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priétés riveraines dans le cas où le chemin est impraticable, la question de l'impraticabilité du chemin ne peut fonder un renvoi devant les tribunaux civils; c'est une question de fait et non une question de propriété; le juge, saisi de la prévention, est donc compétent pour prononcer sur l'exception '.

La mème règle s'applique aux autres servitudes. Un individu poursuivi devant le tribunal de police à raison d'une prise d'eau qui causait une dégradation à la voie publique, prétendait qu'il était en possession depuis un temps immémorial de cette prise d'eau, et qu'il avait exercé cette servitude constamment et publiquement. La Cour de cassation a jugé « que la nature de ce moyen de défense rendait nécessaire une discussion préalable, ou devant les tribunaux civils sur le fond du droit, ou devant l'autorité administrative pour faire déclarer s'il y avait lieu, à raison de l'utilité publique, d'ordonner la suppression de la servitude et pour procéder dans ce cas à l'appréciation d'une indemnité juste et convenable; qu'il ne peut y avoir, en effet, de peine de police à prononcer là où il est incertain s'il y a eu un délit commis; que néanmoins le tribunal, au lieu de renvoyer devant l'autorité compétente pour la discussion des droits, a ordonné la fermeture de la prise d'eau et prononcé des peines de police; que par conséquent ce tribunal a prématurément et incompétemment prononcé et commis un excès de pouvoir en s'immisçant dans des fonctions qui étaient subordonnées à la décision des droits de servitude et de possession dont le réclamant s'étayait

Mais, lorsque le prévenu invoque un droit de servitude, il importe de vérifier si, en supposant ce droit fondé, le fait qui lui est imputé en est une conséquence légitime. L'art. 672 du C. civ. porte que « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres du voisin, peut contraindre celui-ci à couper ces branches. » L'individu, qui est poursuivi pour avoir

1 Cass, 44 therm. an viii. Bull. n. 192; 6 sept. 1838, rapp. M. Rives, n. 304; 13 oct. 1854, à notre rapport, n. 300.

Cass. 17 mai 1806, rapp. M. Vergès. J. P., 1. V, p. 335.'

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lui-même ébranché les arbres d'une forêt voisine de sa propriété, peut-il invoquer son droit de propriétaire? Non, • parce que l'art. 672 ne donne pas au propriétaire voisin du sol où sont plantés les arbres le droit de les ébrancher luimême, mais seulement celui de contraindre à couper ces branches; d'où il suit qu'en coupant lui-même les branches des arbres de lisière, le prévenu a commis une voie de fait qui est qualifiée délit par la loi forestière, et qui ne cesserait pas d'être délit, quel que soit le jugement de la question proposée comme préjudicielle '. »

III. Lorsque les prévenus des délits de dépaissance ou de paturage soutiennent qu'ils n'ont fait qu'exercer un droit d'usage en conduisant leurs bestiaux dans le lieu où ils ont été trouvés, ce moyen de défense forme encore une question préjudicielle qui doit être renvoyée à l'examen des tribunaux civils *.

Il en est nécessairement de même de toutes les questions qui s'élèvent sur l'application des droits d'usage. Tels sont les points de savoir si les prévenus avaient droit de vaine pâture dans une prairie après l'enlèvement de la seconde herbe3; si la clôture d'une prairie peut la soustraire au droit de parcours 4; si les habitants d'une commune peuvent revendiquer les droits personnels d'usage, lorsqu'un bail consenti par le conseil municipal, au nom de tous les habitants, a aliéné la jouissance des lieux soumis à ce droit 5; si le prévenu, propriétaire de biens dans une commune qu'il n'habite pas, peut exercer le droit qui appartient aux propriétaires habitants. Mais il n'y a pas d'exception motivant le renvoi, 1° lorsque

1 Cass. 15 fév. 1814, rapp. M. Basire. J. P., t. IX, p. 109.

2 Cass. 16 vend. an x1, rapp. M. Minier. J. P., t. III, p. 12; 9 mars 1821, , M. Aumont, t. XVI, p. 434; 14 avril 1828, rapp. M. Gary, t. XXI,

1357; 10 juin 1847, rapp. M. Vincens St-Laurent. Bull. n. 424.

Cass. 3 fév. an vII, rapp. M. Chasle. J. P., t. I, p. 262.

Cass. 20 nov. 1823, rapp. M. Ollivier. J. P., t. XVII, p. 218.
Cass. 24 sept. 1825, rapp. M. Chantereyne. J. P., t. XIX, p. 896.
Cass. 27 sept. 1855, rapp, M. Poultier, Bull, n. 336.

le droit d'usage d'une commune étant reconnu, il s'agit seulement de vérifier si le prévenu est sur la liste des usagers notifiée à l'administration, car ce n'est là qu'une question de fait 1; 2° lorsque l'exercice du droit d'usage est subordonné à une autorisation préalable qui n'a pas été demandéo 2; 3° lorsque ce droit a été exercé dans des cantons de bois mis en défens par l'administration forestière, ou dont les usagers n'avaient pas obtenu la délivrance ; 4 lorsque le prévenu excipe d'une opposition devant l'autorité administrative contre un procès-verbal de délimitation de la forêt, cette opposition ne liant pas l'instance civile à laquelle doit donner Hieu l'exception de propriété 5.

IV. Enfin, il suffit que la possession annale animo domini soit invoquée par le prévenu pour qu'il y ait lieu de surseoir, L'art. 182 du C. for. et l'art. 59 de la loi du 15 avril 1829 mettent sur la même ligne les titres de propriété ou les faits de possession équivalents, et la question de possession se confond avec celle de propriété quand elle a pour objet la qualité même de propriétaire. La possession animo domin' est donc, comme la propriété, un objet purement civil et essentiellement préjudiciel à la question de savoir s'il y a ou s'il n'y a pas de délit. De là la conséquen ce que l'exception de propriété, fondée sur la possession, sans production de titres, peut être élevée par le prévenu et doit motiver le renvoi devant les juges civils: « attendu que cette qualité de poɛsesseur le fait présumer propriétaire et lui donne tous les

Cass. 29 mai 1830, rapp. M. de Ricard. J. P., t. XXIII, p. 519.
Cass. 28 mars 1839, rapp. M. Fréteau. Bull. n. 104.

* Cass. 80 avril et 10 sept. 1824, rapp. M. Chantereync. J. P., t. XVIII, p. 674 et 1035; 18 mai 1848, rapp. M. Fréteau. Bull. n. 149.

* Cass. 23 déc. 1843, rapp. M. de Ricard. Bull. n. 329; 17 avril 1846, rapp. M. Fréteau, n. 95; 20 août 1842, rapp. M. Fréteau, n. 214.

* Cass. 4 juin 1817, rapp. M. Rocher. Bull. n. 122.

Cass. 2 oct. 1807, rapp. Rataud. J. P., t. VI, p. 309.

Cass. 29 floréal an vII, rapp. M. Dutocq. J. P., t. I, p. 640; 44 avril 4828, rapp. M. Gary, t. XXI, p. 1857; 7 janv. 1832, rapp. M. Dupaly, t. XXIV, p. 546; 12 janv. 1856, rapp. M. Bresson, Bull. n. 19.

droits de la propriété tant qu'il n'a pas été définitivement évincé par un jugement rendu au pétitoire et passé en force de chose jugée; que cette présomption de propriété exclut toute application des lois pénales à des faits constituant l'exercice des droits conférés au propriétaire; que si la bonne foi du possesseur, relativement à ces actes, peut être contestée, cette action est hors des limites de la juridiction correctionnelle et ne peut être portée que devant les tribunaux civils, seuls juges appréciateurs sous ce rapport des caractères et des effets de la possession légale1. »

Toutefois, pour qu'il y ait exception préjudicielle, il faut alléguer 1o une possession à titre de propriétaire et remplissant les conditions prescrites par les art. 2228 et 2229 du C. civ.; 2 une possession annale, suivant les termes de l'article 23 da C. pr. civ. ; 3° enfin une possession susceptible de devenir acquisitive de la propriété.

Une possession à titre de propriétaire. Si la possession alléguée ne porte que sur la jouissance des fruits d'un immeuble, si elle se réduit à la propriété d'objets mobiliers, il n'y a pas lieu, nous reviendrons sur ce point, à prononcer le renvoi ; c'est ce qui a été décidé par un arrêt portant que c'était une erreur de prétendre que la Cour de Rouen était incompétente décider que pour le plaignant avait la possession du terrain litigieux, possession que les prévenus lui ont contestée ; qu'en effet, le fait de possession du terrain était, dans l'espèce, indépendant du droit de propriété ; que ce fait ne pouvait donc faire la matière d'une question préjudicielle; qu'il restait soumis à l'appréciation de la juridiction saisie de la poursuite. »

Une possession annale. La Cour de cassation a déclaré, par application des articles ci-dessus cités, « qu'il est judiciairement établi au procès que le prévenu, poursuivi pour extraction d'ardoises dans une carrière, et renvoyé à fins civiles

1 Cass. 3 août 1844, rapp. M. Fréteau. Bull. n. 282.

Cass. 5 juill. 4828, rapp. M. Mangin, J. P., t. XXII, p. 34.

pour justifier sa prétention à une longue possession de cette carrière, animo domini, a rapporté une sentence du juge de paix, ayant acquis force de chose jugée, et établissant, en effet, que depuis plus d'un an il était en possession paisible, publique et à titre de propriétaire de cette même carrière ; que cette déclaration établissait en faveur du prévenu le droit réel résultant de la possession annale et remplissant le vœu de l'art. 182 du C. for., les actes de cette possession ne pouvant constituer un délit et faisant disparaître la prévention'. »

Enfin une possession acquisitive de la propriété. Nous avons vu tout à l'heure que la possession était insuflisante pour motiver l'exception relativement à une servitude discontinue qui ne s'acquiert que par titres. Il a été jugé qu'elle était également insuffisante pour fonder la même exception dans une espèce où il s'agissait de conserver des arbres plantés sur un terrain communal : « attendu que l'art. 182 du C. for. n'autorise l'admission de la question préjudicielle que lorsque l'inculpé invoque un titre de propriété ou des faits de possession équivalents à ce titre, qui seraient de nature à ôter au fait incriminé le caractere de délit ou contravention; que le prévenu n'excipait pas d'un droit de propriété, mais seulement de la simple possession plus qu'annale qu'il aurait eue d'arbres lui appartenant, par lui plantés sur la voie publique, ce qui ne pouvait constituer une question préjudicielle ". »

Lorsque tous les caractères de la possession légale et animo domini se rencontrent, il faut reconnaitre « qu'une pareille possession doit être protégée comme la propriété même; que les voies ouvertes au propriétaire pour obtenir la réparation des voies de fait commises sur la chose, le sont également au possesseur animo domini; que la sûreté des propriétés et la conservation de la paix exigent le maintien de ces principes.

'Cass. 18 mai 1848, rapp. Fréteau. Bull. n. 152.

Voy. suprà, p. 400, et Conf. cass. reg. 7 juill. 1852. D. P. 52, 1, 166. et 8 avril 1856. D. P. 1, 242.

Cass. 14 oct. 1854, rapp. M. Jacquinot. Bull. n. 305.

* Cass. 5 juill. 1828, rapp. M. Mangin. J. P., t. XXII, p. 34.

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