Page images
PDF
EPUB

D'où il suit que la question préjudicielle élevée dans ce cas par le possesseur donne lieu au sursis.

$ 509.

1. A quelles personnes appartient-il d'élever l'exception?-II. Ce droit appartient aux propriétaires. — III. Aux possesseurs animo domini. IV. Appartient-il aux fermiers? - V. Aux adjudicataires?

-

I. Nous venons de voir quels sont les faits qui peuvent donner lieu au sursis et au renvoi à fins civiles. Il faut examiner maintenant à quelles personnes il appartient, lors même que le fait de propriété ou de possession pourrait être constaté, de le relever par voie d'exception.

II. Cette faculté appartient incontestablement au propriétaire lui-même. Personnellement investi du droit de propriété, il peut, à juste titre, demander à faire la preuve qu'il n'a fait qu'exercer son droit.

Les tiers peuvent-ils en son nom élever la même exception? Nous avons vu que les agents et les préposés du propriétaire, ceux qui n'ont agi que par ses ordres, peuvent demander sa mise en cause pour qu'il puisse les couvrir en élevant la question de propriété; mais il ne leur appartient pas de faire la preuve d'une propriété qui ne leur est pas personnelle'.

Peuvent-ils exciper de la tolérance ou de la permission du propriétaire? Non, si la propriété n'est pas reconnue, car ils n'ont pas qualité pour en faire la preuve; oui, si cette propriété est certaine; mais alors, comme ce n'est pas la propriété qui est en question, mais seulement la permission du propriétaire, l'appréciation de l'exception ne sort pas des attributions du juge repressif. Ce point a été décidé, en matière de chasse, par un arrêt portant: « que, lorsque devant

1 Voy. suprů, p. 353.

les juridictions nanties de la poursuite en répression d'un délit, les prévenus excipent d'un droit en vertu duquel ils auraient agi, les tribunaux ne peuvent renvoyer cette exception devant les juges civils qu'autant qu'il s'agit d'une discussion sur le fond d'une propriété, d'un droit immobilier, dont la connaissance appartient exclusivement à la juridiction civile; mais que si cette exception consiste uniquement dans l'allégation d'un droit mobilier, tel que les simples tolérances ou permissions d'usage, elle doit être appréciée par les juges de la répression, comme tous les autres moyens proposés par les prévenus pour leur défense; que, dans l'espèce, les prévenus avaient excipé d'une permission de chasse, et qu'au lieu de les admettre à prouver ce fait, dont l'appréciation était de la compétence des tribunaux correctionnels, l'arrêt attaqué a décidé que l'existence de la permission dont il s'agit constituerait une contravention qui serait de la juridiction civile, et que sous ce rapport il a méconnu les règles de la compétence', » La même décision a été appliquée en matière de délit de paturage *, et en matière d'exercice de droit d'usage3.

II. Le possesseur animo domini d'un terrain a le droit de poursuivre toutes les dégradations ou destructions qui y sont commises; ainsi, l'auteur de ces voies de fait, qui se prétendrait propriétaire du même terrain, ne serait pas recevable à opposer à la poursuite l'exception de propriété. C'est ce qui a été décidé par un arrêt portant: « qu'en admettant qu'il intervienne dans la suite une décision définitive qui déclare que le plaignant a en effet compris dans sa clôture une partie du chemin vicinal, il n'en résulterait pas que les faits reprochés. aux demandeurs et qui consistent à avoir, dans leur intérêt privé, détruit cette clôture, arraché des haies, comblé des fossés, cesseraient d'être des délits; que l'arrêt attaqué déclare que, lors des voies de fait, le plaignant avait la

[ocr errors]

Cass. 22 janv. 1836, rapp. M. de Crousei hes, Bull. n. 25.

Cass, 22 mars 1839, rapp. M. Rives. Bull. n. 98.

3 Cass. 18 sept. 1830, rapp. M. Dupaty. J. P., t. XXII, p. 799.

possession incontestable du terrain sur lequel elles ont été commises; qu'une pareille possession doit être protégée comme la propriété elle-même; que les voies ouvertes au propriétaire, pour obtenir la réparation des voies de fait commises sur sa chose, le sont également au possesseur animo domini'. » Mais il n'en serait plus ainsi si la possession n'était pas annale et résultait d'une voie de fait le prévenu pourrait dans ce cas, élever la question de proprieté et devrait obtenir le sursis". »

III. Le fermier, qui excipe du droit que lui donne son bail, élève-t-il une question préjudicielle qui doive être renvoyée au juge civil?

La jurisprudence a varié sur ce point. Un arrêt du 10 janvier 1806 avait jugé que le prévenu d'enlèvement de récoltes qui prétend être fermier du champ élève une question préjudicielle qui doit être renvoyée aux tribunaux civils 3. Un deuxième arrêt du 16 août 1808 décide également que le prévenu de délit rural qui soutient qu'il avait le droit d'agir ainsi qu'il l'a fait d'après les clauses de son bail, soulève une question préjudicielle dont le juge de police ne peut connaître 4. Enfin, un troisième arrêt du 4 janvier 1810 déclare que la question de savoir si un bail donne au prévenu le droit de mener des moutons dans des herbages, appartient à la juridiction civile 5.

Mais cette doctrine dut se modifier lorsque la Cour commença à poser en principe que, lorsque le jugement d'un délit ou d'une contravention dépend de l'interprétation d'un acte ou d'un contrat, le juge du délit ou de la contravention est

Cass. 5 juill. 1828, rapp. M. Mangin. J. P., t. XXII, p. 34; et Conf. cass. 18 juin 1807, rapp. M. Minier, t. VI, p. 156; et 19 mars 18.9, rapp. M. Busschop., t. XV, p. 172.

Cass. 8 janv. 1813, rapp. M. Busschop. J. P., t. II, p. 15; 14 août 1837. Dall. 38, 4, 184.

[blocks in formation]

compétent pour examiner l'acte ou le contrat, pour en rechercher le sens, l'effet ou l'obligation. Un arrêt du 13 juin 1818 déclara qu'un tribunal répressif, saisi d'un délit de mutilation d'arbres imputé par un propriétaire à son fermier, est compétent pour apprécier l'exception proposée par celui-ci et fondée sur une interprétation des clauses de son bail ; et cette nouvelle doctrine a été développée dans un arrêt du 2 août 1821 qui décide : « qu'en principe général, le juge du délit est juge de l'exception proposée contre la poursuite dont ce délit est l'objet ; que, si la loi déroge à ce principe, lorsque le prévenu allègue pour sa défense une propriété immobilière ou un droit réel qui ne peut être légalement apprécié que par le juge auquel appartient la connaissance des questions de propriété, il n'en est pas de même d'une exception appuyée seulement sur un prétendu droit de jouissance, sur un droit qui se détermine à un résultat mobilier; que la propriété des immeubles étant effectivement dans le domaine des tribunaux civils, le prévenu qui, devant un tribunal de police, propose pour défense une exception de cette nature, doit obtenir un sursis à l'action qui l'y avait amené; mais que, si l'exception porte uniquement sur une question de possession ou de jouissance même d'un immeuble, elle ne forme une question préjudicielle que dans le cas où elle vient s'identifier et se confondre avec la question essentiellement civile de la propriété. » Cette jurisprudence, qui applique une règle qui sera examinée plus loin, a été depuis plusieurs fois confirmée ".

Mais il en serait autrement si le fermier, au lieu d'exercer ses propres droits résultant de son bail, prétendait exercer ceux de son propriétaire; car l'exception n'aurait plus pour base l'interprétation du bail, mais l'application d'un droit de

*Note du 5 nov. 1813, n. 7. J. P., t. XI, p. 805.

3

Rapp. M. Chasle. J. P., t. XIV, p. 857.

* Rapp. M. Chantereyne. J. P., t. XVI, p. 821.

Cass. 25 juin 1830, rapp. M. Rives. J. P., t. XXIII, p. 619; 3 août 1849, rapp. M. Vincens St-Laurent. Bull. n. 191,

la propriété. Ainsi, il a été jugé, dans des espèces où le fermier avait exercé des droits d'usage, « que le prévenu, en soutenant que le propriétaire, dont il exploitait les terres comme fermier, avait un droit de servitude de pâturage sur les parties du territoire où le troupeau avait été trouvé pâturant, cette prétention faisait naître une question préjudicielle de propriété qui ne pouvait être jugée que par les tribunaux civils 1. »

Toutefois le fermier ne pourrait se couvrir de l'exception qu'en demandant la mise en cause du propriétaire, car il ne peut exercer lui-même une action qui est personnelle à celuici. C'est ce qui a été jugé par un arrêt portant que « l'art. 182 du C. for. veut que, pour son admissibilité, l'exception préjudicielle soit basée sur un droit personnel au prévenu; que, dans l'espèce, le fermier ne pouvait, au nom de son propriétaire, prétendre que le fossé lui appartenait; que c'était là une exception personnelle au propriétaire; que dès lors il ne pouvait élever cette question de propriété sans que le propriétaire cut pris son fait et cause et avoué le fait de son fermier '. »

IV. Les adjudicataires de coupes de bois, lorsque, prévcnus de délits forestiers, ils excipent des clauses de leur cahier des charges, et prétendent qu'ils avaient le droit d'abattre les arbres qu'ils ont abattus, élèvent-ils une question préjudicielle qui doit donner lieu de surseoir?

Dans la première jurisprudence de la Cour de cassation, cette question dut être résolue affirmativement. On lit dans un arrêt du 2 messidor an XIII : « que l'ordre des juridictions est de droit public, qu'il est même indépendant de la défense des parties, relativement surtout à la séparation des pouvoirs et attributions des tribunaux civils et des tribunaux correctionnels; que si, dans le cas d'une ajudication de coupe qui a

Cass. 3 mars 1809, rapp. M. Rataud. J. P,, t, VII, p. 423; et 10 avril 1807, rapp. M. Vergès, t. VI, p. 16.

* Cass. 29 déc. 1843, rapp. M. Isambert, Bull, n. 334. '

« PreviousContinue »