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peine à prononcer'. » Si le juge reconnaît, au contraire, le fait de la provocation, il doit relaxer le prévenu et réserver son action contre le plaignant; mais il ne pourrait prononcer immédiatement une peine contre celui-ci. Ce point a encore été jugé par un arrêt portant: « que le tribunal n'était saisi que d'une plainte en injures portée par Guichard contre la femme Mauget; que s'il est résulté de l'audition des témoins que Guichard avait, de son côté, injurié la femme Mauget, cette circonstance ne pouvait autoriser le ministère public à prendre à l'audience des réquisitions contre lui et à le constituer ainsi en état de prévention; que les tribunaux ne peuvent être saisis de la connaissance des délits que par le renvoi qui leur en est fait, ou par une citation directe ".»

Ensuite, il ne faut pas confondre avec une plainte récriminatoire les imputations que le prévenu serait amené à formuler dans l'intérêt de sa défense. Il se peut que deux contraventions, commises distinctement par deux personnes, soient connexes l'une à l'autre, que l'une soit la conséquence de l'autre, qu'elles s'enchaînent et s'expliquent mutuellement; par exemple, un dépôt de matières quelconques fait sans nécessité sur la voie publique par un propriétaire peut donner lieu à un passage sur le terrain de ce propriétaire, or il est clair que le prévenu de cette seconde contravention a intérêt à prouver la première, puisqu'il pourrait établir ainsi une impossibilité de passage qui pourrait constituer un fait justificatif. Il peut donc prendre des conclusions, non pour porter plainte de la contravention et en saisir le tribunal, mais pour être admis à faire preuve d'un fait qui aurait pour effet de le justifier. Ces conclusions ont l'apparence d'une demande réconventionnelle, mais elles n'en ont que l'apparence: il ne s'agit point de compenser un grief par un autre, il s'agit uniquement d'établir un fait qui tend à effacer la contravention, il s'agit d'un acte légitime du droit de la défense. Le prévenu

Cass, 1er sept. 1826, rapp. M. Gary. J. P., t. XX, p. 821.
Cass. 11 oct. 1827, cité suprà p. 350.

n'élève aucune réclamation, il ne dénonce aucune contravention; il se borne à soutenir l'impraticabilité du chemin qui peut seule justifier son passage sur le terrain d'autrui.

IX. Le prévenu a-t-il le droit de demander, dans l'intérêt de sa défense, la mise en cause des personnes que l'appréciation du fait qui est l'objet de la poursuite peut léser? Cette question a quelque importance et peut donner lieu à plusieurs difficultés.

Cette question s'est principalement élevée à l'occasion de délits de pâturage commis dans les bois et forêts. Les préve nus invoquaient les droits d'usage de la commune à laquelle ils appartenaient, et, pour faire la preuve de ces droits, ils demandaient d'être admis à mettre en cause la commune ellemême. Cette mise en cause n'a jamais soulevé de difficulté : il a toujours paru aux tribunaux que cette intervention, que le Code de procédure civile a prévue et dont il a réglé les termes, était le seul moyen juridique de vider la question préjudicielle élevée par le prévenu. Ainsi, dans une espèce où le prévenu d'un délit de dépaissance revendiquait un droit communal, la Cour de cassation a déclaré : « qu'il aurait pu seulement provoquer l'intervention de la commune par son maire, dans l'instance relative à cette poursuite; que si, dans le délai qui lui aurait été accordé à cet effet, la commune n'avait pas formé son intervention légalement autorisée et n'avait pas adhéré à sa demande en renvoi pour faire prononcer par les tribunaux civils sur les droits qu'il disait lui appartenir, il aurait dû être déclaré non-recevable dans cette demande en renvoi, et tout sursis aurait dû lui être refusé; que si la commune, au contraire, était intervenue avec l'autorisation de l'autorité administrative et avait demandé que le renvoi devant les tribunaux civils fut prononcé, alors se serait formée une véritable question préjudicielle, puisque tout à la fois le jugement de la poursuite aurait dépendu de celui qui aurait

1 C. de pr. civ. art. 329 et suiv.

eu lieu au civil sur les droits de la commune, et que, par l'adjonction de la commune, il se serait formé une instance entre parties ayant qualité pour y paraître et y faire statuer'. » Cette jurisprudence a été sanctionnée par l'art. 49 de la loi du 18 juillet 1837 qui attribue formellement à tous les habitants de la commune le droit d'exercer les actions qu'ils croient appartenir à la commune et qui ajoute : « la commune sera mise en cause et la décision qui interviendra aura son effet à son égard.» Voilà donc la légalité de la mise en cause des communes établie dans toutes les instances où leurs droits sont contestés, et, par conséquent, dans les poursuites pour faits de pâturage lorsque les prévenus prétendent qu'ils n'ont fait qu'exercer ces droits.

Mais cette règle ne s'applique-t-elle qu'aux communes ? Si le prévenu peut demander la mise en cause de la commune, lorsque le droit qu'il a exercé est un droit de la commune, pourquoi ne pourrait-il pas, lorsqu'il est poursuivi à raison de quelque voie de fait sur un terrain, demander la mise en cause de la personne qu'il sait être le propriétaire de ce terrain? Il est évident que, dans ces deux hypothèses, la raison de décider est la même; aussi la jurisprudence n'a point hésité et elle a admis la mise en cause du propriétaire pour faire juger les exceptions préjudicielles de propriété soulevées par le pré

venu'.

Cette jurisprudence est-elle fondée? Il nous semble qu'aucun doute n'est permis à cet égard. Le prévenu aliègue que ce qu'il a fait il a eu le droit de le faire, non point parce qu'il a exercé un droit qui lui fut personnel, mais parce qu'il a exercé, par l'ordre ou avec le consentement du véritable propriétaire, un droit qui appartenait à celui-ci. Comment

1 Cass. 16 août 1822, rapp. M. Chantereyne, J. P., t. XVII, p. 568; et Conf. cass. 22 juin 1826, rapp. M. Chantereyne, t. XX, p. 602; 1 sept. 1832, rapp. M. Ollivier, t. XXIV, p. 1456.

* Cass. 1 sept. 4832, cité dans la note qui précède.

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le priver de ce moyen de défense? Ne serait-ce pas courir le risque de condamner un fait qui ne serait pas punissable, de transformer en infraction un acte légitime, de méconnaître un droit qui peut être sérieux? Ne serait-ce pas restreindre le libre exercice de la défense en lui refusant le seul moyen qu'elle invoque de justifier le fait incriminé ? Qu'importe que ce moyen soit invoqué par le prévenu lui-même ou par celui qui n'agit que par son ordre ou avec sa permission? Dès qu'il a pour but et qu'il peut avoir pour résultat de justifier le fait, n'en résulte-t-il pas que tous les prévenus de ce fait, quels qu'ils soient, sont fondés à s'en servir s'ils ne trouvent dans la loi aucun obstacle? Or, non-seulement la loi, qui a prévu et permis dans la procédure civile l'intervention des tiers, ne l'a pas interdite en matière criminelle; mais il y a plusieurs cas où elle l'a formellement autorisée, tels sont les art. 359 du C. d'inst. cr. et 23 de la loi du 17 mai 1819. Cette intervention est, d'ailleurs, dans notre hypothèse, un moyen nėcessaire de la défense. En effet, d'une part, l'exception préjudicielle peut seule effacer la prévention, et d'une autre part, le prévenu ne peut l'exercer personnellement, puisque les droits des propriétaires ne peuvent être revendiqués que par le propriétaire lui-même. Sans doute le prévenu peut alléguer ces droits, mais son allégation, suffisante pour faire admettre la mise en cause, ne le serait plus, aux termes de l'art. 182 du C. for., pour faire ordonner le renvoi à fin civiles. Il ne suffit pas qu'il établisse sa boune foi, car les contraventions n'admettent point d'excuse; il faut qu'il établisse le droit en vertu duquel il a agi, et ce droit ne peut être prouvé que par celui qui le possède. Il est possible, au surplus, que la personne dont la mise en cause a été ordonnée, refuse d'intervenir le prévenu se trouve alors dans la même situation que si les témoins à décharge qu'il a fait citer ne se présentent pas l'exception qu'il a invoquée peut être réputée dénuée de fondement, puisqu'il ne la prouve pas, et le uge, qui avait dù accorder un délai pour la mise en cause, doit procéder, à l'expiration de ce dé

lai, comme il eut fait si l'exception n'eut pas été invoquée '. Cette doctrine, constamment appliquée, a été même étendue en dehors du cas spécial dans lequel elle s'était d'abord circonscrite. Ainsi, dans une espèce où la partie responsable avait seule été citée et dans laquelle le tribunal de police l'avait renvoyée de la poursuite par le seul motif que le prévenu n'était pas en cause, la Cour de cassation a prononcé l'annu→ lation du jugement: « attendu que le tribunal devait surseoir à statuer et fixer le délai dans lequel le ministère public serait tenu de mettre en cause l'auteur de la contravention *. » Le prévenu pourrait également demander que la partie responsable, dont la présence peut faciliter sa défense, fût mise en cause. C'est ce qui a été reconnu dans une espèce où le pourvoi était fondé sur l'illégalité d'une intervention de cette nature. Ce moyen fut rejeté : « attendu que le commettant auquel l'art. 1384 du C. Nap. impose la responsabilité des condamnations encourues par le prévenu du délit, qui n'a agi que par son ordre, a intérêt à intervenir dans le débat correctionnel pour en détourner de lui les conséquences civiles, aggravées dans certains cas par la solidarité des amendes; que le prévenu a également intérêt à cette intervention, qu'il lui appartient de provoquer au besoin comme un complément nécessaire de sa défense » Enfin, en matière d'éclairage et de balayage de la voie publique, où la jurisprudence a reconnu aux maires le droit de substituer aux habitants, sur qui pèsent certaines obligations, des entrepreneurs qui leur sont subrogés, il nous semble que les habitants poursuivis pour non accomplissement de ces obligations, pourraient mettre en cause les entrepreneurs eux-mêmes. Il a été jugé, en effet, a que l'entrepreneur s'est subrogé à l'obligation des habitants et s'est soumis aux peines qu'ils

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Voy. en ce sens Mangin, act. publ. n. 217, et, en sens contr. M. Vente, Revue de législ, 1852, p. 676.

* Cass. 24 déc. 1830, rapp. M. Rives. J. P., t. XXIII, p. 4025. 8 Cass. 7 janv. 1853, rapp, M, Rocher, Dalloz, 53, 1, 66.

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