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pronuntiat. Cette décision, très sage quand on la restreint dans de justes bornes, ne peut-elle pas encore être invoquée? Nous avons vu que les jugements au criminel n'avaient point l'autorité de la chose jugée vis-à-vis des tribunaux civils qui sont ultérieurement saisis de l'action civile . Il semble qu'il faut aussi reconnaitre, mais par un autre motif, que ces jugements, lorsqu'ils ne font que prononcer incidemment sur une question civile, ne lient point, au moins en général, la juridiction civile devant laquelle la question est ensuite portée par voie principale. Il n'y a point eu, en effet, de véritable jugement sur cette question; elle n'est appréciée que dans son rapport avec l'action principale et à un point de vue particulier et restreint; elle n'est considérée que comme un élément d'une autre question à laquelle elle est attachée. C'est par suite de cette distinction que l'art. 463 du C. d'inst. crim. déclare que les actes authentiques, reconnus faux par jugement criminel, ne sont pas annulés et reçoivent seulement l'attache de l'arrêt, et il a été jugé « que ce mode de procéder n'a pas pour résultat de détruire ou d'anéantir l'existence matérielle des actes authentiques qui ont été déclarés faux, mais qu'il a pour effet de les frapper d'un signe de réprobation qui avertisse de leur fausseté et leur enlève le caractère de titre authentique et obligatoire en faveur du condamné, sauf aux tiers qui n'ont pas été parties au procès criminel dans lequel les actes authentiques ont été déclarés faux, à faire valoir leurs droits s'il y a lieu devant les tribunaux compétents 3. » Cette doctrine a même été érigée en règle dans un espèce où un tribunal correctionnel, saisi d'un délit de défrichement de deux ares d'un terrain forestier, avait décidé que les prévenus avaient le droit de défricher 125 hectares de la même forêt : la Cour de cassation a déclaré « que les tribunaux de police correctionnelle ne sont institués que pour connaitre des délits; que

L. 1. Cod. de ordine judiciorum.

Voy. t. III, p. 781.

Cass. 28 déc. 1849, ropp. M. Dehaussy. Ball. n. 359.

s'il s'élève devant eux des exceptions autres que celles qui sont réservées à la juridiction civile, ils ont sans doute le droit de les apprécier, mais seulement dans leur rapport avec le délit lui-même, et comme moyen d'arriver à prononcer la condamnation ou l'acquittement des prévenus; qu'ils excèdent leurs pouvoirs et violent les règles de leur compétence lorsqu'ils prononcent sur l'exception par forme de disposition générale et de manière à rendre une décision qui puisse avoir autorité en dehors de l'espèce qu'ils ont à juger 1. »

Ensuite, c'est la nécessité même des choses qui veut que le juge, saisi de la connaissance d'un délit ou d'une contravention, puisse statuer sur une foule de questions civiles qui se mêlent aux éléments de l'infraction et s'opposent à la marche de l'action publique. S'il fallait détacher toutes ces questions et en renvoyer le jugement aux tribunaux civils, la justice pé⚫nale serait entravée à chaque pas; il y aurait lieu à sursis et à renvoi pour l'examen de tous les moyens de défense qui pourraient réceler quelque point de droit, quelque appréciation d'acte, quelque examen d'un fait civil; et, à l'égard de tous ces moyens, le juge serait tenu de soumettre sa décision à la décision du juge saisi par le renvoi. Ne voit-on pas que l'action de la justice criminelle, suspendue par ces obstacles incessants, perdrait toute sa force? que l'unité de la juridiction, qui fait la puissance et la garantie de la justice, n'existerait plus? que les poursuites, disséminées par fragments devant des juges différents, n'auraient plus de terme? que le lien qui doit unir en un même faisceau les diverses parties d'une même action étant rompu, le juge courrait plus facilement le risque de s'égarer? Il faut nécessairement reconnaître à chaque juridiction le droit de vuider les questions incidentes qui se placent devant la question principale, car il est impossible d'admettre que la loi, en lui attribuant celle-ci, ne lui ait pas permis de traverser les premières pour y arriver. Elle ne doit s'arrêter que lorsque sa constitution spéciale ne lui donne pas

* Cass, 9 fév. 4849, rapp. 31. Legogneur, Bu'], n. 34.

les moyens de les juger; nous reviendrons tout à l'heure sur cette restriction.

Arrivons maintenant à la seconde théorie. Faut-il poser en principe, comme le proposent ses sectateurs, que le juge de l'action est, en général, le juge de l'exception, et que, par conséquent, le tribunal de police, saisi de l'action publique, est compétent pour statuer sur les exceptions qu'il ne pourrait connaltre principalement et qui se rattachent au fait de la prévention? Il nous semble que cette proposition, pour être exacte, ne doit pas être posée en des termes aussi absolus.

1.

Quel est son fondement juridique? On allègue d'abord la première disposition de l'art. 3 du C. d'inst. cr. aux termes de laquelle « l'action civile peut être poursuivie en mème temps et devant les mêmes juges que l'action publique. »> De là la conséquence, dit M. Mangin, « que le juge criminel est compétent pour statuer sur les actions civiles et pour décider des questions de droit civil, toutes les fois qu'elles se présentent accessoirement à l'action publique . » Cette induction est-elle exacte? Que de l'attribution faite au juge criminel de connaître de l'action civile, on infère le droit de juger les exceptions qui se rapportent à cette action, on le comprend; mais comment de cette attribution faire logiquement sortir le droit de juger des exceptions qui se rattachent, non point à l'action civile, mais bien à l'action publique? Quel est le rapport entre cette action en réparation du dommage causé et les exceptions de droit civil qui s'élèvent contre la poursuite ellemême? Comment le droit de statuer sur une action peut-il enfanter le droit de connaître des exceptions à une autre action? Il semble que tout ce qu'on peut induire de ce texte, c'est, d'une part, que la loi répugne à disjoindre les actions qui naissent d'un même fait et tend, pour éviter des involutions de procédure et des procès successifs, à les réunir devant la même juridiction; et, d'une autre part, qu'elle reconnaît aux juridictions répressives une compétence accessoire pour

Act. publ., t. I, p. 317.

connaitre des matières civiles dans les cas qu'elle détermine. Il y a là peut-être une sorte d'indication de l'esprit de la loi; il n'y a point d'attribution clairement formulée.

On invoque, en second lieu, la deuxième disposition du même article qui déclare que « l'action civile est suspendue tant qu'il n'a pas été prononcé definitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile.» D'où l'on induit que l'action publique prime et domine l'action civile, et que, par conséquent, elle ne doit jamais être arrêtée par elle. Mais de là que faut-il conclure? De ce que l'action publique est indépendante de l'action civile, de ce qu'elle marche la première et tient l'autre en suspens, comment induire que le juge criminel devienne compétent pour vuider les incidents civils qui surgissent à son audience? Comment d'un principe de priorité faire dériver un principe de compétence? Comment de la suspension de l'action civile inférer l'attribution du juge criminel de juger les exceptions de droit qu'il rencontre devant ses pas?

On s'appuie enfin sur les deux fragments du Code de Justinien que nous avons déjà cités, et les efforts qu'on a faits soit pour attribuer à ces textes un sens précis, soit pour combattre l'exactitude de cette interprétation, démontrent que c'est là en définitive la véritable source et le premier titre de la règle que la jurisprudence a fait prévaloir. Ce n'est pas, nous l'avons déjà dit, que ces lois contiennent formellement cette règle elles ne s'appliqueut ni l'une ni l'autre au cas où un juge criminei se trouve accessoirement ́saisi d'une question de droit civil; elles ne prévoient que l'espèce toute différente d'une juridiction civile appelée à statuer incidemment sur un point qui n'est pas de sa compétence. Elles n'ont donc pas même l'autorité qui s'attache aux anciennes maximes du droit lorsqu'on les applique dans les cas mêmes pour lesquels elles ont été faites. Mais au fond les interprétations diverses qu'on peut donner à ces deux rescrits, ainsi qu'à d'autres fragments

Voy. t. III, p. 190.

analogues, importent peu, et les différences qui séparent les espèces, les systèmes judiciaires et les législations, n'ont ici qu'un intérêt secondaire. Il ne s'agit pas de reconstituer un principe de la législation romaine ou de notre droit; il s'agit seulement de ressaisir la trace plus ou moins confuse d'une attribution qui a dú, dans de certaines bornes, être commune à toutes les juridictions, d'en surprendre l'application même dans des conditions différentes, d'en constater, dans quelque hypothèse que ce soit, l'existence. S'il est vrai ensuite que cette attribution soit conforme à la nature des choses, nécessaire à la bonne administration de la justice, utile à l'expédition des affaires, elle prend l'autorité, non de la loi qui l'aurait fondée et qui n'existe plus, mais de la raison qui l'adopte et qui croit, pour accroître sa force, devoir, inutilement sans doute, la revêtir du sceau d'une ancienne et longue épreuve.

Le principe de compétence qu'il s'agit d'établir existe, en effet, par lui-même et indépendamment de tous les textes. Le droit des juridictions répressives de statuer sur les questions incidentes qui s'élèvent devant elles, n'est que la conséquence logique de leur institution générale. Compétentes pour prononcer sur l'existence des délits ou des contraventions, elles sont par là même compétentes pour apprécier tous les faits élémentaires de ces infractions, toutes les excuses qui tendent à les modifier, toutes les exceptions qui peuvent avoir pour effet de les détruire; car elles ne font en cela qu'accomplir la mission qui leur a été donnée, que juger des faits qui sont contenus dans le fait principal, que statuer à différentes fois sur les différents éléments de ce fait. Leur attribution générale est le véritable titre de leurs attributions accessoires: elles prononcent sur les questions incidentes parce que ces questions contestent l'action publique, et qu'il est nécessaire de les traverser pour juger l'action elle-même. Que sont, au reste, ces questions? des moyens de défense, des faits justificatifs qui ont pour objet de faire disparaître la contravention; or, n'est-il pas dans la nature des choses que le juge qui sta

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