août 1790 et qui, par conséquent, n'étaient pas obligatoires pour le juge de police : l'arrêté qui, en établissant un monopole contraire à la liberté de l'industrie, attribue à un seul entrepreneur, soit la distribution des billets de faire part des naissances, décès et autres événe→ ments qui arrivent dans les familles, soit le droit exclusif d'opérer la vidange des fosses d'aisance dans une commune '; l'arrêté qui prescrit aux marchands forains de soumettre leurs marchandises à une vérification préalable d'experts nommés par l'administration municipale ; ou qui veut qu'aucun ouvrier travaillant avec bruit ne puisse s'établir dans une boutique ou atelier sans avoir au préalable l'avis des voisins et l'autorisation de l'administration ; l'arrêté qui défend aux habitants de prendre à leur service des domestiques qui ne seraient pas pourvus d'un livret délivré par le maire ou qui défend d'employer dans les ateliers des ouvriers non munis d'une carte de sûreté ; l'arrêté qui prescrit aux personnes étrangères qui veulent résider dans une ville de se présenter à la mairie pour être inscrites sur un registre et recevoir un permis de résidence, ou qui ordonne aux propriétaires de

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Cass. 1er avril 1820, rapp. M. Gary. J. P., t. XX, p. 335.

Cass. 4 janvier 1839, rapp. M. Vincens St-Laurent, Bull. n. 10.

3 Cass. 7 mai 1844, rapp. M. Vincens St-Laurent. Bull, n. 130.

4 Cass. 18 mars 1847, rapp. M. Rives. Bull. n. 130.

Cass. 9 nov. 1843, rapp. M. Rives. Bull. n. 276.

Cass. 18 juill. 1846, rapp. M. Jacquinot. Bull. n. 491.

Cass. 1er août 1845, rapp. M. Mérilhou. Bull. n. 251; 8 octobre 1846, rapp. M. Vincens St-Laurent, n. 272.

déclarer toutes les mutations qui ont lieu parmi leurs locataires; l'arrêté qui limite le changement des voitures circulant sur les chemins vicinaux d'une commune, ou qui oblige les entrepreneurs d'une voiture publique à fournir un bulletin quotidien indicatif des personnes qu'ils ont transportées 3; l'arrêté qui enjoint à un industriel de fermer une usine, à raison du danger qu'elle peut présenter pour l'incendie *; l'arrêté qui prescrit à tout brocanteur d'avoir un registre pour y inscrire ses achats ; l'arrêté qui défend aux logeurs de militaires de faire coucher deux militaires dan le même lit '; l'arrêté qui fixe les heures de travail des moulins à vent dans certains lieux; l'arrêté qui prescrit aux constructeurs de maisons, dans un but d'embellissement, l'application, d'un système uniforme de décoration extérieure ; l'arrêté qui interdit les réunions privées dites veillées qu'il n'aurait pas permises, etc.

On peut citer comme exemples d'arrêtés pris par les préfets en dehors de la délégation spéciale qui leur a été faite par la loi: — L'arrêté qui interdit l'usage des chiens levriers pendans la saison où la chasse est permise 10; l'arrêté qui prescrit aux sages-femmes d'inscrire sur un registre les noms des femmes ou filles qu'elles reçoivent chez elles pour y faire leurs couches 11; l'arrêté qui, sans le concours des conseils d'arrondissement et de département, porte défense de vendre des bestiaux à un marché **, etc.

On peut citer enfin comme exemples de réglements du

1 Cass. 28 janv. 1853, rapp. M. Jallon. Bull. n. 40.

* Cass. 4 sept. 1847, rapp. M. Jacquinot. Bull. n. 211.

* Cass. 27 avril 1848, rapp. M. de Boissieux. Bull. n. 124.

Cass. 23 nov. 1850, rapp. M. Vincens St-Laurent. Bull. n. 399.

5 Cass. 27 novembre 1851, rapp. M. de Glos. Bull. n. 415.
Cass. 25 mars 1852, rapp. M. de Glos, Bull. n. 107.
Cass. 25 nov. 1853, rapp. M. V. Foucher. Bull. n. 557.
Cass. 15 janv. 1844, rapp. M. Rives. Bull. n. 13.
⚫ Cass. 30 juin 1842, rapp. M. Mérilhou. Bull. n. 168.
10 Cass. 24 juin 1855, rapp. M. Rives n. 222.

11 Cass. 12 sept. 1846, rapp. M. Rocher. Bull. n. 249.
11 Cass. 5 avril 1851, rapp. M. Quénault. Bull. n. 135.

pouvoir exécutif, pris également en dehors de la délégation du pouvoir législatif, et dès lors non obligatoires comme réglements de police: le décret du 22 mars 1813, art. 2, et l'ordonnance du 30 juillet 1836, art 33, qui déléguent à la juridictiction administrative des infractions à la police des carrières que l'art. 95 de la loi du 21 avril 1810 a déférées à la juridiction des tribunaux'; l'ordonnance du 2 mai 1841 portant création d'un péage hors des cas prévus par la loi'; l'ordonnance du 14 décembre 1834, établissant un péage sur un pont, sans avoir observé les formes prescrites par la loi3, loi 3, etc. L'arrêt, qui déclare que cette dernière ordonnance n'était pas obligatoire, rappelle le principe « qu'il faut, pour l'application de l'art. 471, no 15, du C. pén., que les réglements émanés de l'autorité administrative soient légalement faits, et que les tribunaux n'excèdent point les limites de leur compétence lorsque, sans annuler des actes administratifs, ils refusent d'appliquer, à titre de sanction pénale, les dispositions dudit § 15 de l'art. 471 aux contraventions à des actes de cette nature, lorsqu'ils ne sont pas légalement faits. »

Si le réglement, dont l'application est poursuivie devant le tribunal de police, contient à la fois des dispositions. obligatoires et des dispositions excessives, le tribunal doit appliquer les unes et dénier aux autres toute sanction pénale. La légalité de celles-là ne saurait, en effet, protéger et couvrir celles-ci: chaque prescription du réglement, successivement interrogée, doit justifier de la délégation particulière qui lui donne une existence légale, et dès qu'elle sort du cercle de cette délégation, elle est, en ce qui touche l'excès, réputée non écrite. C'est ainsi qu'il a été reconnu qu'il importe peu que des dispositions illégales soient mêlées à des dispositions légales dans un réglement porté sur une matière soumise au pouvoir réglementaire;

'Cass. 29 août 1851, rapp. M. Legagneur, Bull. n. 364. 2 Cass. 8 février 1845, rapp. M. Jacquinot, Bull. u. 44. Cass. 44 juin 1844, rapp. M. Romiguières. Bull. n. 208,

que chaque disposition dont on vient demander aux tribunaux la sanction pénale doit être examinée dans sa valeur intrinsèque et dans ses rapports de conformité avec la loi qui a conféré à l'autorité administrative le droit de faire des réglements sur des matières déterminées '.

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V. Le juge de police ne doit pas se borner à vérifier si les arrêtés ont été pris dans le cercle de la délégation attribuée soit aux maires, soit aux préfets, soit au pouvoir exécutif; il doit rechercher encore si les arrêtés, même émanés d'une autorité compétente, sur les objets que cette autorité avait le droit de réglementer, ne sont pas contraires aux lois rendues sur la même matière.

Le pouvoir réglementaire, en effet, est circonscrit par toutes les lois qui ont successivement réglé quelques-uns des objets qui forment la matière de la police. Son action, libre dans la sphère légale qui lui est laissée, est enchaînée toutes les fois que le point sur lequel elle dispose a été fixé par le législateur lui-même, toutes les fois que ses prescriptions rencontrent dans les lois une limite qui les arrête. Les réglements de police ont l'autorité et les effets de la loi dans l'application qui en est faite aux justiciables; mais ces lois restreintes et locales, nées de la délégation même du pouvoir législatif, sont nécessairement subordonnées aux, lois générales qui émanent de ce pouvoir lui-même ; elles ne peuvent donc y déroger, et à plus forte raison, leur opposer quelque disposition contraire.

Le tribunal de police ne doit donc reconnaître aucune force légale aux dispositions des arrêtés qui ajoutent ou retranchent aux textes de la loi, qui dérogent à ses règles ou les modifient d'une manière quelconque. La jurisprudence a souvent consacré ce point: il suffira de citer quelques

arrêts.

Un arrêté prohibait tout dépôt de matériaux dans les rues

Cass. 48 janv. 1838. rapp, M. Méri hou, Bull, n. 16.

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