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généralement très inférieure à celle des juges de paix. On a dit qu'il ne pouvait exister de police sans l'intervention des municipalités : oui, sans doute, aussi faut-il que les maires et adjoints soient officiers de police, et puissent faire cesser ou poursuivre les délits de simple police comme ceux d'un ordre supérieur. Mais doivent-ils en être les juges? toute la question est là. Or, il semble que les juges de paix, plus instruits et moins accessibles aux petites passions, conviennent mieux pour rendre le jugement. On a d'ailleurs exagéré les obstacles naissant des distances, car, même dans la circonscription actuelle, il est rare que le justiciable le plus éloigné ait plus d'un myriamètre à parcourir pour trouver un juge. Au reste, on ne nic point qu'il y eût un grand avantage à laisser le jugement aux municipaux, si l'on pouvait espérer qu'ils jugeassent bien; mais le peut-on? C'est la matière qui manque, et il faut voir les hommes tels qu'ils sont. » L'Empereur repliqua « qu'à la vérité il peut sembler fâcheux de donner le droit de juger à des maires ignorants; mais ici tout est relatif : dans les lieux où les maires seraient moins instruits, ils n'auront à prononcer que sur des faits très simples et desquels tout le monde peut juger; dans les petites villes, dans les bourgs considérables, où les délits sont plus compliqués, les maires sont aussi plus instruits. » M. Cambacérès dit « qu'alors il ne reste plus qu'à indiquer parmi les délits ceux qui seront de la compétence des maires. Mais donnera-t-on la même juridiction aux maires des campagnes qu'aux maires des villes?» L'Empereur dit « que, dans son système, tous les maires doivent connaître des petits délits, sauf l'appel aux juges de paix. Les délits de police plus considérables seraient déférés à ces derniers juges, sauf l'appel aux tribunaux. Qu'on classe les délits d'après ces vues. » Le projet fut en conséquence renvoyé à une nouvelle rédaction.

Le troisième projet, qui établit à peu près le système qui a été définitivement adopté par le Code, fut apporté à la séance du 27 septembre 1808. M. Cambacérès fit observer que, dans son ensemble, ce projet s'écartait des idées

de l'Empereur: «S. M. a entendu que la juridiction des maires serait réduite aux petits délits de police, et qu'en conséquence, pour la fixer, on classerait les délits par leur nature. Avec la rédaction qui est proposée, les maires connaîtraient de beaucoup d'affaires qui ne doivent pas leur être soumises. D'un autre côté, les maires des grandes villes n'auraient pas de juridiction, puisqu'ils se trouvent toujours placés auprès des juges de paix, tandis que ceux des petites localités en auraient une. Il faudrait, du moins dans les villes, établir la concurrence entre les maires et les juges de paix.» M. Berlier répondit « que si la matière comportait une division telle qu'en matière de police simple, le juge de paix eût son lot composé des faits les plus importants, et les maires le leur composé des moindres délits, un tel système, qui pourtant ne pourvoirait pas à tout, aurait quelque chose de séduisant; mais si l'on parcourt le projet de Code pénal, qui divise les délits de police en trois classes, on trouvera sans doute que le principal motif de l'attribution faite aux maires, le besoin de pourvoir promptement à ce que requiert la police, s'applique aussi bien aux délits de troisième classe qu'à ceux de la première : il a donc fallu un autre plan qui fit la part du juge de paix et celle des maires, non d'après une classification des contraventions de police, mais d'après d'autres circonstances tirées du lieu où la contravention a été commise, du point de fait, si elle était flagrante ou non, du montant des demandes en dommages-intérêts, etc., et en observant de ne laisser aux maires que ce qu'exige la nécessité. dernier système fut définitivement adopté par le conseil d'État.

Ce

Il fut néanmoins assez vivement critiqué par la commission de législation du corps législatif. Cette commission émit l'avis que la juridiction des maires ne devait point être admise et qu'elle n'est qu'une espèce de superfétation dans l'ordre judiciaire. Voici ses principaux motifs : « Il a paru que, dans les vrais principes d'ordre public, les fonctions administratives

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doivent être séparées des fonctions judiciaires, à moins qu'il n'y ait une nécessité indispensable. Si cela est vrai dans les plus hauts degrés de l'administration, il en est de même dans les degrés inférieurs. L'unité de juridiction dans chaque ressort et pour chaque juge ou tribunal, a toujours été importante. Simplification de la distribution de la justice, absence de conflit de juridiction: tels sont les avantages précieux de cette unité, et la considération du magistrat augmente sans que celle de l'administrateur s'affaiblisse. Ensuite, une attribution de juridiction aux membres des municipalités nuira souvent aux moyens administratifs. Dans les villes d'une faible population et surtout dans les campagnes, de petites passions entreront dans la distribution de cette justice de police de là des animosités et des haines qui rendront l'administration moins honorable et moins salutaire. Dira-t-on qu'il ne s'agit que d'objets modiques? mais il y a toujours une importance aux objets de cette juridiction qui tiennent presque toujours à un amour-propre qui fait grossir ces objets. D'ailleurs, il est à craindre qu'on ne voie presque toujours cette juridiction avilie par l'impossibilité de l'organiser d'une manière digne. D'après la division du territoire en un nombre prodigieux de communes, on doit prévoir que, sur plusieurs points du territoire, il y aura des membres des municipalités incapables ou insouciants. » Nonobstant ces observations, le conseil d'État maintint l'attribution des maires : les motifs qui le firent persister à soutenir cette institution sont énoncés dans l'exposé de M. Treilhard.

« La législation actuelle, porte cet exposé, investit le juge de paix seul de la connaissance des faits de police simple. Ce dernier état n'a pas excité de réclamations, et rien n'a dù engager à priver les juges de paix de leur juridiction en matière de police. Cependant on a pensé qu'il serait utile de faire participer les maires au droit de prononcer sur une partie des contraventions de police. L'Assemblée constituante avait imposé aux municipalités une obligation au-dessus de leurs forces, du moins dans un très grand nombre de communes, lors

qu'elle leur avait délégué toute la compétence en cette matière; mais en l'an IX on tomba dans une autre extrémité, en ne leur laissant pas la portion de cette compétence qu'elles auraient pu exercer utilement, et en attribuant aux juges de paix seuls la connaissance entière de toutes les affaires de police. Nous devons aujourd'hui profiter de l'expérience du passé en assurant aux juges de paix la connaissance exclusive de celles de ces affaires qui peuvent demander des hommes plus exercés, pourquoi ne laisserions-nous pas aux maires le droit de connaître des contraventions qui sont plus à leur portée, qu'ils réprimeront plus tôt et tout aussi bien que les juges de paix ? C'est dans cet esprit que nous proposons de donner aux maires la connaissance des contraventions commises dans leurs communes par des personnes prises en flagrant délit, ou par des personnes qui résident dans la commune ou qui y sont présentes, et lorsque les témoins y seront aussi ré sidents ou présents. »

Cette disposition est une sorte de transaction que le législateur a faite entre les deux systèmes qu'il avait devant les yeux et que la législation venait d'éprouver successivement. Au lieu d'opter entre le tribunal de police municipale, créé par l'assemblée constituante, et le tribunal de police du juge de paix créé par la convention, il les a maintenus l'un et l'autre comme deux institutions parallèles qu'il a voulu faire concourir au mème but. L'organisation et les attributions de ces deux juridictions sont soumises aux mêmes règles et diffèrent cependant sous un double rapport. Elles sont soumises aux mêmes règles, car elles sont l'une et l'autre tenues par un seul juge, elles procèdent avec le concours d'un ministère public, elles suivent les mêmes formes et ne connaissent toutes deux que des matières de police. Mais elles diffèrent d'abord en ce qui touche la composition: l'une est présidée par le juge de paix, l'autre par le maire (art. 139 et 166 C. d'instr. cr.); dans l'une les fonctions du ministère public sont remplies par le commissaire de police, et à son défaut, par le maire ou l'adjoint (art. 144); dans l'autre par l'adjoint, ou

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à son défaut par un membre du conseil municipal (art. 167). Elles diffèrent en second lieu par leurs attributions, quoiqu'elles soient renfermées dans un cercle commun. L'art. 138 porte que « la connaissance des contraventions de police est attribuée au juge de paix et au maire, suivant les règles et les distinctions qui seront ci-après établies. Ces règles et ces distinctions portent sur la compétence ratione loci, persona et materiæ. Sous le premier rapport, le tribunal de police du juge de paix connaît seul des contraventions commises dans l'étendue de la commune chef-lieu du canton (art. 139, no1). Sous le deuxième rapport, il connaît des contraventions dans les autres communes du canton lorsque, hors le cas où les coupables ont été pris en flagrant délit, les contraventions ont été commises par des personnes non domiciliées ou non présentes dans la commune, ou lorsque les témoins qui doivent déposer n'y sont pas résidents ou présents (art. 139, no 2). Enfin, sous le troisième rapport, il connaît exclusivement, 1o des contraventions à raison desquelles la partie qui réclame conclut pour ses dommages-intérêts à une somme indéterminée ou à une somme excédant 15 fr. ; 2o des contraventions forestières poursuivies à la requête, des particuliers; 3° des injures verbales; 4o des affiches, annonces, ventes, distributions ou débits d'ouvrages écrits ou gravures contraires aux mœurs; 5° de l'action contre les gens qui font le métier de deviner et pronostiquer, ou d'expliquer les songes (article 139). Enfin, aux termes de l'art. 140, « les juges de paix connaissent aussi, mais concurremment avec les maires, de toutes autres contraventions commises dans leur arrondissement. » D'où il suit que les parties ont l'option entre l'une et l'autre juridiction et peuvent porter leur action dans tous les cas devant le tribunal de police du canton au lieu de la porter devant le tribunal de police de la commune.

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