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irrégularité aussi grave, lorsqu'elle ne résulte pas formellement du jugement? Faut-il supposer une formalité éludée ou tronquée quand il est constaté qu'elle a été remplie? Ne suffit-il pas que son accomplissement soit énoncé, sans qu'il soit besoin d'ajouter le mode de cet accomplissement? I semble que la jurisprudence aurait pu se contenter de cette énonciation générale; et cependant, comment blâmer l'inquiète sollicitude de la Cour de cassation, qui, appelée à vérifier l'exécution de cette formalité, la plus importante de toutes les formes de cette procédure, a voulu savoir, nonseulement si un serment a été prêté, mais comment il l'a été? n'a-t-elle pas dû peut-être apporter ici une défiance d'autant plus grande qu'il s'agit d'un juge unique, qui peut né– gliger les règles légales ou confondre celles qui sont relatives aux deux juridictions qu'il exerce à la fois?

Dans l'état actuel de la jurisprudence, le serment des témoins doit être constaté, à peine de nullité, soit par la transcription dans le jugement ou dans les notes d'audience de la formule de l'art. 155, soit par l'énonciation que le serment a été prêté dans les termes de cet article. Les arrêts portent, en effet, « que la constatation légale du serment prêté par les témoins ne peut résulter que de la transcription dans le jugement de la formule du serment ou de la mention de l'article de la loi auquel le tribunal s'est conformé pour l'accomplissement de cette formalité. » On peut cependant citer encore une troisième formule que la jurisprudence a respectée : quelques jugements ont constaté que les témoins ont été entendus après prestation de serment et accomplissement des autres formalités prescrites par la loi. Ila paru sans doute que cette double mention du serment et des autres formalités légales emportait une présomption que toutes les formalités avaient été régulièrement accomplies. Un arrêt a jugé : « que cette mention implique d'une part qu'il a été satisfait au vœu de la loi, en ce qui concerne la première de ces formalités comme

'Cass. 17 juin 1852, rapp. M. Quénault. Bull. n. 197.

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celles qui l'ont suivie, et d'autre part, que le serment prêté par les témoins a été celui que présente l'art. 155. » Un autre arrêt plus explicite encore déclare « que l'arrêt attaqué en constatant que les témoins cités à la requête du ministère public, n'ont été entendus qu'après le serment et les formalités prescrites par la loi, n'a pu d'après sa rédaction, entendre que le serment des témoins prescrit par l'art. 155; que la formule de ce serment, déterminée par l'art. 75 est identiquement la même que celle de l'art. 155; que la formule du serment de l'art. 317, en supposant qu'elle fût celle adoptée dans le débat dont il s'agit, comprend celle dudit art. 155; qu'ainsi il est suffisamment démontré que lesdits témoins ont prêté le serment voulu par l'art. 155. * »

IX. Les dépositions des témoins sont soumises à quelques règles que nous allons maintenant exposer.

Une première règle est qu'ils doivent déposer à l'audience. L'art. 153 en fait la prescription formelle : ce n'est qu'au cas d'impossibilité de comparaître pour cause de maladie, que le juge, ainsi qu'on l'a vu, peut se transporter au domicile du témoin, accompagné du ministère public, du prévenu et du greffier, et recueillir sa déposition, conformément à l'art. 83 du C. d'inst. crim. Le juge peut-il entendre des témoins dans une visite des lieux faite contradictoirement avec les parties? non, car l'instruction doit être publique et la condition de cette publicité ne peut être réalisée sur les lieux, telle que la loi l'exige, et d'ailleurs cette audience doit être accompagnée d'une solennité qui ne se rencontrerait pas dans un tel mode de procéder. Si la visite fait connaître quelques personnes dont les renseignements peuvent-être utiles à la cause, le juge peut les faire citer à l'audience et les entendre suivant la forme légale.

Une deuxième règle est que les témoins doivent déposer oralement. Elle est consacrée comme la première par l'art. 153. Delà il suit que le jugement est nul s'il a été rendu sur

'Cass. 14 fév. 1845, rapp. M. Rocher. Bull. n. 53.

2 Cass. 1er juin 1838, rapp. M. Isambert. Bull. n. 151.

une information écrite : c'est ce qui a été jugé par un arrêt qui casse : « Attendu qu'il est constaté que c'est sur le seul vu d'une information écrite devant le juge d'instruction, que le tribunal de police s'est permis de déclarer le prévenu coupable de tapage nocturne ayant troublé la tranquillité publique; qu'ainsi le jugement a été rendu sur des déclarations de témoins non entendus à l'audience du tribunal de police et par conséquent sur une instruction qui n'a pas eu la publicité prescrite par la loi, à peine de nullité . » Il ne faudrait pas toutefois considérer comme une information écrite les déclarations de témoins que les officiers de police consignent quelquefois, à tort sans doute, dans leurs procès-verbaux : ces énonciations n'ont en elles-mêmes aucune forme probante, mais ne peuvent vicier les actes dans lesquels elles sont insérées; elles ne deviendraient une cause de nullité que dans le cas où le juge en aurait fait la base de son jugement. Il importe peu que le tribunal ait donné lecture publique des dépositions écrites de ces témoins il suffit que les témoins n'aient pas été entendus à son audience pour que la loi soit enfreinte. La cassation d'un jugement de police a été prononcée, « attendu qu'il est constaté qu'au lieu de recevoir publiquement à l'audience les déclarations des témoins, le tribunal de police s'est borné à faire faire lecture d'une information qui avait été écrite par le magistrat de sureté, en sorte que le jugement a été rendu sur des dépositions non reçues par le tribunal; que l'instruction à cet égard n'a pas été publique et que conséquemment la partie citée n'a pu avoir pour sa défense les moyens que lui garantissait la loi. Enfin, la dé-position écrite d'un témoin décédé ou absent peut elle être lue à l'audience? Plusieurs arrêts avaient répondu négativement : « attendu que les témoins doivent être entendus à l'audience, en présence du prévenu qui a la faculté de proposer

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'Cass. 29 déc. 1815, rapp. M. Rataud. J. P., t. XIII, p. 196.

Cass. 24 mai 1811, rapp. M. Lamarque. J. P., t. IX, p. 344; 8 janv. 1807, rapp. M. Aumont, t. V, p. 618.

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contre eux des reproches. » Mais un arrêt postérieur a jugé, dans une poursuite où l'absence d'un témoin avait motivé une demande en renvoi à une autre audience, «qu'en ordonnant l'ouverture du débat malgré l'absence du témoin et en autorisant ensuite sur la demande du ministère public la lecture de la déclaration de ce témoin absent, le tribunal de police a agi d'une manière conforme à la loi et à ses attributions. Cette dernière décision est-elle fondée ? L'art. 153 veut que les témoins soient entendus à l'audience, et nulle disposition ne donne au tribunal de police le pouvoir de faire lecture de la déposition écrite d'un témoin absent. Si ce pouvoir appartient aux présidents des cours d'assises, c'est qu'ils sont armés d'une attribution extraordinaire qui n'a point été étendue aux juges de police. De même que ceux-ci ne peuvent faire entendre des témoins à titre de renseignements, de même ils ne peuvent lire des dépositions qui ne pourraient avoir également que la valeur de simples renseignements. La loi a voulu d'ailleurs que les témoins et leur té. moignages soient publiquement débattus entre les parties; or ce débat n'est plus possible quand le témoin est absent, quand sa déposition écrite ne peut-être éclaircie par aucune explication. Quel serait enfin le but de cette lecture? On ne peut soutenir qu'une telle déclaration puisse faire foì, puisse avoir la valeur d'une preuve; le juge ne pourrait donc se fonder sur un tel document pour invalider le procès-verbal ou pour prononcer une condamnation; la lecture en est donc inutile. On comprend que dans la matière du grand criminel, la loi ait dû ne négliger aucun élément quelconque de preuve, aucun fait indicateur; mais en matière de police, les pouvoirs du juge sont plus restreints parce que les intérêts sont plus minimes et dès-lors il n'a point à faire entrer dans le débat de simples renseignements, il n'y peut admettre que des éléments susceptibles de faire preuve.

'Cass. 1er mess. an xr, rapp. M. Lamarque. J. P., t. IV, p. 614, et Merlin, Rép. v* Déposition, § 2.

2 Cass. 4 août 1832, rapp. M. Olivier. J. P., t. XXIV, p. 1365.

Une troisième règle a pour objet l'application aux témoins entendus en matière de police des dispositions des art. 319, 325, 326, 332 et 333, relatives aux interpellations qui peuvent leur étre adressées par les parties, aux individus qui ne parlent pas la même langue ou qui seraient atteints de surdimutité. En général, on ne doit point étendre d'une procédure à une autre des règles spéciales qui sont mesurées à l'importance de la matière; c'est ainsi que les art. 269 et suivants relatifs au pouvoir discrétionnaire du président des assises ne s'appliquent pas aux juridictions inférieures. Mais il en est autrement des règles qui, par leur nature, sont généralement applicables à toutes les procédures et qui n'ont pas été reproduites parmi les dispositions particulières à chaque juridiction. Car faut-il proclamer une lacune dans la loi, ou faut-il que le juge établisse des formes arbitraires, lorsque la loi elle-même contient des dispositions précises et qui sont applicables au cas qui se présente? Si, en matière de pénalité, il n'est pas permis de raisonner par voie d'analogie et de transporter l'application d'une peine d'un cas à un autre, il n'en est pas de même en matière de procédure pénale, où le même cas doit en général être régi par les mêmes formes, la même hypothèse par les mêmes garanties 1. Sera-t-il interdit d'interpeller les témoins, de leur donner des interprètes s'ils n'entendent pas la langue nationale, parce que la procédure du tribunal de police n'a pas prévu ces diverses circonstances? Comme elles se présentent plus fréquemment dans la procédure des assises, c'est là que la loi a dû placer les règles générales qui s'y appliquent; or ces règles ont elles un caractère exceptionnel? Leur utilité, qui est de fournir les moyens les plus propres à la découverte de la vérité, n'est-elle pas la même devant tous les tribunaux ? Et la défense n'est-elle pas aussi intéressée que la poursuite elle-même à ce qu'elles soient partout appliquées? Il faut donc tenir comme certain que les dispositions des ar

Voy. notre dissertation dans la Revue critique de législation, t. IV,

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