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qu'en cela ce jugement est parfaitement légal; que tout tribunal a le droit d'ordonner, d'office, toutes les mesures d'instruction qui lui semblent propres à faciliter la manifestation de la vérité; que ce droit, nécessaire pour satisfaire la conscience du juge, est, par cela même, inhérent à sa juridiction; que ce principe est consacré, en matière civile, par plusieurs articles du Code de procédure, notamment par l'art. 254 qui autorise les juges à ordonner, d'office, la preuve des faits qui leur paraissent concluants; qu'il l'est également en matière criminelle, pour les juges d'instruction, par les art. 71, 87 et 88 du C. d'inst. cr., et pour les Cours d'assises, par l'art. 269; et qu'encore bien qu'aucune dis◄ position expresse n'existe à ce sujet dans les chapitres du même code, relatifs aux tribunaux de police simple et correctionnelle, il n'en doit pas moins recevoir son application dans ces juridictions comme dans les autres. »

Les témoins sont appelés, soit par citation, comme l'indique l'art. 157, soit par simple avertissement, suivant la règle posée par l'art. 147 et par l'art. 170; ils peuvent même, sans aucun acte préalable, être amenés par les parties à l'audience, ainsi que le permet l'art. 153. Il a été jugé dans ce sens, sous l'empire de l'art. 162 du C. du 3 brum. an IV, dont l'art. 153 a fidèlement reproduit les termes : « qu'il résulte du procès-verbal d'enquête que le réclamant avait amené volontairement devant le juge de paix deux témoins, et qu'il l'a requis de procéder à leur audition; que l'art. 162 veut que les témoins ainsi amenés soient entendus, et qu'il s'ensuit que le juge de paix, en décidant que ces témoins ne devaient pas être entendus et en refusant, en effet, de procéder à leur audition, sous prétexte qu'ils n'avaient pas été cités, a formellement contrevenu à cet article 2. »

La loi n'a point prévu le délai dans lequel la citation doit

Cass. 11 sept. 1840, rapp. M. Vincens St-Laurent, Bull. n. 274; 47 mai 1844, rapp. M. Jacquinot. Bull. n. 174.

Cass, 15 fév. 1811, rapp. M. Liborel, J, P., t. IX, p. 108.

être donnée avec témoins. Il n'y a pas lieu d'appliquer celui que l'art. 146 a déterminé pour la citation faite aux prévenus, puisque le délai nécessaire à la défense de ceux-ci n'est nullement nécessaire aux témoins, et que si le prévenu n'a que vingt-quatre heures pour citer ses témoins, ceux-ci ne peuvent jouir du même délai pour comparaître. Il n'y a pas lieu non plus de recourir à l'art. 260 du C. de proc. civ., puisque cet article ne fait à peu près qu'étendre aux témoins appelés dans les enquêtes la règle que l'art. 146 du C. d'instr. crim. a prescrite à l'appel des prévenus. Il faut donc tenir comme un point constant qu'il n'y a pas de délai fixe et que les parties, à la requête desquelles les témoins sont appelés, sont tenues seulement de mesurer le délai de manière qu'ils aient le temps de parcourir la distance qui sépare le lieu de leur résidence du lieu de l'audience. La citation pourrait donc être donnée, si le témoin réside sur le lieu. même, pour comparaître à une heure quelconque du jour même où elle est remise, et c'est là ce qu'indique l'art. 170 du C. d'inst. cr., relatif aux citations des témoins devant le tribunal de police du maire : « elles pourront être faites par un simple avertissement qui indiquera le moment où leur déposition sera reçue. »

II. Si les témoins régulièrement cités ne comparaissent pas, le tribunal peut, sur le premier défaut, les condamner à l'amende et ordonner qu'ils seront réassignés, et, en cas de second défaut, prescrire qu'ils seront contraints par corps à venir donner leur témoignage. L'art. 157 porte, en effet : « Les témoins qui ne satisferont pas à la citation, pourront y être contraints par le tribunal qui, à cet effet, et sur la requisition du ministère public, prononcera, dans la même audience, sur le premier défaut, l'amende, et, en cas de second défaut, la contrainte par. corps. »

Une première observation est que ces mesures rigoureuses ne doivent être appliquées qu'aux témoins qui ont été appelés par une citation régulière, et il faut ajouter, en temps

utile. La loi ne parle, en effet, que de ceux qui ne satisferont pas à la citation, et cette formule, reproduite par les art. 80 et 304, est l'application d'une règle générale. Il y a lieu de présumer que les personnes qui n'auraient été qu'averties par écrit ou verbalement, peuvent ne point attacher à cet avertissement l'idée du devoir que la qualité de témoin impose '. La citation seule forme le lien judiciaire qui oblige le témoin à comparaître devant la justice; c'est l'infraction à cette obligation légale que la loi répute une faute. Si donc le témoin défaillant n'avait été appelé que par un simple avertissement, il y aurait lieu, avant de prononcer l'amende, de renvoyer l'affaire à une autre audience pour qu'il y fut régulièrement cité, et ce n'est que sur le défaut qui aurait suivi cette citation que l'amende pourrait être infligée ".

Quel est le taux de cette amende? La loi n'en détermine aucun. Faut-il le chercher dans l'art. 137 qui limite à 15 francs les amendes que prononce le tribunal de police, ou dans l'art. 80 qui permet au juge d'instruction d'infliger aux témoins défaillants une amende qui n'excédera pas 100 francs? L'art. 137 ne fixe que le maximum des amendes applicables aux simples contraventions; or, le refus d'un témoin de comparaître n'a point le caractère d'une contravention et n'a d'ailleurs été prévu par aucune loi de police; comment lui faire l'application d'une peine de police? Ce refus, qui constitue un manquement à la justice, une désobéissance à ses règles, rentre dans un autre ordre de faits : il a été prévu par l'art. 80, et il est évident que, si ses conséquences sont différentes suivant l'importance des faits auxquels il se rattache, son caractère intrinsèque est le même devant toutes les juridictions. Aussi les rédacteurs du Code n'ont point hésité à considérer cet article comme une règle générale que les art. 304 et 355 ont étendue à tous les témoins appelés dans le cours de l'instruction criminelle, et que l'art. 204 du C. de

1 Voy. t. V, p. 544.

2 Conf. Legraverend, t. II, p. 829.

proc. civ. a également appliquée aux témoins appelés dans les enquêtes civiles. La Cour de cassation a déclaré « que les dispositions générales des art. 80 et 157 forment le droit commun de toute procédure en matière pénale. La seule objection sérieuse qu'on puisse opposer au tribunal de police est la limitation de son pouvoir, son incompétence; mais d'abord le juge d'instruction, qui n'a point de juridiction pénale, n'est-il pas compétent pour prononcer cette amende? Les tribunaux civils et même le juge-commissaire chargé de procéder à une enquête, quoiqu'ils ne puissent en général appliquer aucune peine, n'ont-ils pas, aux termes des art. 263 et suiv. C. de proc. civ., la même compétence? Ensuite, il est de principe que toutes les fois qu'un tribunal est appelé à défendre sa juridiction, sa compétence se développe et s'étend suivant l'exigence des faits; c'est ainsi que l'art. 505, ainsi qu'on l'a vu, autorise le juge de police, lorsqu'un tumulte, accompagné d'injures, éclate à son audience, à prononcer, à la charge d'appel à la vérité, des peines de police correctionnelle. Or, l'absence volontaire d'un témoin rentre à certains égards dans les troubles commis à l'audience: c'est un em-pêchement apporté à l'exercice de la juridiction, une entrave au cours de la justice; il y a donc lieu de penser que la loi a voulu, dans ce cas comme dans le cas de l'art. 505, armer le juge d'un pouvoir extraordinaire propre à faire cesser la rẻsistance qu'il rencontre; et, ce qui vient encore à l'appui de cette interprétation, c'est le droit de contrainte qui accompagne le droit d'infliger l'amende ; ces deux facultés s'expliquent l'une l'autre et indiquent que la règle ordinaire de la compétence reçoit ici une exception '.

Mais l'amende, quand elle excéde 5 francs, ne doit-elle être prononcée qu'à charge d'appel? On peut dire pour la négative que l'art. 80 déclare formellement que le juge d'instruction la prononcera sans appel; que, dès qu'il est admis

*Cass. 15 nov. 1844, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 368.

* Conf. Legraverend, t. II, p. 334; Boitard, n. 765, p. 559.

VII.

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que le tribunal de police doit se référer à cet article, il faut induire qu'il doit en suivre toutes les règles sans pouvoir les scinder; que l'art. 158 n'ouvre au témoin condamné que la scule faculté de présenter ses excuses devant le juge qui a prononcé l'amende. On peut répondre que ce n'est qu'en ce qui touche le chiffre de l'amende que l'art. 157 s'est référé à l'art. 80; que, relativement aux règles de la procédure, cet article et celui qui le suit ont tracé des dispositions nouvelles qui doivent seules être observées; que, parmi ces dispositions ne se trouve point l'exemption de l'appel, que l'art. 158, qui ne fait qu'ouvrir la voie de l'opposition contre un jugement par défaut, n'est pas exclusif de ce recours; que l'art. 505 n'a autorisé le tribunal de police à prononcer dans le cas qu'il prévoit des peines correctionnelles qu'à la charge de l'appel; enfin que l'art. 172 pose en règle générale que les jugements rendus par les tribunaux de police pourront être attaqués par ce recours lorsqu'ils prononceront une amende excédant la somme de 5 francs. Cette dernière opinion, qui a l'avantage de placer une garantie à côté d'un pouvoir dont l'exercice entre les mains du juge de police est exceptionnel, semble devoir être préférée 1.

Au reste, l'art. 157 ne donne au juge de police qu'une faculté dont il ne doit se servir qu'au seul cas où la déposition du témoin absent est indispensable au jugement de l'action. La Cour de cassation a déclaré en conséquence « qu'il résulte de cet article que les tribunaux ont la faculté d'user ou de ne pas user des moyens qu'il indique pour obliger les témoins cités à venir faire leurs déclarations en justice, soit qu'il s'agisse des témoins cités à la requête du ministère public, soit qu'il s'agisse des témoins cités à la requête du prévenu; que c'est aux juges à examiner les motifs qui ont pu porter les témoins à ne pas comparaitre, à apprécier le véritable but du prévenu qui les a fait assigner, et à juger si ces témoins sont ou non utiles à la manifestation de la vérité; que, dans l'espèce, l'arrêt at

1 Conf. Carnot, t. I, p, 677.

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